
Chaleur Nucléaire : Les SMR Révolutionnent l’Industrie
Et si l’avenir de l’industrie reposait sur une technologie vieille de plusieurs décennies, mais revisitée avec audace ? Les petits réacteurs nucléaires modulaires, ou SMR, ne se contentent plus de produire de l’électricité : ils s’invitent désormais dans les usines pour fournir une **chaleur propre et stable**. De la chimie à l’agroalimentaire, cette innovation pourrait bien redessiner notre manière de produire, tout en répondant aux défis climatiques. Plongeons dans cette révolution discrète mais prometteuse.
Les SMR : Une Nouvelle Ère pour l’Industrie
Longtemps cantonnés au rôle de générateurs d’électricité, les réacteurs nucléaires évoluent. Les SMR, compacts et modulables, se positionnent comme une alternative séduisante aux énergies fossiles, notamment le gaz, dans les processus industriels nécessitant une chaleur intense. Leur promesse ? Une énergie décarbonée, disponible en continu, et à un coût compétitif.
Pourquoi la chaleur nucléaire intrigue-t-elle ?
La fission nucléaire produit avant tout de la chaleur. Historiquement, cette énergie thermique est transformée en électricité avec un rendement limité d’environ 33 %. Mais pourquoi ne pas exploiter directement cette chaleur ? Les SMR répondent à cette question en s’adaptant aux besoins industriels, comme le chauffage de fluides ou la production de vapeur à haute température.
Aux États-Unis, le géant de la chimie Dow Chemical a déjà sauté le pas. En collaborant avec X-Energy, il prévoit de déployer quatre réacteurs Xe-100, capables de fournir une chaleur à haute température grâce à la technologie Triso refroidie à l’hélium. En France, c’est le sucrier Cristal Union qui explore cette voie avec la start-up Jimmy Energy.
« On est compétitifs dans 99 % des cas face au gaz sur vingt ans. »
– Mathilde Grivet, cofondatrice de Jimmy Energy
Des pionniers en France et ailleurs
Jimmy Energy, une pépite française, fait figure de précurseur. Son réacteur à haute température (HTR), basé sur le combustible Triso-Haleu, vise à fournir une chaleur atteignant 500 °C. Objectif : répondre aux besoins des industriels comme Cristal Union, qui cherche à décarboner sa production de sucre à Bazancourt, dans la Marne.
De son côté, EDF, avec son projet Nuward, ajuste ses ambitions. Initialement conçu pour remplacer les centrales à charbon, ce SMR évolue vers la **cogénération**, combinant électricité et chaleur pour des usages variés : réseaux urbains, désalinisation ou encore production d’hydrogène. La Chine, elle, ne perd pas de temps : elle couple déjà ses réacteurs Hualong à des systèmes haute température pour alimenter ses usines.
Une technologie déjà éprouvée ?
La chaleur nucléaire n’est pas une idée neuve. Selon l’Agence internationale de l’énergie nucléaire (AIEA), 43 réacteurs dans le monde alimentent des réseaux de chauffage urbain, notamment en Russie, en Europe de l’Est et, plus récemment, en Chine. En mars 2024, un SMR HTR chinois a été connecté au réseau de chaleur de la baie de Shidao, prouvant la viabilité de cette approche.
Cependant, pour répondre aux besoins industriels exigeant des températures supérieures à 150 °C, les réacteurs classiques à eau pressurisée ne suffisent pas. Les HTR, comme ceux de Jimmy Energy, entrent alors en jeu avec leur capacité à atteindre des seuils bien plus élevés.
Les défis techniques et réglementaires
Si la technologie séduit, sa mise en œuvre reste complexe. En France, Jimmy Energy a déposé une demande d’autorisation pour construire une unité à Bazancourt. Mais obtenir le feu vert de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pourrait prendre jusqu’à trois ans, sans compter les usines de production de combustible prévues au Creusot.
EDF, de son côté, a repensé le design de Nuward pour le rendre plus simple et polyvalent. Blue Capsule, une autre start-up tricolore, travaille sur un réacteur à haute température pour décarboner des secteurs comme le ciment. Mais ces projets doivent encore passer l’épreuve de la certification.
Un marché prometteur mais exigeant
Les SMR visent un marché spécifique : les industriels ayant un besoin constant de chaleur, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. « Toute l’énergie doit être utilisée rapidement pour rentabiliser l’investissement », explique Pierre Germain, expert chez E-Cube. Jimmy Energy estime son potentiel à 1400 réacteurs en Europe d’ici 2050, tandis que Blue Capsule table sur 50 unités.
Face à la volatilité des prix du gaz et à la rareté des alternatives renouvelables comme le biogaz, le nucléaire miniature pourrait s’imposer. Mais il devra surmonter des obstacles d’acceptabilité sociale et concurrencer des solutions plus simples à déployer.
Les projets français en lice
La France ne manque pas d’ambition dans ce domaine. Voici un aperçu des initiatives en cours :
- Calogena : SMR de 30 MWt pour chauffer les réseaux urbains.
- Nuward : Projet d’EDF en cogénération (340 MWe), pour électricité et chaleur jusqu’à 250 °C.
- Jimmy Energy : HTR de 20 MWt pour une chaleur industrielle à 500 °C.
- Blue Capsule : Réacteur à 150 MWt pour des températures dépassant 450 °C.
Ces projets, variés dans leurs approches, témoignent d’une effervescence nationale pour faire du nucléaire un levier de décarbonation.
Vers une industrie plus verte ?
Les SMR ne sont pas une solution miracle, mais ils offrent une réponse crédible à un problème urgent : réduire la dépendance aux énergies fossiles dans l’industrie. Leur capacité à fournir une chaleur stable et abordable pourrait séduire des secteurs aussi divers que la chimie, l’agroalimentaire ou la métallurgie.
Reste à savoir si les industriels, et la société dans son ensemble, sont prêts à accueillir ces mini-réacteurs. Entre promesses technologiques et défis réglementaires, l’avenir de la chaleur nucléaire se joue maintenant.