Un défi juridique met en lumière les pratiques opaques de X
Le mois de juillet 2024 s'annonce difficile pour X, anciennement Twitter. La plateforme d'Elon Musk vient d'être épinglée une première fois par l'Union Européenne pour de possibles infractions au Digital Services Act (DSA). Mais ce n'est pas la seule décision de haut niveau qui n'a pas tourné en faveur de Musk dernièrement.
Début juillet, la justice néerlandaise a donné raison à Danny Mekić, un étudiant en doctorat qui contestait le shadowban de son compte X. Le tribunal a estimé que la plateforme avait enfreint plusieurs dispositions du DSA et du RGPD, le règlement européen sur la protection des données personnelles.
Un shadowban opaque et arbitraire
Tout commence en octobre 2022, quand Danny Mekić découvre que son compte X a fait l'objet de restrictions de visibilité après qu'il ait partagé un article sur un sujet de droit qu'il étudiait. X n'a pas notifié ce "shadowban", ce qui constitue l'un des points litigieux.
C'est seulement lorsque des tiers l'ont contacté pour l'informer qu'ils ne voyaient plus ses réponses ni son compte dans les suggestions que Mekić a réalisé ce qui se passait. Ses tentatives de contacter X étant restées vaines, il a alors engagé plusieurs actions en justice.
Violation du DSA et du RGPD
Mekić a attaqué la filiale irlandaise de X (encore appelée Twitter) pour rupture de contrat, étant un utilisateur premium. Il a aussi invoqué des manquements au DSA :
- Absence de point de contact pour traiter ses réclamations (art. 12)
- Défaut d'explication sur les restrictions appliquées à son compte (art. 17)
En parallèle, Mekić a sollicité auprès de X, sur la base du RGPD, une copie des informations le concernant pour comprendre ce traitement. Face au silence de la plateforme, il a engagé une seconde procédure pour violation du droit d'accès.
X condamné sur toute la ligne
Dans son jugement du 5 juillet, le tribunal néerlandais a donné raison à Mekić sur tous les points. Il a reconnu la rupture de contrat et condamné X à l'indemniser. La plateforme doit aussi lui fournir sous 15 jours un point de contact, sous astreinte de 100€ par jour de retard.
La justice a également estimé que X aurait dû notifier et justifier le shadowban, comme l'exige l'article 17 du DSA. Mekić a dû saisir la justice pour apprendre qu'un système automatisé avait restreint son compte suite au partage d'un simple article de presse.
Je suis heureux de cette décision. Il y a eu un grand débat au tribunal. Twitter soutenait que le DSA n'était pas proportionné et que les shadowbans de comptes entiers n'étaient pas soumis à ces obligations.
– Danny Mekić
Cerise sur le gâteau, le tribunal a aussi jugé les conditions générales de X contraires au droit européen sur les clauses abusives.
Concernant le RGPD, dans un jugement distinct du 4 juillet, le tribunal a condamné X à fournir à Mekić sous un mois les données qu'il avait demandées, ainsi que des explications sur la décision automatisée ayant eu un effet significatif sur lui (art. 22). Le shadowban affectait en effet sa visibilité professionnelle et ses perspectives d'emploi.
X devra payer jusqu'à 4000€ par jour en cas de non-respect continu du RGPD, en plus des frais de procédure.
Des répercussions plus larges ?
Si ces décisions ne concernent qu'un cas individuel, elles pourraient avoir une portée plus large dans l'application du DSA et du RGPD à X. L'Union Européenne n'en est qu'aux prémices avec le DSA, X venant de recevoir de premiers griefs.
Mais côté RGPD, cela fait des années que la société civile dénonce sa sous-application aux grandes plateformes. Les régulateurs, comme la CNIL irlandaise souvent critiquée pour son inertie sur les géants de la tech, ont désormais une pression supplémentaire pour agir.
Ces actions en justice étaient une dernière tentative pour faire lever mon shadowban injustifié. J'espère que cela améliorera le respect par X de ses obligations légales de transparence et de recours.
– Danny Mekić
Mekić appelle aussi la Commission Européenne, très mobilisée sur l'application du DSA, à ne pas se focaliser uniquement sur un durcissement de la modération, mais aussi sur les excès et le manque de transparence. Il prône une solution plus simple : réduire l'emprise des algorithmes conçus pour maximiser l'engagement et les revenus publicitaires.
Si cette affaire illustre le chemin qu'il reste à parcourir, elle montre aussi que même un simple utilisateur peut obtenir le respect de ses droits face à un géant du numérique. Reste à voir si X en tirera les leçons et reverra de lui-même ses pratiques opaques, avant d'y être contraint.