L’Essor des Routes Commerciales Mondiales Malgré les Défis
Imaginez un instant que vous êtes au siège d'Hapag-Lloyd, cinquième armateur mondial, en ce 15 décembre 2023. La tension est palpable. Depuis plusieurs semaines, les rebelles houthis ciblent des navires à destination d'Israël au large du détroit de Bab el-Mandeb. Cette fois, c'est un de vos porte-conteneurs qui a été touché. Face à ce risque devenu trop grand, une décision s'impose : abandonner la route du canal de Suez et se tourner vers le cap de Bonne-Espérance, malgré les douze jours de mer supplémentaires que cela implique. Un défi logistique et économique de taille, reflet des bouleversements qui secouent actuellement les routes du commerce mondial.
Des routes commerciales sous pression
Tensions géopolitiques, montée du protectionnisme, crises climatiques... Les grandes artères du commerce international sont mises à rude épreuve. La route du canal de Suez a vu son trafic chuter de 70% depuis fin 2023 selon la Cnuced. Mais d'autres points névralgiques sont touchés. Le canal de Panama doit composer avec une sécheresse historique liée à El Niño, contraignant certains à contourner l'Amérique du Sud. La Russie, sous le coup des sanctions occidentales, réoriente quant à elle ses exportations de pétrole vers l'Inde et la Chine.
Les routes maritimes ont l'avantage de pouvoir se reconfigurer très vite. On a longtemps cru qu'elles ne faisaient que suivre le commerce, mais elles dépendent aussi de la géopolitique.
Paul Tourret, directeur de l'Institut supérieur d'économie maritime
Conséquence directe pour les entreprises : une belle pagaille. Embouteillages dans les ports, pénurie de conteneurs, immobilisations prolongées des marchandises... Les chaînes d'approvisionnement doivent composer avec des routes allongées et moins directes. Entre 2000 et 2024, la distance moyenne parcourue par tonne de marchandises est passée de 4675 à 5186 miles nautiques.
Une réorganisation à marche forcée
Face à ce nouveau paysage, les entreprises s'adaptent. Certains flux se développent entre pays alignés géopolitiquement, contournant les grands blocs antagonistes. Le Mexique est ainsi devenu le premier fournisseur des États-Unis, tout en accélérant ses propres importations chinoises. Des armateurs comme CMA CGM et MSC ont d'ailleurs annoncé de nouvelles lignes régulières pour relier les deux pays.
Au-delà des ajustements à court terme, les investissements directs étrangers donnent une vision plus prospective de la redistribution des cartes. Le Maroc, par exemple, attire massivement les projets chinois dans le véhicule électrique, tirant profit de sa position stratégique avec ses accords de libre-échange avec les États-Unis et l'Union européenne.
Vers des chaînes d'approvisionnement plus résilientes
Pour les industriels, l'enjeu est désormais de bâtir des supply chains plus réactives et résilientes. Cela passe par une production au plus près des marchés quand c'est possible, mais aussi par une meilleure évaluation des risques liés aux réorganisations. Suivi en temps réel des cargaisons, renforcement des partenariats avec les armateurs, constitution de stocks de sécurité... Les stratégies se peaufinent pour naviguer au mieux dans ce nouveau contexte.
L'avenir promet de rester mouvementé, avec la perspective d'une hausse des droits de douane américains suite à l'élection de Donald Trump et la multiplication des tensions sur les produits de haute technologie. Mais une chose est sûre : malgré les crises et les conflits, le commerce mondial continuera de tracer sa route. Aux entreprises de savoir s'y adapter, pour transformer les défis en opportunités.