Christopher Skeete, nouveau ministre de l’innovation au Québec
Le Québec a un nouveau visage à la tête de son ministère de l'Innovation. Suite à la démission de Pierre Fitzgibbon début septembre, c'est Christopher Skeete qui reprend le flambeau. Cet ancien entrepreneur dans le domaine de la santé, passé par le gouvernement, a pour mission de poursuivre le travail entamé par son prédécesseur. Au cœur de ses priorités : stimuler le financement privé des entreprises innovantes et combler l'écart de productivité qui sépare le Québec de l'Ontario.
Un enjeu "existentiel" pour les entreprises québécoises
Pour le nouveau ministre délégué au développement économique régional, aux PME et à l'innovation, redonner aux entreprises québécoises leur compétitivité face au retard de productivité du Canada est une question de survie. "L'innovation est la clé de tout ce que la société occidentale chérit", martèle Christopher Skeete. Selon lui, seule une meilleure capacité d'innovation permettra de relever les défis à venir et de préserver le modèle social du Québec.
Le difficile passage de la recherche au privé
Si le Québec est performant en recherche et développement (R&D), il peine encore à transformer ces avancées en succès commerciaux. Un constat partagé par Olivier Quenneville, PDG de Réseau Capital, pour qui "nous devons devenir meilleurs pour commercialiser les produits issus de notre recherche publique". Christopher Skeete pointe du doigt une certaine frilosité du secteur privé à prendre des risques et à investir, comparé à ce qui se fait aux États-Unis.
Les entreprises doivent comprendre que c'est existentiel pour elles. La compétition est tellement forte maintenant que si vous ne faites pas les choses correctement, vous allez être laissés derrière.
Christopher Skeete, ministre de l'Innovation du Québec
Rapprocher les chercheurs et les investisseurs privés
Pour y remédier, le ministre veut jouer un rôle de facilitateur entre le secteur privé et la recherche. "Ce que j'entends, c'est que le secteur de la recherche est très disposé à travailler avec le privé, mais parfois, pour des raisons de risque, le secteur privé est un peu réticent", explique-t-il. Sa mission est donc de les faire se rencontrer et collaborer davantage.
Un besoin d'autant plus crucial que le financement privé ne représentait que 52% des levées de fonds des startups québécoises en 2023, selon Réseau Capital. Le gouvernement du Québec joue historiquement un rôle démesuré dans le soutien à l'écosystème tech, via des organismes publics ou parapublics comme Investissement Québec ou le Fonds de solidarité FTQ.
Trop d'aides publiques en phase d'amorçage ?
Mais pour Louis-Félix Binette, directeur général du Mouvement des accélérateurs d'innovation du Québec (MAIN), le problème viendrait paradoxalement d'une trop grande abondance de financements en phase d'amorçage. Les jeunes pousses se perdraient dans ce méandre d'aides. "N'apprenez pas aux entrepreneurs les tenants et aboutissants d'un système complexe que vous avez créé", affirme-t-il, "écoutez les entrepreneurs et simplifiez le système".
Christopher Skeete reconnaît cette critique. S'il estime que la Stratégie québécoise de recherche et d'investissement en innovation 2022-2027 (SQRII) soutient bien les startups "à chaque étape", il admet qu'il faut plus de fonds privés. Cette stratégie quinquennale de 7,5 milliards $ mise en place sous Pierre Fitzgibbon vise à réduire l'écart de productivité avec l'Ontario, mieux commercialiser l'innovation et développer une "culture scientifique et d'innovation".
De nouveaux "hubs" pour rapprocher les acteurs
Parmi les initiatives porteuses, le ministre cite le futur hub d'innovation Ax-C qui ouvrira au printemps 2025 à Montréal. Soutenu par le ministère de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, en partenariat avec l'École de technologie supérieure, cet espace a récemment reçu des injections de fonds privés de la part de Bell, Google Canada, du Fonds de solidarité FTQ et de Desjardins.
Quand on rassemble l'immobilier, le coaching, le mentorat, les accélérateurs et les incubateurs sous un même toit, cela accélère l'innovation.
Christopher Skeete, ministre de l'Innovation du Québec
Christopher Skeete est convaincu qu'Ax-C remplira sa mission de connecter les entreprises avec des opportunités d'innover, issues de tout le secteur technologique. Le hub devrait ainsi faciliter la rencontre entre investisseurs et startups.
Grand V : de nouveaux prêts pour stimuler la productivité
Malgré ce discours sur la nécessaire implication du privé, le bras armé du financement public au Québec, Investissement Québec, vient d'annoncer une nouvelle enveloppe pour les entreprises de toutes tailles, y compris les startups : 4,5 milliards $ pour combler le retard de productivité, via des prêts et des prises de participation pour des projets d'innovation durable. Cette initiative "Grand V" est menée par la ministre de l'Économie et de l'Énergie Christine Fréchette.
Certains, comme Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité, doutent cependant de son efficacité, estimant qu'elle suit les traces de précédents plans infructueux pour doper la productivité via des fonds publics. Investissement Québec rétorque qu'il s'agit de prêts et non de subventions, qui permettront aux entreprises participantes d'optimiser leurs opérations et d'investir en R&D.
Le ministre Skeete, un "avocat" des startups ?
Louis-Félix Binette de MAIN aimerait que le ministre Skeete joue un rôle "d'avocat" de l'industrie technologique québécoise, en portant ses intérêts dans des politiques débordant du cadre des affaires. "Je pense que c'est un grand trou béant dans la façon dont nous gérons les politiques au Québec", juge-t-il, "nous n'avons pas de défenseur des entrepreneurs qui a l'oreille du gouvernement au plus haut niveau, et j'aimerais que cela se produise".
Christopher Skeete semble en tout cas déterminé à poursuivre le travail de fond initié par Pierre Fitzgibbon, avec un accent sur une implication accrue du secteur privé, tant dans le financement que la collaboration avec la recherche. L'avenir dira si cette stratégie permettra aux startups et entreprises innovantes de la Belle Province de rattraper leur retard de compétitivité et de transformer davantage leurs innovations en succès commerciaux.