Patrick Koller quitte la direction de Forvia après 8 ans
Le monde de l'automobile vit décidément une période mouvementée. Après l'éviction surprise de Carlos Tavares à la tête de Stellantis il y a quelques jours, c'est un autre grand capitaine d'industrie qui fait ses adieux. Patrick Koller, directeur général de l'équipementier Forvia (ex-Faurecia) depuis juillet 2016, a annoncé ce 3 décembre son départ à la retraite. À 65 ans, ce franco-allemand passera les commandes le 1er mars prochain à son dauphin désigné Martin Fischer, 54 ans.
Cette transition à la tête du géant tricolore des équipements automobiles est à la fois un aboutissement et un nouveau départ. Patrick Koller aura profondément transformé Faurecia durant son mandat, réussissant notamment la fusion avec l'allemand Hella pour donner naissance à Forvia, numéro sept mondial de son secteur. Adepte de la croissance externe, il a su faire monter en puissance son groupe dans les domaines d'avenir comme les intérieurs, la mobilité propre et l'électronique, face à la révolution de l'électrification.
Mais la route n'aura pas été un long fleuve tranquille pour cet ingénieur de formation passé par Valeo et Rhodia. Il a dû affronter la crise du Covid, les pénuries de composants, la flambée des matières premières et la baisse des volumes en Europe. Le tout en menant de front l'ambitieuse digestion de Hella, dans un contexte social tendu marqué par un vaste plan de restructuration.
De Faurecia à Forvia, une success story à la française
Pour mesurer le chemin parcouru, il faut se souvenir d'où l'équipementier est parti. Faurecia s'est construit par acquisitions successives dans les années 1990 et 2000 à partir de Bertrand Faure, fabricant français de sièges automobiles. L'entreprise était alors dans le giron de PSA, qui en détenait plus de 70 %. Patrick Koller, entré chez Faurecia en 2006, en connaissait parfaitement les rouages lorsqu'il en a pris les rênes en 2016.
Son grand œuvre aura été d'émanciper le groupe de la tutelle de son actionnaire historique. Pas toujours simple quand on réalise la moitié de son chiffre d'affaires avec le constructeur sochalien ! Mais au fil des cessions de parts, Faurecia a gagné en indépendance capitalistique et stratégique. Un virage parachevé en 2021 avec la sortie définitive de Stellantis (né de la fusion de PSA et FCA) du tour de table.
Notre stratégie de développement a clairement porté ses fruits. En devenant Forvia, nous changeons de dimension pour nous imposer comme un leader technologique et durable.
Patrick Koller, juin 2022
Soucieux de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, Patrick Koller a considérablement diversifié le portefeuille clients de l'équipementier, nouant des partenariats avec les allemands (Volkswagen, BMW), les américains (Ford, GM) mais aussi les nouveaux acteurs chinois de l'électrique. Une internationalisation payante, Forvia réalisant désormais 49 % de ses ventes en Europe, 25 % en Asie et 22 % sur le continent américain.
Un transformateur dans l'air du temps
Au-delà de l'évolution de son actionnariat, Patrick Koller aura aussi réussi à faire pivoter en profondeur le business model de Forvia. Sous sa houlette, l'équipementier a massivement investi dans les technologies de rupture comme les piles à combustible, l'hydrogène ou le cockpit du futur. Le rachat de Hella en 2022, pour 5,7 milliards d'euros, en est l'illustration éclatante.
En mettant la main sur ce spécialiste allemand de l'éclairage et de l'électronique automobile, Forvia s'est offert un fantastique accélérateur dans des domaines clés pour l'avenir comme les radars, les logiciels ou la conduite autonome. Une complémentarité qui ouvre de nouveaux relais de croissance, alors que le traditionnel moteur à combustion entame son chant du cygne.
Conscient que l'industrie automobile est à un tournant de son histoire, Patrick Koller a su prendre les virages au bon moment. Mais il laisse aussi quelques chantiers sensibles à son successeur, comme l'intégration opérationnelle de Hella, la montée en compétences dans le digital ou la rationalisation d'un dispositif industriel pléthorique. Des défis de taille pour Martin Fischer, qui aura fort à faire pour suivre le rythme d'un secteur en pleine mutation.
Le poids lourd français face aux vents contraires
Car Forvia n'échappe pas aux turbulences qui secouent l'automobile mondiale. Malgré un chiffre d'affaires record de 25,5 milliards d'euros en 2022, le groupe a dû revoir à la baisse ses prévisions pour 2023 et engager un sévère plan d'économies face à la chute du marché européen. Au menu : réduction des coûts, gel des embauches, et surtout suppression de 2800 postes dans le monde d'ici la fin de l'année.
Un véritable électrochoc pour les salariés, qui ont exprimé leur inquiétude lors de débrayages à l'annonce du plan en février dernier. Patrick Koller s'en va donc sur une note sociale mitigée, lui qui a toujours mis en avant le dialogue et la responsabilité. Mais il peut se targuer d'avoir sécurisé l'avenir de Forvia, en renforçant sa compétitivité et sa capacité d'innovation.
Sous sa direction, l'équipementier tricolore s'est hissé dans le top 10 de nos champions nationaux les plus performants. Une success story à la française, qui montre que notre industrie a encore de beaux jours devant elle. À condition de savoir se réinventer en permanence face aux mutations technologiques et sociétales. Un défi que Patrick Koller aura relevé avec brio.