Projet Ugi’Ring en Savoie : L’Aciérie Qui Divise
Imaginez une vallée paisible au cœur des Alpes, où les sommets enneigés attirent chaque hiver des milliers de skieurs. À quelques kilomètres des célèbres stations de la Tarentaise, comme Courchevel ou La Plagne, un projet industriel ambitieux voit le jour. Mais loin de susciter l’enthousiasme unanime, il divise profondément la population locale. L’aciérie circulaire Ugi’Ring, portée par Ugitech, promet de révolutionner le recyclage des déchets industriels. Pourtant, son classement en **Seveso seuil haut** fait trembler les habitants. Entre innovation écologique et craintes sanitaires, plongeons dans ce débat qui agite la Savoie.
Un Projet Innovant au Cœur des Alpes
À La Léchère, petite commune savoyarde nichée entre montagnes et forêts, un terrain industriel abandonné reprend vie. Depuis la fermeture de l’usine électrométallurgique Ferropem en 2021, ce site de 10,5 hectares semblait voué à l’oubli. Mais Ugitech, géant de l’acier et filiale de Swiss Steel, y voit une opportunité unique. Avec Ugi’Ring, l’entreprise ambitionne de créer une **aciérie circulaire**, une première mondiale selon ses dires.
Le concept ? Transformer des déchets industriels et des piles usagées en matières premières pour l’industrie sidérurgique. Fini les importations massives de ferro-alliages extraits des mines : Ugitech veut réduire de plus de **90 %** ses approvisionnements primaires. Un investissement colossal de 90 millions d’euros, soutenu à hauteur de 9,4 millions par l’État via le plan France Relance, porte cette vision audacieuse.
Une Révolution pour l'Économie Circulaire
Pourquoi ce projet intrigue-t-il autant ? Parce qu’il s’inscrit dans une tendance mondiale : celle de l’**économie circulaire**. Recycler des déchets industriels pour en faire des ressources précieuses, c’est un pas vers une industrie plus durable. À La Léchère, Ugitech prévoit de valoriser des rebuts métalliques et des piles alcalines ou salines, souvent difficiles à traiter.
Cette initiative pourrait changer la donne pour le secteur de la métallurgie. En diminuant sa dépendance aux matières premières extraites, l’entreprise réduit son empreinte carbone et s’aligne sur les objectifs climatiques. Frédéric Perret, directeur d’Ugi’Ring, ne cache pas sa fierté :
« Nous voulons prouver qu’on peut être un industriel responsable, respectueux des normes les plus strictes. »
– Frédéric Perret, directeur d’Ugi’Ring
Mais cette révolution a un prix, et pas seulement financier. Car si l’idée séduit sur le papier, elle soulève aussi de sérieuses questions localement.
Un Classement Seveso qui Fait Peur
Tout bascule en février 2024, lors d’une réunion publique à La Léchère. Les habitants découvrent que leur future voisine, l’aciérie Ugi’Ring, sera classée **Seveso seuil haut**. Ce label, réservé aux sites manipulant des quantités importantes de substances dangereuses, ravive des souvenirs douloureux : accidents industriels, pollutions, risques pour la santé. Dans une région où le tourisme et la nature sont rois, l’annonce passe mal.
Le collectif « Bien Être », porté par Yves Billiet-Prades, un opposant de longue date, monte au créneau. Une pétition lancée par ses membres dépasse rapidement les **18 000 signatures**. Leurs craintes ? Une potentielle contamination de l’air et de l’eau, dans une vallée déjà fragile écologiquement.
Face à ces inquiétudes, Ugitech tente de rassurer. Un bureau d’études indépendant conclut à « l’absence d’impact sanitaire » lié aux travaux de déconstruction du site. Mais pour beaucoup, le doute persiste : que se passera-t-il une fois la production lancée ?
La Savoie, Terre de Contrastes
La Savoie n’est pas étrangère aux projets industriels ambitieux. Avec Ugitech, déjà implanté à Ugine avec 1 300 salariés, la région abrite le plus gros employeur privé du département. Mais juxtaposer une usine classée Seveso aux portes des stations de ski emblématiques comme Courchevel ou Val Thorens crée un contraste saisissant.
Les stations de la Tarentaise attirent chaque année des millions de visiteurs, séduits par la pureté de l’air alpin et la beauté des paysages. Une aciérie, même verte, peut-elle cohabiter avec cette image idyllique sans la ternir ? Les habitants craignent que le tourisme, moteur économique de la région, ne pâtisse de cette nouvelle implantation.
Pourtant, certains y voient une chance. Recycler localement, c’est aussi créer des emplois et dynamiser une vallée qui ne vit pas uniquement du ski. Le défi sera de trouver un équilibre entre ces deux réalités.
Un Feu Vert Contesté
Après des mois de débats, le préfet de la Savoie donne son aval en octobre 2024. L’enquête publique, malgré quelques réserves, conclut à la viabilité du projet. La production doit démarrer en 2027, mais le collectif « Bien Être » n’a pas dit son dernier mot. Une bataille juridique pourrait encore retarder les travaux.
Les opposants demandent un arrêt immédiat des opérations, arguant que les normes sanitaires et environnementales ne sont pas pleinement garanties. Ils réclament aussi une surveillance accrue et une enquête sur les pratiques d’Ugitech. De son côté, l’entreprise maintient que tout est sous contrôle.
Ce feu vert divise plus que jamais. Pour les uns, c’est une victoire de l’innovation ; pour les autres, un risque trop grand dans une région sensible.
Les Enjeux Écologiques en Question
Derrière ce projet, c’est tout l’avenir de l’industrie verte qui se joue. Réduire l’extraction minière et valoriser les déchets, c’est une réponse concrète aux défis climatiques. Mais à quel prix pour les populations locales ? La classification Seveso implique des stocks de substances dangereuses, et même avec des normes strictes, le risque zéro n’existe pas.
Voici quelques points clés soulevés par ce débat :
- Réduction massive des matières premières importées.
- Recyclage innovant de piles et déchets industriels.
- Risques potentiels liés au classement Seveso seuil haut.
- Impact possible sur le tourisme en Tarentaise.
Le projet Ugi’Ring illustre une tension universelle : concilier progrès industriel et préservation de l’environnement. Un équilibre délicat à trouver.
Une Communauté Face à Son Destin
À La Léchère, les habitants se sentent à un tournant. D’un côté, l’espoir d’un renouveau économique ; de l’autre, la peur de voir leur qualité de vie altérée. Le collectif « Bien Être » incarne cette résistance, mais il reflète aussi une méfiance croissante envers les grands projets industriels.
Les stations de ski voisines observent avec attention. Si Ugi’Ring réussit, il pourrait devenir un modèle pour d’autres régions. Mais en cas d’échec ou d’incident, les retombées pourraient être désastreuses, tant pour l’image de la Savoie que pour ses habitants.
Les prochaines années seront décisives. La production, prévue pour 2027, dira si ce pari audacieux était une avancée ou une erreur.
Un Modèle pour l'Avenir ?
Et si Ugi’Ring était plus qu’un simple projet local ? Dans un monde où les ressources s’épuisent, repenser la façon dont nous produisons l’acier pourrait inspirer d’autres industries. Recycler au lieu d’extraire, c’est une philosophie qui dépasse les frontières de la Savoie.
Pourtant, le succès dépendra de la capacité d’Ugitech à tenir ses promesses. Les habitants, eux, attendent des garanties tangibles. Car au-delà des chiffres et des ambitions, c’est leur quotidien qui est en jeu.
En attendant, le débat continue de faire rage. Entre espoirs et doutes, Ugi’Ring reste une énigme à déchiffrer, au pied des montagnes enneigées.