2025 : L’Année de l’Enshittification Incontestable
Imaginez-vous ouvrir votre réfrigérateur pour prendre un verre de lait, et tomber sur une publicité pleine écran pour une marque de céréales. Cela semble absurde ? Pourtant, en 2025, ce genre de scénarios est devenu réalité pour certains utilisateurs de frigos connectés haut de gamme. Cette année aura marqué un tournant : la dégradation des services numériques n'est plus une théorie, mais une expérience quotidienne partagée par des millions de personnes.
L'année où tout a basculé dans le numérique
Le terme enshittification, popularisé par l'auteur canadien Cory Doctorow, décrit parfaitement ce processus : les plateformes commencent par attirer les utilisateurs avec des services gratuits et excellents, puis elles privilégient les annonceurs, et enfin elles exploitent tout le monde pour maximiser les profits. En 2025, ce cycle a atteint son paroxysme, rendant la détérioration indiscutable.
Ce n'est pas seulement une impression. Des décisions judiciaires, des études et des témoignages concrets ont confirmé que de nombreux géants technologiques ont délibérément empiré leurs produits. L'année aura été celle d'une prise de conscience collective : notre vie numérique se dégrade rapidement.
Des exemples concrets qui choquent
Parmi les cas les plus marquants, les appareils domestiques connectés ont franchi une nouvelle frontière. Des réfrigérateurs intelligents affichant des publicités directement sur leur écran. Des constructeurs automobiles verrouillant des fonctionnalités basiques derrière des abonnements payants. Même les assistants vocaux ont sacrifié la précision au profit de réponses générées par intelligence artificielle.
Le secteur sanitaire n'a pas été épargné. Certaines marques ont lancé des toilettes équipées de caméras pour analyser la santé, mais sans chiffrement adéquat des images, posant d'immenses risques de confidentialité. Ces innovations, censées améliorer notre quotidien, se transforment souvent en sources d'irritation et d'inquiétude.
Si l'enshittification n'est pas le résultat de personnes plus malveillantes ou de grandes forces historiques, mais de choix politiques précis, alors nous pouvons inverser ces choix et adopter de meilleurs.
– Cory Doctorow
Cette citation résume l'espoir qui persiste malgré le pessimisme ambiant. Car si la dégradation est le fruit de décisions humaines, elle peut aussi être corrigée par d'autres décisions.
La recherche et les réseaux sociaux en première ligne
Google a été condamné pour avoir intentionnellement détérioré la qualité de ses résultats de recherche, privilégiant les sites payants ou remplis de contenu médiocre. Les moteurs alternatifs peinent à émerger durablement face à cette domination.
Sur les réseaux sociaux, plus de la moitié du trafic provient désormais de bots. Ces comptes automatisés diffusent désinformation politique, arnaques financières ou contenu généré par IA sans valeur. Les plateformes, pour maintenir l'engagement, laissent proliférer ce bruit numérique.
Les grandes entreprises d'IA ont même lancé des outils facilitant la création massive de contenus faux : vidéos deepfake, images racistes, pornographie non consentie. Le résultat ? Une pollution visuelle et informationnelle qui rend les espaces en ligne épuisants.
- Publicités intrusives dans les appareils du quotidien
- Fonctionnalités essentielles devenues payantes
- Contenu généré par IA envahissant les feeds
- Bots dominant les interactions sociales
- Confidentialité sacrifiée au nom de l'innovation
Ces phénomènes ne sont pas isolés. Ils forment un ensemble cohérent de dégradation qui touche tous les aspects de notre vie connectée.
Une perte de confiance historique
Les sondages montrent une chute dramatique de la confiance envers l'industrie technologique. Il y a vingt ans, la tech inspirait l'optimisme. Aujourd'hui, elle suscite méfiance et résignation. Même les discours des grands dirigeants sont passés de l'utopie à l'apocalypse imminente.
Cette évolution reflète une réalité : les promesses d'un internet ouvert et créatif se sont transformées en jardins clos surveillés. Découvrir du contenu par hasard, comme à l'époque des sites de "stumble", est devenu presque impossible. Les algorithmes nous enferment dans des bulles prévisibles.
Le coût n'est pas seulement temporel. Il est aussi environnemental, avec la consommation énergétique massive des data centers, et sociétal, avec la polarisation renforcée par les contenus toxiques.
Les racines du problème
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Plusieurs facteurs convergent. La concentration du pouvoir entre quelques géants rend la concurrence difficile. Les modèles économiques basés sur la publicité incitent à maximiser l'attention à tout prix.
Les investisseurs privilégient la croissance rapide au détriment de la durabilité. Les régulations peinent à suivre l'évolution technologique. Enfin, l'absence de véritables alternatives ouvertes laisse les utilisateurs captifs.
Pourtant, rien n'est inéluctable. Comme le soulignent certains penseurs, la technologie n'a pas de destin prédéterminé. Elle résulte de choix collectifs : ceux des développeurs, des investisseurs, des régulateurs et des utilisateurs.
Des lueurs d'espoir pour 2026
Malgré la noirceur ambiante, 2025 aura aussi vu émerger des résistances. Des pays, dont le Canada, commencent à parler de souveraineté numérique. Des startups développent des alternatives décentralisées, respectueuses de la vie privée.
Les consommateurs deviennent plus exigeants, prêts à payer pour des services sans publicité ni tracking. Des mouvements appellent à une régulation plus forte des plateformes dominantes. L'intelligence artificielle, si elle est mieux encadrée, pourrait même aider à nettoyer le web du contenu indésirable.
Le défi est immense, mais pas insurmontable. Il s'agit de réorienter les incitations : favoriser l'ouverture plutôt que la clôture, l'utilité plutôt que l'exploitation, la qualité plutôt que la quantité.
La technologie n'agit pas seule : elle fait les choses pour quelqu'un et contre quelqu'un d'autre.
– Inspiré d'Ursula Franklin
Cette idée rappelle que nous avons encore le pouvoir de choisir pour qui et contre qui fonctionne la technologie de demain.
Vers un numérique plus humain
Pour sortir de cette spirale, plusieurs pistes se dessinent. Renforcer la concurrence en démantelant les monopoles. Imposer l'interopérabilité pour que les utilisateurs puissent changer de plateforme sans perdre leurs données.
Développer des standards ouverts et des protocoles décentralisés. Soutenir financièrement les projets indépendants. Éduquer le public aux enjeux numériques pour créer une demande réelle de meilleurs services.
Les entrepreneurs canadiens, souvent pragmatiques et tournés vers l'impact positif, pourraient jouer un rôle clé dans cette renaissance. Leurs innovations, moins soumises à la pression des marchés publics extrêmes, gardent parfois une approche plus centrée sur l'utilisateur.
2025 aura été l'année du constat brutal. 2026 pourrait devenir celle des premières actions concrètes. Rien n'est écrit d'avance : l'avenir du numérique dépend des choix que nous ferons collectivement dans les mois à venir.
Il est temps de reprendre la main sur nos outils numériques, avant que la dégradation ne devienne irréversible. Car un internet meilleur n'est pas une utopie perdue : c'est un projet qui attend d'être construit.