Les entreprises françaises appelées à partager leurs bénéfices
Depuis le 1er juillet 2024, les entreprises françaises de plus de 50 salariés et dotées d'au moins un délégué syndical ont l'obligation d'ouvrir des négociations sur le partage des bénéfices exceptionnels. Une nouvelle loi qui vise à mieux répartir la valeur ajoutée entre capital et travail. Mais les employeurs joueront-ils le jeu ?
Définir ce qu'est un "bénéfice exceptionnel"
La première étape pour les partenaires sociaux sera de s'entendre sur une définition des fameux "bénéfices exceptionnels". Un exercice qui s'annonce délicat tant la notion est subjective et relative à chaque entreprise.
Quelques pistes sont néanmoins sur la table :
- Comparer le bénéfice d'une année sur l'autre ou par rapport à une moyenne des années précédentes.
- Fixer un seuil (10%, 20%...) à partir duquel la hausse est jugée "exceptionnelle".
- Tenir compte du contexte et des performances historiques de l'entreprise.
L'accord devra aussi préciser les modalités du partage en cas de bénéfice exceptionnel : ouverture automatique de négociations et/ou mise en place de dispositifs de redistribution (supplément d'intéressement, prime...).
Quelles entreprises concernées ?
Si la loi ne vise que les entreprises de plus de 50 salariés avec délégués syndicaux, la question du partage de la valeur se pose dans toutes les sociétés qui dégagent des bénéfices importants, y compris les PME et ETI.
La volonté de partager la valeur est réelle, mais dépend de ce que l'entreprise a à partager.
Vincent Delage, avocat associé chez CMS Francis Lefebvre
Ces dernières n'ont certes pas d'obligation légale mais peuvent s'en inspirer pour ouvrir le dialogue social et associer davantage les salariés à leurs bons résultats. Certaines le font déjà via des accords d'intéressement ou de participation.
Les superprofits dans le viseur
Cette loi fait écho au débat sur les "superprofits" des entreprises qui ont particulièrement bien tiré leur épingle du jeu malgré les crises (sanitaire, guerre en Ukraine, inflation...). On pense aux géants de l'énergie comme TotalEnergies ou aux armateurs à l'image de CMA-CGM.
Face aux montants records de leurs bénéfices, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer une meilleure redistribution envers les salariés. Mais aussi un effort fiscal plus important de ces entreprises via une taxe exceptionnelle, comme l'a instauré le Royaume-Uni sur les géants pétroliers et gaziers.
En France, le gouvernement a préféré miser sur le dialogue social en entreprise plutôt qu'une taxation. Tout en encourageant les employeurs à verser une prime de partage de la valeur (exonérée jusqu'à 6000 euros), en plus des dispositifs classiques de participation et intéressement.
Des négociations à géométrie variable
L'obligation de négocier sur le partage des bénéfices exceptionnels n'étant pas assortie de sanctions, on peut craindre un manque d'allant de certaines directions. Beaucoup ont d'ailleurs reporté les discussions à l'automne, pour les coupler aux négociations annuelles sur les salaires.
Côté syndicats, l'enjeu sera d'obtenir une définition large des bénéfices exceptionnels et des mécanismes pérennes de redistribution (augmentations de salaires, primes d'intéressement...). Avec toujours l'épée de Damoclès d'une taxation si le dialogue social n'est pas à la hauteur.
Car au-delà de la lettre, c'est bien l'esprit de la loi qu'il faudra respecter. Celui d'un meilleur partage des richesses produites par l'entreprise et d'une association plus étroite des salariés à sa bonne santé économique. Un changement de culture qui prendra du temps mais que cette loi entend accélérer.