
Tokai Carbon Met en Pause son Projet de Graphite en Savoie
Et si une opportunité majeure pour l’industrie française venait de s’évanouir dans les Alpes ? Le 13 mars dernier, le groupe japonais Tokai Carbon a pris une décision qui résonne comme un coup de tonnerre dans le secteur des batteries électriques : la mise en pause de son ambitieux projet de production de graphite synthétique en Savoie. Annoncé comme une révolution écologique, ce projet promettait de défier le monopole chinois tout en renforçant la souveraineté énergétique tricolore. Mais que s’est-il passé pour que ce rêve vert soit soudainement mis sur la touche ?
Un Projet d’Innovation Verte en Suspens
Imaginez un matériau capable de transformer l’industrie des batteries tout en réduisant drastiquement les émissions de CO2. C’est exactement ce que Tokai Cobex Savoie, la filiale française du géant japonais, ambitionnait de produire. Basée entre Vénissieux et La Léchère, l’entreprise avait mis au point un procédé unique pour fabriquer du graphite destiné aux anodes de batteries, avec une empreinte carbone 95 % inférieure à celle des standards chinois. Une prouesse qui positionnait la France comme un acteur potentiel dans un marché stratégique.
Mais voilà, ce rêve a été stoppé net. Prévu pour un investissement colossal de 500 millions d’euros d’ici fin 2025, le projet devait permettre de produire 50 000 tonnes de graphite par an. Une première ligne pilote était même déjà opérationnelle à Vénissieux, soutenue en partie par des fonds publics. Pourtant, la maison mère japonaise a décidé de ne pas débloquer les 24 millions d’euros nécessaires pour passer à la vitesse supérieure, laissant les équipes sur le carreau.
Pourquoi ce Retournement de Situation ?
Les raisons de cette pause sont multiples et s’entrelacent dans un contexte économique complexe. D’abord, le marché des véhicules électriques traverse une période de turbulences en Europe, avec une demande moins soutenue que prévu. Ajoutez à cela la récente élection de Donald Trump aux États-Unis, qui a semé le trouble dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, et vous obtenez un cocktail peu favorable aux grands investissements.
Tokai Carbon, coté à la bourse de Tokyo, n’échappe pas à ces vents contraires. En 2024, le groupe a enregistré des pertes importantes, notamment dans sa division européenne dédiée à l’aluminium et à l’électrométallurgie. Avec un résultat net négatif de 82 millions d’euros et des dépréciations d’actifs massives, la priorité semble s’être déplacée vers des « réformes structurelles drastiques », au détriment des ambitions vertes en Savoie.
« Les conditions économiques n’étaient pas réunies pour aller plus loin. »
– Un investisseur anonyme ayant étudié le projet
Un Coup Dur pour la Transition Écologique
Ce n’est pas qu’une question d’argent. Ce projet portait en lui une ambition bien plus large : réduire la dépendance européenne au graphite chinois, qui représente aujourd’hui presque 100 % de la production mondiale. En misant sur une alternative bas-carbone, Tokai Cobex Savoie offrait une réponse concrète aux défis de la transition énergétique. Sa mise en pause laisse un vide dans la stratégie française de réindustrialisation verte.
Les syndicats, eux, ne cachent pas leur frustration. Pour Jean-Luc Pozzalo, délégué CFDT avec 36 ans d’expérience dans l’entreprise, cette décision est un « arrêt total » déguisé. Un gros client était déjà prêt à acheter, les essais étaient validés, mais l’absence de financement a tout gelé. Résultat : une ligne de production qui tourne au ralenti, limitée à de petits contrats, loin des ambitions initiales.
Les Craintes d’une Délocalisation
Et si cette pause n’était que le prélude à un scénario plus sombre ? Les salariés de Tokai Cobex Savoie redoutent que cette décision ne cache une volonté de délocaliser certaines activités vers des pays comme la Pologne, où les coûts sont moindres. La production de carbone, qui emploie une centaine de personnes sur les 400 de l’entreprise, pourrait être la première visée.
Pour les équipes, c’est un patrimoine industriel qui est en jeu. L’usine de La Léchère, bientôt centenaire, incarne une histoire riche, marquée par des figures comme Ambroise Croizat, pionnier de la Sécurité sociale. Perdre cette expertise serait un symbole terrible pour une région déjà fragilisée par la désindustrialisation.
Une Opportunité Manquée pour la France
Ce projet n’était pas seulement une affaire de chiffres. Il portait une vision : celle d’une industrie française capable de rivaliser sur la scène mondiale tout en respectant des standards écologiques exigeants. Avec des investisseurs intéressés et un procédé innovant, tous les ingrédients étaient réunis pour réussir. Mais sans le soutien de la maison mère, cette dynamique s’essouffle.
Pour mieux comprendre l’ampleur de cette perte, voici quelques points clés :
- Un procédé unique réduisant les émissions de CO2 de 95 %.
- Une capacité prévue de 50 000 tonnes par an dès 2025.
- Une alternative au monopole chinois sur le graphite.
Que Reste-t-il de l’Aventure ?
Pour l’instant, Tokai Cobex Savoie maintient une activité réduite. La R&D reste active, et la petite ligne de Vénissieux continue ses essais. Mais sans nouveaux contrats ni investissements majeurs, l’élan est brisé. Les équipes oscillent entre espoir et résignation, conscientes que dans un secteur aussi compétitif, un arrêt peut être fatal.
Jean-Luc Pozzalo le résume avec amertume : arrêter maintenant, c’est risquer de ne jamais repartir. Dans un domaine où l’innovation avance à pas de géant, la France pourrait bien avoir laissé filer une chance unique de s’imposer comme un leader écologique.
Un Enjeu Plus Large pour l’Industrie Verte
Cette histoire dépasse les frontières de la Savoie. Elle interroge la capacité de l’Europe à concrétiser ses ambitions écologiques face à des réalités économiques brutales. La faillite récente de Northvolt, autre acteur clé des batteries en Europe, n’est qu’un symptôme de plus d’une filière en difficulté. Comment rivaliser avec la Chine sans une stratégie cohérente et des soutiens financiers solides ?
Pour l’instant, le projet de Tokai Carbon reste en suspens, comme une promesse non tenue. Mais dans un monde où la transition écologique devient chaque jour plus urgente, il serait dommage que cette innovation reste lettre morte. Et si demain, un nouvel élan venait tout changer ?