Clio lève 1,24 milliard $ : la tendance des entreprises tech à se privatiser
Dans un contexte où de nombreuses entreprises technologiques canadiennes se retirent des marchés publics, la société de technologie juridique Clio, basée à Burnaby en Colombie-Britannique, a créé l'événement en levant la somme record de 1,24 milliard de dollars canadiens lors d'un tour de financement de série F. Ce montant faramineux représente près de la moitié des investissements dans la tech canadienne au troisième trimestre 2024.
Au-delà de l'exploit que représente ce tour de table pour Clio, il est révélateur d'une tendance de fond : celle des entreprises technologiques qui, face à des marchés boursiers hostiles, préfèrent lever des fonds auprès d'investisseurs privés plutôt que de s'introduire en bourse ou de rester cotées.
Un contexte boursier défavorable aux entreprises technologiques
Selon un rapport du Globe and Mail de septembre, sur la vingtaine d'entreprises tech canadiennes introduites en bourse en 2020, près de la moitié ont depuis quitté les marchés, soit en se faisant racheter par des fonds de private equity, soit en se retirant purement et simplement de la cote.
Parmi les opérations notables de 2024, on peut citer les retraits de Copperleaf Technologies, MDF Commerce, Q4 Inc, CloudMD ou encore BBTV. La société de paiements montréalaise Nuvei a quant à elle été rachetée pour 6,3 milliards de dollars US par le fonds Advent International, seulement trois ans et demi après son entrée en bourse.
Clio choisit le financement privé pour échapper à la pression des marchés
Dans ce contexte, le PDG de Clio Jack Newton a préféré lever des fonds au lieu de céder aux exigences des investisseurs voulant une introduction en bourse rapide ou une vente de l'entreprise. Selon lui, ce "méga-tour" de financement, composé en grande partie d'actions secondaires, permet de relâcher la pression en laissant les investisseurs historiques se retirer, sans pour autant entrer sur des marchés boursiers hostiles.
"Vous n'avez pas besoin de vendre. Les fondateurs peuvent voir les marchés privés comme un moyen de laisser leurs investisseurs existants se retirer."
Jack Newton, PDG de Clio
Se retirer de la bourse : la solution pour "nettoyer" en coulisses ?
Pour Tamara Steffens de Thomson Reuters Ventures, le retour au privé permet aux entreprises d'échapper aux regards scrutateurs à un moment où elles ne peuvent pas présenter les résultats attendus par les marchés. Cela leur donne la possibilité d'assainir leur situation financière et de réduire leurs coûts plus discrètement qu'en étant cotées en bourse.
"C'est peut-être mieux de repasser en privé, de nettoyer en coulisses côté coûts, ce que vous pouvez faire de façon moins visible qu'en étant une société cotée en bourse. Vous pourrez peut-être vous réintroduire en bourse dans quelques années, mais c'est épuisant d'être coté. C'est brutal."
Tamara Steffens, Thomson Reuters Ventures
Des valorisations plus réalistes ouvrent la voie à de futures introductions en bourse
Malgré le repli actuel, de nombreuses entreprises tech canadiennes se disent prêtes pour une future entrée en bourse, le moment venu. Selon le Globe and Mail, 71 entreprises technologiques privées au Canada ont atteint les 100 millions de dollars de revenus récurrents annuels (ARR), un jalon clé reflétant leur maturité et pérennité.
Parmi elles, l'application de voyage Hopper dépasse déjà les 300 millions de dollars d'ARR. Sans être pressée d'entrer en bourse, elle se tient prête pour saisir la bonne opportunité, d'après Sophie Forest de Brightspark Ventures, membre de son conseil d'administration. Une approche partagée par Kyle Braatz, PDG de Fullscript, dont la société frôle le milliard de dollars d'ARR :
"Je dirais que nous avons un marché porteur. Nous avons des revenus récurrents très prévisibles, nous avons la rentabilité, nous avons une équipe solide, nous avons tous les atouts d'une bonne société cotée en bourse. C'est juste une question de timing."
Kyle Braatz, PDG de Fullscript
En attendant une conjoncture plus favorable, certaines de ces entreprises pourraient suivre l'exemple de Clio et lever d'importantes sommes en actions secondaires pour donner de la liquidité à leurs investisseurs, comme l'a fait récemment la société d'intelligence artificielle Databricks avec un tour de 10 milliards de dollars.
Tamara Steffens prédit une réouverture progressive du marché des introductions en bourse technologiques en 2025, qui devrait s'accélérer en 2026. Reste à savoir quelles entreprises canadiennes sauront tirer leur épingle du jeu et réussir leur entrée en bourse après ces années compliquées. Une chose est sûre, le paysage technologique canadien promet encore de belles surprises.