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Christel Bories : Le Virage Stratégique d’Eramet Décrypté
Avez-vous déjà imaginé ce qui se passe dans la tête d’une PDG qui a transformé une entreprise minière en huit ans, tout en jonglant avec des défis mondiaux ? Christel Bories, à la tête d’Eramet jusqu’en mai 2025, a marqué l’histoire de ce groupe français. Lors de la présentation des résultats annuels 2024, elle s’est confiée à L’Usine Nouvelle sur son parcours, ses choix audacieux et l’avenir d’une industrie clé pour la transition énergétique. Plongeons dans cette aventure où se mêlent stratégie, métaux rares et vision internationale.
Un Tournant Décisif pour Eramet
Arrivée en 2017, Christel Bories a hérité d’un groupe aux activités dispersées, entre mines et métallurgie. Sa mission ? Recentrer Eramet sur son cœur de métier : l’extraction de minerais stratégiques. Huit ans plus tard, le bilan est impressionnant : un chiffre d’affaires de 3,37 milliards d’euros en 2024 et une place de leader mondial dans le manganèse. Mais ce repositionnement n’a pas été un long fleuve tranquille.
Repositionner une Entreprise : Pari Gagnant ?
Quand Christel Bories prend les rênes, Eramet est un puzzle industriel. Mines au Gabon, usines métallurgiques en France, filiale en difficulté en Nouvelle-Calédonie : tout semble éparpillé. Elle décide alors de trancher dans le vif. Exit les activités comme Aubert & Duval ou Erasteel, vendues pour recentrer les efforts sur des gisements phares : le nickel en Indonésie, le lithium en Argentine et le manganèse au Gabon.
Ce choix stratégique repose sur une logique implacable. “Dans les mines, la nature crée des avantages compétitifs”, expliquait-elle. Contrairement aux usines, où la technologie est similaire partout, les gisements offrent des différences naturelles qui dopent la rentabilité. Résultat : une entreprise plus lisible pour les investisseurs et une compétitivité renforcée.
« Je n’ai pas le sentiment de laisser un travail à moitié fait. La transformation initiée en 2017 a été menée à bien. »
– Christel Bories, PDG d’Eramet
Ce virage a aussi permis à Eramet de devenir un acteur clé des métaux pour batteries, comme le nickel et le lithium, au moment où la demande explose avec les véhicules électriques. Une anticipation visionnaire ? Sans doute.
Les Défis de la SLN en Nouvelle-Calédonie
Si le repositionnement est une réussite globale, la situation en Nouvelle-Calédonie reste un caillou dans la chaussure. La SLN, filiale historique d’Eramet, a été sortie du périmètre économique du groupe, sa dette désormais portée par l’État français. Mais les soucis persistent. Les émeutes de 2024 ont paralysé les mines de la côte Est, et l’usine tourne au ralenti, à deux tiers de sa capacité.
Pourquoi une telle impasse ? Christel Bories pointe du doigt des facteurs hors de contrôle : un accès limité aux gisements et des coûts énergétiques prohibitifs (jusqu’à 200 dollars le mégawattheure contre 50 en Asie). Pour elle, la solution ne viendra pas des industriels, mais du politique.
- Accès aux mines bloqué par les tensions locales.
- Coûts énergétiques écrasants face à la concurrence mondiale.
- Dépendance à un mix chimique complexe entre minerais des deux côtes.
Elle reste lucide : le nickel calédonien a du potentiel, mais sans décisions politiques fortes, il risque de stagner. Un défi qu’elle lègue à son successeur.
Nickel et Lithium : les Nouveaux Eldorados
Si la Nouvelle-Calédonie patine, d’autres projets brillent. En Indonésie, la mine de Weda Bay est une pépite. Avec des coûts de production parmi les plus bas au monde, elle positionne Eramet comme un leader du nickel. Mais 2024 a apporté une douche froide : le gouvernement local a réduit les quotas d’extraction, bloquant une montée à 60 millions de tonnes. “Un choc”, avoue Christel Bories, qui espère un assouplissement en 2025.
Pendant ce temps, en Argentine, le gisement de Centenario marque l’entrée d’Eramet dans le lithium. Lancée en décembre 2024, l’usine grimpe en puissance, avec une pleine capacité attendue d’ici fin 2025. Ce projet, financé par un endettement conséquent, illustre une ambition : sécuriser les métaux de la transition énergétique.
Ces deux initiatives ont un point commun : elles placent Eramet au cœur des besoins des batteries lithium-ion. Une aubaine alors que la demande mondiale explose.
Manganèse : une Puissance Mondiale à l’Épreuve
Au Gabon, la mine de manganèse de Moanda est devenue la plus grande du monde sous la direction de Christel Bories. Elle génère **75 % de l’Ebitda** d’Eramet, un pilier financier. Pourtant, octobre 2024 a vu un arrêt temporaire de la production. Pas à cause des prix, mais d’un marché saturé : les clients, gavés de stocks, ont cessé d’acheter.
Cet épisode rare illustre la volatilité des commodités. Avec une baisse prévue de la production d’acier chinois en 2025 (-2 % en 2024), le manganèse reste sous pression. Mais la résilience d’Eramet, avec un Ebitda de 800 millions d’euros malgré ces vents contraires, témoigne d’une solidité nouvelle.
Une Mine Responsable : Réalité ou Mirage ?
Christel Bories a fait de la **mine responsable** un étendard. Mais les critiques fusent. Au Sénégal, des associations dénoncent l’impact environnemental des activités d’Eramet. En Indonésie, Weda Bay est accusée de polluer, bien que la PDG attribue ces problèmes aux mines artisanales voisines.
Alors, la mine “verte” est-elle un mythe ? Pas forcément. Au Gabon, 15 % du gisement est gelé pour protéger des forêts uniques. Au Sénégal, les dunes sont reprofilées et reboisées après exploitation. “Tout dépend de la compensation et de la réhabilitation”, insiste-t-elle.
« Nous restons exemplaires en termes de mine responsable. »
– Christel Bories, PDG d’Eramet
Ces efforts ne taisent pas toutes les critiques, mais ils dessinent une voie médiane entre industrie et écologie.
Paulo Castellari : un Nouveau Souffle International
En mai 2025, Christel Bories cédera sa place à Paulo Castellari, un Italo-Brésilien, premier dirigeant non français d’Eramet. Ce choix reflète une entreprise désormais globale : plus agile, moins bureaucratique, avec des filiales autonomes. “Notre transformation culturelle est bien avancée”, assure-t-elle.
Castellari héritera d’un groupe solide, mais aussi de défis : relancer la SLN, négocier les quotas indonésiens, et gérer un endettement lié au lithium. Sa vision internationale sera un atout dans un secteur dominé par des géants asiatiques.
2024 : Résilience dans la Tempête
Avec un Ebitda en baisse de 11 %, 2024 n’a pas été une année facile. Pourtant, Christel Bories relativise : “Nous résistons mieux aux bas de cycle qu’avant.” Les coûts élevés des intrants et la faiblesse des prix n’ont pas empêché un gain de productivité de 135 millions d’euros. Une performance dans un contexte pire que le Covid.
- Prix des matières premières en berne.
- Coûts des intrants toujours élevés.
- Amélioration interne qui limite la casse.
Cette résilience est le fruit d’une stratégie long terme, loin des réactions impulsives.
L’Avenir d’Eramet : Entre Ambition et Réalisme
Pour Christel Bories, le futur passe par des partenariats plutôt que des acquisitions massives, vu l’endettement actuel. Une extension de Centenario est envisagée d’ici 2026, et l’aval du nickel en Indonésie reste dans le viseur. Mais elle met en garde : “Il faut éviter le stop and go.” Une leçon apprise des Chinois, champions de la continuité.
Face aux soubresauts géopolitiques, comme les droits de douane américains, elle appelle l’Europe à se protéger sans s’isoler. “L’Europe risque de devenir le dépotoir des surplus mondiaux”, prévient-elle, plaidant pour des joint-ventures et des transferts technologiques.
En quittant la direction générale, Christel Bories laisse une entreprise transformée, prête à affronter les défis de la transition énergétique. Mais une question demeure : Paulo Castellari saura-t-il capitaliser sur cet héritage ? L’histoire le dira.