Berluti : L’Artisanat de Luxe Réinvente la Formation

Imaginez un lieu où le bruit des machines est inexistant, où le moindre geste est une danse minutieuse entre l’aiguille et le tissu. Dans le septième arrondissement de Paris, un atelier discret abrite une révolution silencieuse : celle de la transmission d’un savoir-faire ancestral. Chez Berluti, marque emblématique du groupe LVMH, on ne se contente pas de fabriquer des costumes sur mesure ; on forme des artisans d’exception, prêts à porter l’héritage du luxe dans le futur. Mais comment une maison célèbre pour ses chaussures patinées réinvente-t-elle l’apprentissage de la couture haut de gamme ? Plongez avec nous dans cet univers fascinant.

Quand le Luxe Devient une École

Berluti n’est pas seulement une marque ; c’est une philosophie où l’excellence artisanale rencontre une vision éducative ambitieuse. Loin des lignes de production automatisées, l’atelier parisien de la maison privilégie le travail manuel, un choix qui demande du temps, de la patience et une transmission rigoureuse. Ici, chaque costume est une œuvre d’art, nécessitant jusqu’à **80 heures de travail** étalées sur plusieurs mois. Mais derrière ces chiffres impressionnants se cache une mission bien plus grande : former la prochaine génération d’artisans.

Un Atelier Où le Temps S’étire

Entrer dans l’atelier de Berluti, c’est pénétrer un sanctuaire du silence. Pas de vrombissement mécanique, juste le cliquetis discret des ciseaux et le frottement d’un fer à repasser. Installé au-dessus d’une boutique élégante, ce lieu dissimule une équipe de sept couturiers, dont un apprenti en pleine formation. Le maître tailleur, Karim Rebahi, y règne en guide expérimenté. Avec 30 ans de métier, il sait que chaque point cousu à la main est une leçon en soi.

« Former un apprenti, c’est un investissement de temps. Je n’en prends qu’un tous les quatre ans et demi, car notre métier repose sur la patience. »

– Karim Rebahi, maître tailleur chez Berluti

Cette approche lente et méthodique contraste avec notre époque obsédée par la rapidité. Pourtant, elle porte ses fruits. Les apprenants y découvrent des techniques rares, comme le traçage du patronage sur une table usée par des décennies de création, ou le montage d’une toile d’essayage pour garantir un ajustement parfait.

De l’Étudiant au Couturier : Une Reconversion Inspirante

Louis Bécaye-Fall incarne cette nouvelle vague d’apprenants. Ancien étudiant en économie, il n’imaginait pas un jour manier l’aiguille avec autant de précision. C’est pendant le confinement qu’il découvre la couture, d’abord par la broderie, avant de se passionner pour le métier de tailleur. Aujourd’hui, après presque deux ans chez Berluti, il assemble des vestes avec une concentration qui force l’admiration.

« J’ai choisi ce métier pour sa précision, raconte-t-il. Le tailleur, c’est l’art de construire un vêtement qui épouse parfaitement le corps. » Cette quête de perfection l’a conduit à s’inscrire en CAP, avec l’ambition de décrocher un brevet professionnel et, pourquoi pas, de rejoindre durablement l’équipe de la maison.

Une Transmission Ancrée dans la Modernité

Ce qui frappe chez Berluti, c’est cette capacité à marier tradition et innovation. Si le savoir-faire reste immuable – couture main, absence de machines –, les profils des apprenants évoluent. Karim Rebahi le constate : « Avant, les artisans débutaient jeunes. Aujourd’hui, beaucoup ont un parcours universitaire avant de se lancer. » Cette diversité enrichit l’atelier, apportant des perspectives nouvelles à un métier séculaire.

Pour accompagner cette mutation, LVMH a créé en 2014 l’Institut des Métiers d’Excellence. Cet organisme forme les talents de demain, offrant un tremplin à des profils comme Louis Moseley, ancien apprenti devenu responsable de l’atelier chaussure sur mesure. Une preuve que la transmission peut mener loin.

Les Étapes d’un Apprentissage Patient

Former un apprenti chez Berluti, c’est un processus structuré mais progressif. Karim Rebahi détaille les étapes clés :

• Maîtriser l’aiguille : un geste simple mais essentiel, qui demande des mois d’entraînement.
• Piquer les toiles : une tâche d’apprentissage sans risque majeur pour le produit final.
• Préparer les détails : poches intérieures ou crochets, pour gagner en confiance.

Ces étapes, bien que modestes, construisent une expertise solide. Elles permettent aux novices de s’approprier un métier où chaque détail compte, jusqu’à atteindre l’autonomie nécessaire pour confectionner un costume complet.

Un Modèle pour les Start-ups du Luxe ?

Si Berluti appartient à un géant comme LVMH, son approche pourrait inspirer les jeunes entreprises du secteur. Dans un monde où les start-ups cherchent à se démarquer, valoriser l’**artisanat de luxe** tout en formant des talents est une stratégie gagnante. Elle répond à une demande croissante pour des produits uniques, faits main, et à une quête de sens chez les nouvelles générations.

L’événement *You & ME*, organisé par LVMH jusqu’au 5 avril 2025, illustre cette ambition. Avec pour objectif de recruter 4500 personnes, il met en lumière l’attractivité de ces métiers. Les start-ups pourraient s’en inspirer pour bâtir des équipes qualifiées, capables de rivaliser avec les grandes maisons.

Le Luxe Comme Héritage Vivant

Chez Berluti, l’apprentissage ne se limite pas à une technique ; il s’agit de transmettre une culture. Chaque costume raconte une histoire, celle d’un client, d’un artisan, d’un savoir-faire qui traverse les époques. Cette vision dépasse les murs de l’atelier parisien : elle redéfinit ce que signifie être une marque de luxe aujourd’hui.

« Mon parcours s’est construit naturellement. Berluti m’a offert des opportunités que j’ai su saisir. »

– Louis Moseley, ancien apprenti et responsable d’atelier

Cette philosophie pourrait bien être le secret de la pérennité du luxe. En formant des artisans passionnés, Berluti ne se contente pas de produire des vêtements ; elle bâtit un avenir où la main de l’homme reste irremplaçable.

Vers un Renouveau de l’Artisanat ?

À l’heure où l’industrie du luxe fait face à des défis comme la durabilité ou la digitalisation, l’approche de Berluti offre une réponse inattendue. En misant sur la formation, elle prouve que l’innovation ne passe pas forcément par la technologie, mais par les Hommes. Les apprenants d’aujourd’hui, qu’ils viennent d’un parcours académique ou d’une passion naissante, incarnent ce renouveau.

Et si le véritable luxe, c’était de prendre le temps ? De transformer un étudiant en artisan, un savoir en héritage ? Berluti l’a compris, et son atelier parisien en est la preuve vivante. Un modèle qui, loin des projecteurs, pourrait bien redessiner les contours de l’industrie.