Le pouvoir du Canada pour réguler les géants de la Tech
Alors que les États-Unis s'attaquent frontalement aux monopoles des géants du numérique comme Google et Amazon, la question se pose : le Canada a-t-il, lui aussi, les moyens de réguler efficacement les GAFAM ?
Rory Capern, ancien directeur de Google et Twitter Canada, nous livre son éclairage. Aujourd'hui COO de la startup RedBrick, il pose un regard pragmatique sur les leviers d'action du pays face aux mastodontes de la Silicon Valley.
Google, un "monopoliste" dans le viseur des régulateurs américains
Le verdict est tombé : selon un juge fédéral américain, Google a violé les lois antitrust en maintenant un monopole sur les marchés de la recherche et de la publicité. Le Département de la Justice (DOJ) propose des mesures radicales comme forcer Google à vendre certaines de ses activités (Chrome, Android, Google Play...)
En parallèle, un autre procès antitrust vient de s'achever, visant cette fois le monopole de Google sur les technologies de publicité numérique. Apple, Amazon et Meta sont également dans le collimateur du DOJ et de la SEC pour des pratiques anticoncurrentielles. Des procédures qui pourraient changer radicalement le visage de l'Internet des 20 dernières années.
Le Canada, un poids plume face aux GAFAM ?
Et pendant ce temps, au Canada ? En réponse à la taxe de 3% sur les revenus des services numériques dépassant 20 millions de dollars canadiens, Google a décidé... D'appliquer une surcharge de 2,5% sur les publicités diffusées au Canada. Pas vraiment le même impact qu'une demande de démantèlement.
Nous n'avons tout simplement pas le poids nécessaire pour imposer avec succès des politiques à ces plateformes sans la coopération ou le partenariat d'autres pays.
Rory Capern, COO de RedBrick
Selon l'ancien de Google et Twitter, le Canada ne fait pas le poids seul face aux géants américains. Une coopération internationale serait indispensable pour espérer les réguler efficacement.
Définir le "marché pertinent", un défi clé des procédures antitrust
Au cœur des débats sur les monopoles des GAFAM, une question fondamentale en droit de la concurrence : qu'est-ce qu'un "marché" ? Rory Capern souligne toute la difficulté de délimiter les marchés pertinents sur lesquels interviennent des acteurs aussi tentaculaires et diversifiés que Google ou Amazon.
Faut-il considérer le marché global de la publicité, ou le segment plus restreint de la publicité liée aux recherches ? Chrome et Android font-ils partie intégrante de l'écosystème de Google, ou constituent-ils des marchés à part entière ? Des questions épineuses auxquelles les juges devront répondre.
Revenir aux recettes antitrust du 20ème siècle ?
Face à ces nouveaux monopoles numériques, faut-il s'inspirer des grands démantèlements qui ont marqué le 20ème siècle, d'AT&T à Standard Oil ? L'idée a ses partisans, mais Rory Capern invite à la nuance.
L'ancien dirigeant de Google plaide pour une approche plus mesurée, respectueuse du droit à l'innovation, tout en fixant des garde-fous pour prévenir les abus de position dominante. Un équilibre délicat à trouver, entre préservation d'un Internet ouvert et compétitif et une régulation efficace des géants de la Tech.
Quel rôle pour le Canada dans la régulation des GAFAM ?
Si Rory Capern se montre réaliste sur la capacité du Canada à faire plier seul les GAFAM, il n'en appelle pas moins à un sursaut des pouvoirs publics canadiens. Plusieurs pistes sont évoquées :
- Un renforcement de la coopération réglementaire avec les USA et l'Europe
- Des investissements dans la "Tech souveraine" pour développer des alternatives canadiennes
- Un durcissement ciblé de la législation sur les abus de position dominante
Le Canada a des cartes à jouer pour rééquilibrer le rapport de force avec les géants du numérique, à condition d'adopter une stratégie volontariste et coordonnée avec ses principaux alliés. C'est tout l'enjeu des prochaines années pour garantir un level playing field dans l'économie numérique mondiale.
Face à l'offensive antitrust américaine contre les GAFAM, le Canada semble bien peu armé. Mais pour Rory Capern, ancien de Google et Twitter Canada, une chose est sûre : l'inaction n'est plus une option. La souveraineté numérique du pays est en jeu.