L’uranium, enjeu économique et environnemental pour les Autochtones au Canada
Au nord de la province canadienne du Saskatchewan, les vastes étendues sauvages abritent certains des plus riches gisements d'uranium au monde. Une manne qui attire les compagnies minières, mais qui pose un dilemme cornélien aux communautés autochtones vivant sur ces terres ancestrales. Car si l'industrie uranifère est source d'emplois et de développement économique indéniable, elle soulève aussi de vives inquiétudes sur le plan environnemental et sanitaire.
Des relations compliquées avec l'industrie minière
Pour les Premières Nations Cree et Dene du bassin de l'Athabasca, l'arrivée des mines d'uranium dans les années 1970 a d'abord été vécue comme une intrusion, sur fond de traumatismes liés au colonialisme. « D'aussi loin que je me souvienne, des gens sont venus chercher de l'uranium. Il n'y avait pas de route pour aller chez nous, mais il y avait déjà de l'exploration », raconte J.B. Campbell, un « ancien » de la communauté d'English River ayant lui-même travaillé dans ces mines.
Malgré les progrès réalisés en termes de protection des travailleurs, la peur des effets de la radioactivité reste ancrée. Katrina Maurice, une mère Dene, s'inquiète ainsi de consommer l'eau, le gibier et les baies provenant du territoire, et souligne le rôle de « gardiens de l'environnement » des peuples autochtones.
Tirer parti du boom de l'uranium
Pour autant, les communautés ne s'opposent pas frontalement à l'industrie minière, conscientes de son poids économique dans cette région isolée. « Il y a un large soutien parmi nous », confirme Sean Willy, PDG de Des Nëdhë, la société de développement de la Première Nation d'English River. Avec ses 23 filiales dans des secteurs comme le BTP, le transport aérien ou même le cannabis, elle profite pleinement de l'activité générée par les mines d'uranium.
Notre motivation première n'est pas d'accumuler des profits, mais d'assurer l'éducation et des opportunités à nos jeunes.
Sean Willy, PDG de Des Nëdhë
Un devoir de consultation des peuples autochtones
Le processus de réconciliation entamé par le Canada change aussi la donne. Les compagnies uranifères ont désormais un devoir légal de consulter les Premières Nations et de prendre en compte leurs revendications. Un levier utilisé par des négociatrices comme Cheyenna Campbell d'English River pour obtenir des garanties en termes d'emploi local, de suivi environnemental ou d'études d'impact.
« Il faut que l'on me montre comment notre mode de vie et notre culture seront protégés, puis comment le projet bénéficiera à ma communauté », résume-t-elle. Des exigences renforcées pour les projets miniers à venir, mais qui se heurtent parfois à des visions divergentes entre Premières Nations.
Vers une cogestion des ressources minières ?
Certaines, comme Birch Narrows en 2021, vont jusqu'à expulser des compagnies d'exploration ne respectant pas le processus de consultation. D'autres s'inquiètent de l'accumulation des mines d'uranium sur leurs terres. « Toutes les Nations n'ont pas la même position », souligne Sheldon Wuttunee du Centre d'excellence sur les ressources du Saskatchewan, qui fournit une expertise indépendante aux communautés.
Au-delà, il évoque une revendication émergente : permettre aux Autochtones de devenir eux-mêmes propriétaires de projets miniers, aux côtés des industriels. Une perspective qui ouvrirait la voie à une véritable cogestion des ressources du sous-sol, dans le respect des droits et des aspirations des peuples premiers.
Entre impératifs économiques et préoccupations environnementales, les communautés autochtones du Saskatchewan cherchent ainsi leur voie pour accompagner le développement de la filière uranifère, héritage d'un passé complexe et clé de leur avenir. Un équilibre délicat à trouver, pour que les retombées profitent au plus grand nombre sans compromettre un mode de vie millénaire.