La Chute de l’Aciérie Chilienne Face à la Concurrence Chinoise
C'est un séisme qui vient de frapper l'industrie sidérurgique chilienne. Après 74 années d'activité, l'aciérie Huachipato, fleuron national et principal producteur d'acier du pays, a définitivement fermé ses portes le 16 septembre dernier. Derrière ce triste épilogue, un coupable est pointé du doigt : la Chine et sa concurrence jugée déloyale.
L'Ascension et la Chute d'un Géant de l'Acier
Fondée en 1950 dans la cité portuaire de Talcahuano, à 500 km au sud de la capitale Santiago, l'aciérie Huachipato s'était hissée au fil des décennies comme un acteur industriel de premier plan. Avec une production annuelle de 800 000 tonnes d'acier, elle approvisionnait principalement le florissant secteur minier chilien et d'autres industries d'Amérique du Sud.
Mais derrière cette success-story se cachaient des fragilités structurelles, brutalement révélées par l'arrivée massive d'acier chinois à bas coût sur le marché local. Dès novembre 2023, la compagnie minière CAP, propriétaire du site, tirait la sonnette d'alarme :
L'acier importé de Chine est vendu au Chili 40% moins cher que celui produit localement. Une situation intenable pour notre industrie.
– Déclaration de CAP
Le gouvernement chilien a bien tenté de réagir en imposant des droits de douane supplémentaires, de 33,5% sur les billes d'acier et de 24,9% sur les barres d'acier. Mais face à l'ampleur du dumping chinois, ces mesures sont restées insuffisantes. Lâchée par ses clients, plombée par des coûts de production trop élevés, l'aciérie Huachipato a fini par capituler.
La Chine, Maître de Forges Mondial
Le destin funeste de ce fleuron industriel chilien illustre de façon spectaculaire l'hégémonie sidérurgique de la Chine. En l'espace de deux décennies, l'Empire du Milieu a bouleversé cet échiquier mondial :
- La part de marché mondiale de l'acier chinois est passée de 15% en 2000 à 54% en 2023.
- Dans le même temps, la part de l'Amérique Latine s'est effondrée de moitié, à seulement 3%.
- La Chine produit désormais plus de 1 milliard de tonnes d'acier par an, soit plus de 7 fois les volumes de l'Union Européenne.
Ce raz-de-marée s'explique par les faibles coûts de production chinois, reposant sur une main d'œuvre bon marché, des normes environnementales peu contraignantes et de généreuses subventions d'État. Face à cette concurrence jugée déloyale, de nombreux pays ont érigé des barrières douanières. Mais ces digues cèdent les unes après les autres, comme vient d'en témoigner tragiquement le cas chilien.
Quelles Perspectives pour la Sidérurgie Chilienne ?
La fermeture brutale de l'aciérie Huachipato sonne comme un coup de tonnerre dans le paysage industriel chilien. Au-delà du choc économique et social immédiat, avec la suppression de centaines d'emplois directs et indirects, c'est toute une filière qui vacille sur ses bases :
Cette usine était un maillon essentiel de notre écosystème sidérurgique. Sa disparition fragilise toute la chaîne de valeur, des mines de fer jusqu'aux industries clientes. Il y a un risque réel de désindustrialisation.
- Analyse un expert du secteur
Pour tenter d'enrayer cette spirale, le gouvernement chilien mise sur l'innovation et la modernisation des sites de production restants. Des investissements sont prévus pour développer des aciers spéciaux à plus forte valeur ajoutée. L'objectif est de se repositionner sur des niches moins exposées à la concurrence des produits de base chinois.
Mais beaucoup s'interrogent sur la viabilité à long terme de cette stratégie face à la puissance de frappe quasi-illimitée de la Chine. Certains évoquent même la nécessité d'un sursaut politique à l'échelle du continent pour rééquilibrer les règles du jeu commercial :
Sans une réaction forte et coordonnée des pays latino-américains, nos industries stratégiques continueront de se faire laminer une à une par le rouleau compresseur chinois. Il en va de notre souveraineté économique.
– Plaide un économiste réputé
Le funeste destin de l'aciérie Huachipato restera comme un cas d'école des ravages de la désindustrialisation à l'ère de la mondialisation. Il met en lumière de façon crue les immenses défis auxquels fait face une industrie chilienne et latino-américaine fragilisée. L'avenir dira si les remèdes envisagés suffiront à enrayer cette lame de fond venue d'Asie. Une chose est sûre : la partie qui se joue est à la fois économique, sociale et éminemment politique.