
Coût des EPR2 d’EDF : 100 Milliards en Jeu ?
Imaginez un projet titanesque, capable de redessiner l’avenir énergétique de la France, mais dont le prix pourrait faire trembler les murs de Bercy. Les six futurs réacteurs EPR2 d’EDF, ces géants du nucléaire nouvelle génération, sont au cœur d’une équation aussi fascinante qu’épineuse : leur coût pourrait frôler les 100 milliards d’euros. Entre ambitions écologiques, défis techniques et tensions financières, ce chantier monumental soulève une question : la France peut-elle vraiment se permettre cette révolution énergétique ?
Un Devis qui Donne le Vertige
Quand on parle d’énergie nucléaire, les chiffres ont vite fait de s’envoler. Initialement estimé à 67,4 milliards d’euros fin 2023, le coût des six EPR2 a été réévalué à la hausse, flirtant désormais avec une barre symbolique : **100 milliards d’euros**. Une augmentation qui n’a rien d’anodin, surtout quand on sait que ce montant reste une hypothèse soumise à de multiples variables.
Pourquoi une telle inflation ? La réponse tient en partie à la volonté d’EDF de construire plus vite. Réduire la durée des chantiers à 70 mois par réacteur – contre 105 mois initialement prévus – exige des ajustements coûteux, comme la préfabrication massive des structures en béton. Mais ce n’est pas tout : les frais financiers, liés à la longueur des travaux, pèsent lourd dans la balance.
Un Bras de Fer avec l’État
Entre EDF et le gouvernement, la tension est palpable. Alors que l’État attendait un devis précis fin 2024, l’énergéticien a repoussé l’échéance à fin 2025. Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Énergie, a lâché le chiffre choc de « moins de 100 milliards » sur Sud Radio, laissant planer le doute : s’agit-il d’un coût brut ou incluant les intérêts du financement ?
« Nous avons des devis suffisants pour le montage financier, mais ils doivent encore être affinés. »
– Luc Rémont, PDG d’EDF
Luc Rémont, à la tête d’EDF, préfère jouer la carte de la prudence. Pour lui, il s’agit d’avancer en parallèle sur l’optimisation des coûts et la recherche d’un équilibre financier. Une approche qui agace certains au sommet de l’État, pressés de boucler le budget de ce projet stratégique.
Construire Plus Vite : un Pari Audacieux
Le calendrier est au cœur des préoccupations. EDF veut révolutionner ses méthodes pour tenir les 70 mois par réacteur. Cela passe par une idée ambitieuse : **préfabriquer des pans entiers du génie civil**. Une technique qui promet de gagner du temps, mais qui gonfle les devis initiaux, notamment celui d’Eiffage pour la première paire d’EPR2 à Penly, en Seine-Maritime.
Cette course contre la montre n’est pas sans risque. Si les éléments préfabriqués permettent de limiter les retards, ils exigent une planification sans faille et des investissements initiaux conséquents. Un pari qui pourrait faire de l’EPR2 un modèle d’efficacité… ou un gouffre financier.
Des Wagons à Assembler
Luc Rémont aime comparer le projet EPR2 à un train dont les wagons doivent s’assembler au bon moment. Mais tous ne sont pas encore sur les rails. Le « wagon génie civil » avance avec un nouveau devis pour Penly, mais les autres paires, à Gravelines (Nord) et Bugey (Ain), restent dans le flou. Quant au « wagon électrotechnique », il est loin d’être prêt : les plans détaillés ne sont qu’à leurs débuts.
Côté équipements, EDF peut compter sur ses filiales. Framatome fournit déjà les cuves et générateurs de vapeur, tandis qu’Arabelle Solutions prépare les turboalternateurs. Une production en série qui pourrait réduire les coûts… à condition que tout s’aligne parfaitement.
Les Leçons du Passé
Les déboires des chantiers de Flamanville et d’Hinkley Point C hantent encore dans les mémoires. Retards, surcoûts, plans inachevés : EDF jure avoir appris de ses erreurs. Cette fois, pas question de couler le premier béton sans avoir finalisé au moins 75 % des plans détaillés. Une rigueur qui ralentit le démarrage, mais qui pourrait éviter une facture encore plus salée.
À Penly, le premier réacteur ne devrait pas entrer en service avant 2038-2040, loin des promesses initiales de 2035. Un décalage qui illustre la complexité de ce projet hors normes et les incertitudes qui persistent.
Une Filière sous Tension
Pour construire ces six réacteurs, la filière nucléaire française doit relever un autre défi : recruter massivement. On parle de **100 000 embauches en dix ans**, dont 65 000 emplois industriels. Problème : les compétences manquent, et le planning incertain n’aide pas à attirer les talents.
La Cour des comptes l’a souligné dans son dernier rapport : sans visibilité claire, la filière risque de patiner. Un enjeu crucial pour tenir les délais et limiter les dérives budgétaires.
Un Investissement pour l’Avenir ?
Face à ces chiffres vertigineux, une question se pose : les EPR2 valent-ils vraiment leur prix ? Pour les défenseurs du projet, ces réacteurs sont une pièce maîtresse de la **transition énergétique**. Leur capacité à produire une énergie bas carbone sur le long terme pourrait justifier l’investissement, surtout dans un contexte de crise climatique.
Mais les critiques ne manquent pas. Certains pointent du doigt des alternatives moins coûteuses, comme les énergies renouvelables ou les petits réacteurs modulaires (*Small Modular Reactors*). D’autres s’inquiètent de la dépendance au nucléaire dans un monde en mutation rapide.
Les Clés de la Réussite
Pour que les EPR2 ne deviennent pas un fiasco, plusieurs conditions devront être remplies. Voici les grandes lignes :
- Une coordination sans faille entre EDF, ses partenaires et l’État.
- Une maîtrise des coûts grâce à la préfabrication et à la production en série.
- Un effort massif pour former et recruter les talents nécessaires.
Si ces éléments s’alignent, les EPR2 pourraient devenir un modèle de réussite. Sinon, ils risquent de rester un symbole de démesure.
Vers une Décision Cruciale en 2026
Le compte à rebours est lancé. D’ici au second semestre 2026, EDF et l’État devront trancher : lancer ou non ce chantier colossal. Un choix qui engagera la France pour des décennies, entre promesses d’une énergie durable et réalités budgétaires implacables.
En attendant, le flou persiste. Les 100 milliards d’euros ne sont encore qu’une estimation, mais ils cristallisent les espoirs et les craintes d’un pays décidé à jouer gros pour son avenir énergétique. Une chose est sûre : ce projet ne laissera personne indifférent.