
Ontario Revoit sa Promesse de Bannir les Contrats Américains
Et si une décision politique, annoncée en grande pompe, se révélait bien moins radicale qu’elle n’y paraît ? Début mars, le Premier ministre ontarien Doug Ford montait au créneau, promettant une exclusion totale des entreprises américaines des marchés publics de la province en réponse à une guerre commerciale nord-américaine. Une posture forte, martelée derrière un pupitre estampillé “Le Canada n’est pas à vendre”. Pourtant, à mesure que les détails émergent, la réalité semble bien plus nuancée – et les implications pour les start-ups locales, loin d’être anodines.
Une Politique de Restriction aux Contours Surprenants
La nouvelle politique de restriction des marchés publics, dévoilée récemment par l’Ontario, avait tout pour faire trembler les entreprises américaines. Mais en y regardant de plus près, elle s’accompagne d’exceptions qui en atténuent la portée. Officiellement, elle vise à limiter l’accès des sociétés basées aux États-Unis aux contrats publics. Cependant, la définition d’une “entreprise américaine” est plus restrictive qu’on pourrait le croire : il s’agit d’une entité dont le siège ou le bureau principal est aux États-Unis et qui emploie moins de 250 personnes à temps plein au Canada au moment de la soumission.
En d’autres termes, une firme américaine bien implantée au Canada, avec un effectif conséquent, peut continuer à décrocher des contrats. Une subtilité qui change la donne et soulève des questions sur l’impact réel de cette mesure.
Des Exceptions qui Font Jasé
Ce n’est pas tout. Les entreprises déjà autorisées à travailler avec la province – via des arrangements dits “Vendor of Record” (VOR) – échappent également à cette exclusion. Autrement dit, les contrats existants restent intouchés, contredisant les déclarations initiales de Doug Ford, qui laissait entendre une révision complète des engagements en cours avec des firmes américaines. Une autre clause permet même de contourner la règle si une entreprise américaine est la seule source viable pour un bien ou un service, à condition que le besoin soit urgent.
“Chaque dollar envoyé à des entités étrangères est une opportunité manquée pour faire prospérer l’Ontario.”
– Skaidra Puodžiūnas, directrice des affaires ontariennes au Conseil des Innovateurs Canadiens
Cette flexibilité a de quoi surprendre, surtout quand on sait que la province dépense environ 30 milliards de dollars par an en marchés publics, sans compter son ambitieux plan d’infrastructures de 200 milliards. Alors, simple ajustement pragmatique ou recul face à la pression économique ?
Un Contexte de Guerre Commerciale
Pour comprendre cette volte-face apparente, il faut remonter au début de la guerre tarifaire avec les États-Unis. En mars, Doug Ford avait réagi avec fermeté aux nouvelles taxes imposées par Washington, annulant notamment un contrat de 100 millions de dollars avec Starlink, la société d’Elon Musk, dans un geste symbolique fort. “C’est fini, c’est parti”, avait-il alors déclaré, promettant de passer au crible tous les contrats provinciaux pour privilégier les ressources locales.
Mais entre les annonces tonitruantes et leur mise en œuvre, le fossé est palpable. Les exceptions prévues dans la politique laissent penser que l’Ontario cherche à ménager certains partenaires économiques tout en affichant une posture nationaliste.
Les Start-ups Locales dans la Balance
Pour les jeunes pousses ontariennes, cette politique est une aubaine en demi-teinte. D’un côté, elle pourrait libérer des opportunités en réduisant la concurrence étrangère. De l’autre, les exceptions accordées aux grandes firmes américaines implantées localement risquent de maintenir un statu quo défavorable aux petites structures innovantes. Le Conseil des Innovateurs Canadiens (CCI), représentant 75 PDG de la province, n’a pas tardé à réagir.
Dans une lettre ouverte adressée à Doug Ford le mois dernier, ces chefs d’entreprise ont plaidé pour une priorisation des ressources locales dans les marchés publics. Leur message est clair : il est temps d’adopter une stratégie à long terme pour soutenir l’innovation domestique, plutôt que de réagir au coup par coup aux tensions commerciales.
Supply Ontario : Une Solution en Vue ?
Le CCI va plus loin en proposant des pistes concrètes. Parmi elles, l’idée d’élargir le mandat de Supply Ontario, l’agence responsable des achats publics, pour en faire un levier au service des technologies locales. L’organisation souhaite également interdire les appels d’offres mentionnant explicitement des fournisseurs étrangers et lancer une revue des contrats technologiques non canadiens afin d’identifier où des alternatives locales pourraient prendre le relais.
Ces recommandations tombent à point nommé, alors que l’Ontario dévoilait cette semaine des mesures d’allègement fiscal pour contrer les effets des tarifs américains. Si ces initiatives – comme le report de 10 taxes provinciales pour six mois ou une ristourne de 2 milliards de dollars pour les employeurs – visent à soutenir les entreprises, elles touchent peu le secteur technologique, laissant les start-ups sur leur faim.
Une Stratégie à Long Terme en Question
Face à ces ajustements, une interrogation persiste : l’Ontario peut-il vraiment transformer cette crise en opportunité pour ses innovateurs ? Skaidra Puodžiūnas, du CCI, insiste sur la nécessité d’une vision stratégique. “Les politiques ne doivent pas être des réactions aux dernières taxes américaines, mais s’inscrire dans une ambition durable pour notre économie”, martèle-t-elle.
Pour l’instant, la province semble jongler entre pragmatisme économique et discours patriotique. Un exercice d’équilibriste qui pourrait bien déterminer l’avenir de ses start-ups face à la concurrence internationale.
Et Après ?
Alors que la poussière retombe sur cette annonce, les regards se tournent vers les prochaines étapes. Les entrepreneurs locaux attendent des actes concrets pour voir si cette politique, malgré ses failles, ouvrira réellement des portes. Une chose est sûre : dans un monde où les tensions commerciales redessinent les chaînes d’approvisionnement, l’Ontario a une carte à jouer – à condition de ne pas se contenter de demi-mesures.
Entre ambitions affichées et réalités économiques, l’histoire de cette “interdiction” américaine reste à écrire. Et pour les start-ups de la province, elle pourrait bien être le début d’un tournant… ou d’une occasion manquée.