
Délocalisation chez Thales : 39 Emplois Menacés dans le Tarn
Imaginez une petite commune paisible du Tarn, où une usine discrète mais stratégique fabrique des outils essentiels pour entraîner nos forces armées. À Terssac, près d’Albi, Thales Simulation & Training est au cœur d’une tempête inattendue : un projet de délocalisation vers la Roumanie menace de rayer 39 emplois d’une équipe qui n’en compte que 89. Cette annonce, lâchée comme une bombe fin 2024, soulève des questions brûlantes sur l’avenir de ce site, mais aussi sur la cohérence entre les discours de souveraineté nationale et les choix industriels d’un géant comme Thales.
Une Délocalisation qui Fait Trembler Terssac
Quand on parle de défense, on pense souvent à des technologies de pointe, à des enjeux géopolitiques majeurs, mais rarement à une petite usine nichée dans le sud-ouest de la France. Pourtant, c’est bien là que Thales Simulation & Training, une branche du groupe Thales spécialisée dans les équipements d’entraînement militaire, risque de voir son destin basculer. Selon les informations relayées par la CGT, la direction envisage de transférer une partie de ses activités à l’étranger, en Roumanie, d’ici fin 2026. Sur les 89 postes actuels, **39 sont dans la ligne de mire**, une coupe drastique qui pourrait fragiliser l’ensemble du site.
Un Site Historique sous Pression
L’histoire de Terssac ne date pas d’hier. Avant d’être rachetée par Thales AVS en 2022, cette usine portait les couleurs de Gavap, puis de Ruag Defence France. Aujourd’hui, elle s’est taillé une réputation dans la conception de **simulateurs militaires**, des outils précieux pour former les soldats. Des stands de tir virtuels aux gilets bardés de capteurs pour des entraînements en conditions réelles, l’équipe excelle dans un domaine où précision et innovation sont reines. Mais ce savoir-faire, patiemment construit, semble aujourd’hui menacé par une logique économique qui privilégie les coûts sur la localisation.
Grégory Lewandowski, coordinateur CGT chez Thales, ne mâche pas ses mots. Pour lui, ce projet est tout simplement « inacceptable ». Il craint que cette réduction d’effectifs ne soit qu’un prélude à une fermeture totale, le site risquant de tomber sous une **taille critique** qui rendrait sa survie impossible. Une perspective d’autant plus alarmante que Thales, avec l’État comme actionnaire principal, se pose en champion de la souveraineté française.
Pourquoi la Roumanie ? Les Dessous d’une Décision
Alors, pourquoi délocaliser ? La réponse semble évidente : les coûts. La Roumanie, avec des salaires bien inférieurs à ceux pratiqués en France, est devenue une destination prisée pour les entreprises cherchant à optimiser leurs marges. Mais ce choix soulève un paradoxe troublant. Comment une entreprise comme Thales, qui fournit des technologies sensibles au ministère des Armées, peut-elle envisager de déplacer une partie de ses activités hors du territoire national ? Pour beaucoup, cette décision va à l’encontre des discours officiels sur la **relocalisation** et la préservation des compétences stratégiques.
« Il est paradoxal d’entendre parler de souveraineté de la part de l’État, premier actionnaire de Thales, et d’envisager de ne pas garder sur le sol français les compétences permettant aux militaires de s’entraîner. »
– Grégory Lewandowski, coordinateur CGT Thales
Ce n’est pas la première fois que Thales fait parler de lui pour des choix controversés. En 2024, le groupe avait déjà gelé certains recrutements d’ingénieurs en France pour privilégier des embauches en Inde et en Roumanie. À Terssac, cette nouvelle délocalisation est perçue comme un coup supplémentaire porté à l’emploi local, dans une région où l’industrie reste un pilier économique.
Les Simulators de Thales : Une Technologie à la Pointe
Pour mieux comprendre l’enjeu, plongeons dans ce que fait réellement Thales Simulation & Training. Cette branche du groupe excelle dans la création de systèmes qui reproduisent des scénarios de combat avec un réalisme bluffant. Imaginez un soldat s’entraînant dans une cabine high-tech, ou un peloton équipé de gilets connectés simulant des impacts en temps réel. Ces technologies, souvent méconnues du grand public, sont pourtant cruciales pour préparer les forces armées aux défis modernes.
Le site de Terssac ne se contente pas de produire des gadgets. Il s’agit d’un maillon essentiel dans la chaîne de la défense française, un lieu où l’innovation rencontre des besoins concrets. Perdre une partie de cette expertise au profit d’un autre pays, c’est aussi risquer de diluer un savoir-faire qui fait la force de l’industrie tricolore.
La Réaction des Syndicats : Une Mobilisation en Marche
Face à cette menace, les syndicats ne restent pas les bras croisés. La CGT, en première ligne, a sonné l’alarme dès l’annonce du projet. Une expertise est en cours pour évaluer les impacts réels de cette délocalisation, et les représentants des salariés comptent bien peser dans la balance. Leur objectif ? Non seulement préserver les emplois, mais aussi proposer des alternatives pour redonner un souffle à Terssac.
Parmi les pistes évoquées, Grégory Lewandowski avance plusieurs idées. Pourquoi ne pas rapatrier davantage d’activités sur le site, par exemple dans l’**aéronautique**, en profitant de la proximité avec Toulouse, bastion de ce secteur ? Ou encore diversifier les compétences locales avec des projets futuristes, comme un gilet connecté capable de surveiller la santé des soldats en mission ? Ces propositions, encore à l’état d’ébauches, montrent une volonté de ne pas céder au fatalisme.
Un Enjeu de Souveraineté Nationale
Derrière cette affaire locale se cache une question bien plus large : celle de la souveraineté. Thales n’est pas une entreprise comme les autres. Avec l’État détenant une part significative de son capital, chaque décision stratégique résonne comme un signal politique. Comment justifier qu’un groupe aussi lié à la défense nationale sacrifie des emplois français pour des gains à court terme ? Pour les syndicats, c’est une aberration qui mérite d’être débattue au plus haut niveau.
Et ils ne sont pas seuls à s’interroger. Dans un contexte où l’Europe cherche à renforcer son autonomie stratégique face aux tensions transatlantiques, voir une entreprise comme Thales délocaliser une partie de ses activités sensibles a de quoi surprendre. D’autant que le groupe affiche une santé insolente, avec des prévisions de croissance de 6 à 7 % dans le secteur défense entre 2024 et 2028.
Les Alternatives Possibles : Réinventer Terssac
Et si cette crise était une opportunité ? C’est le pari que certains aimeraient voir Thales relever. Plutôt que de réduire les voiles, pourquoi ne pas investir dans de nouveaux projets pour consolider le site ? La diversification semble être un mot-clé dans les discussions actuelles. Un exemple concret : développer des technologies connectées pour la santé des soldats, un domaine en pleine expansion où la France pourrait se démarquer.
Une autre option serait de renforcer les synergies avec d’autres pôles d’excellence du groupe. Toulouse, à une heure de route, est un vivier d’innovation dans l’aéronautique et le spatial. En rapprochant ces expertises, Thales pourrait non seulement sauver des emplois, mais aussi poser les bases d’un hub technologique dans le Tarn.
Le Silence de la Direction : Un Signe Inquiétant ?
Pour l’instant, la direction de Thales reste muette. Contactée à plusieurs reprises, elle n’a pas souhaité commenter ce dossier brûlant. Un silence qui, pour les syndicats, ne fait qu’alimenter les doutes. La prochaine réunion de la commission centrale d’anticipation, prévue le 14 mars 2025, sera décisive. C’est là que les organisations syndicales espèrent obtenir des réponses claires et, surtout, des engagements concrets.
En attendant, l’incertitude plane sur Terssac. Les 89 salariés, dont près de la moitié pourraient voir leur poste disparaître, vivent dans l’attente. Pour eux, chaque jour qui passe rapproche un peu plus la deadline de 2026, date à laquelle la délocalisation devrait être effective si rien ne change.
Un Débat qui Dépasse les Frontières du Tarn
Ce qui se joue à Terssac n’est pas qu’une histoire locale. C’est un symptôme d’un malaise plus profond dans l’industrie française, tiraillée entre compétitivité globale et préservation de son tissu économique. Thales, avec ses 40 000 employés en France, incarne cette ambivalence. D’un côté, il se positionne comme un fleuron technologique ; de l’autre, il n’hésite pas à tailler dans ses effectifs locaux pour rester dans la course.
Ce cas rappelle d’autres épisodes récents. En 2024, Thales Alenia Space avait annoncé la suppression de 980 postes en France, dont 650 à Toulouse, malgré des carnets de commandes pleins. Une logique qui, pour beaucoup, défie le bon sens dans un secteur stratégique où la dépendance extérieure pourrait avoir des conséquences lourdes.
Et Après ? Les Scénarios Possibles
À quelques mois de la réunion clé de mars 2025, plusieurs futurs se dessinent pour Terssac. Le pire scénario ? Une délocalisation totale qui signerait la fin d’une aventure industrielle dans le Tarn. Le meilleur ? Une mobilisation réussie des syndicats et des pouvoirs publics pour maintenir, voire développer, l’activité sur place. Entre les deux, un compromis pourrait émerger : une réduction d’effectifs moins drastique, accompagnée d’un plan d’investissement.
Pour y voir plus clair, voici les options sur la table :
- Délocalisation complète : 39 emplois partent en Roumanie, avec un risque de fermeture à terme.
- Maintien partiel : Une partie des activités reste à Terssac, avec des coupes moins sévères.
- Relance ambitieuse : Investissements dans de nouveaux projets pour sécuriser l’avenir du site.
Lequel l’emportera ? Difficile à dire. Mais une chose est sûre : la bataille pour Terssac est loin d’être terminée.
Une Leçon pour l’Industrie Française
L’affaire Thales Simulation & Training dépasse les chiffres et les emplois. Elle met en lumière les tensions qui traversent l’industrie française à l’heure de la mondialisation. Comment concilier rentabilité et souveraineté ? Comment préserver des savoir-faire uniques dans un monde où tout s’achète et se vend au plus bas prix ? Ces questions, Terssac les pose avec une acuité particulière.
Pour les habitants du Tarn, pour les salariés de Thales, et pour tous ceux qui croient encore en une industrie forte en France, l’issue de ce bras de fer sera scrutée de près. Car au bout du compte, ce n’est pas seulement un site qui est en jeu, mais une vision de l’avenir.