
Crises et Ambitions des VC Canadiens
Et si l’avenir des startups canadiennes reposait sur une poignée de décisions prises dans des bureaux feutrés, derrière des portes closes ? Lors du récent CIX Summit à Toronto, les investisseurs en capital-risque (VC) du Canada se sont réunis pour un examen de conscience collectif. Les discussions, souvent tendues, ont révélé un écosystème en proie à des doutes : performance en berne, accès au capital difficile, et une fuite alarmante des talents vers les États-Unis. Cet article explore les défis majeurs auxquels font face les VC canadiens, les solutions envisagées, et les initiatives qui pourraient redonner un souffle nouveau à l’innovation technologique au Canada.
Un Écosystème Sous Pression
Le capital-risque canadien traverse une période de turbulences. Les fonds peinent à lever des capitaux, les rendements des investissements restent décevants, et les relations avec les limited partners (LPs) – les investisseurs qui financent ces fonds – sont parfois tendues. À cela s’ajoute une concurrence accrue des VC américains, qui attirent les startups canadiennes avec des chèques plus conséquents et un accès à des réseaux internationaux. Ce contexte crée une forme d’anxiété de performance chez les investisseurs, qui craignent autant les résultats médiocres que la perception négative qui en découle.
« À l’étape de la Série C, la plupart des capitaux viennent des États-Unis, les talents pour faire croître l’entreprise sont aux États-Unis, et les clients aussi. Si rien n’incite à rester ici, pourquoi construire au Canada ? »
– Kim Furlong, CVCA
Cette observation, partagée lors du CIX Summit, met en lumière une réalité préoccupante : l’exode des startups vers le sud. Mais est-ce vraiment la faute des VC américains ? Certains, comme Chris Neumann, ancien partenaire de Panache Ventures, estiment que le problème réside dans la velocity – la vitesse à laquelle les startups canadiennes peuvent croître localement. Sans un écosystème robuste, les entreprises n’ont d’autre choix que de chercher ailleurs les ressources nécessaires.
Les Défis Structurels du VC Canadien
Pour comprendre les difficultés des VC canadiens, il faut examiner les obstacles structurels qui freinent leur progression. Ces défis, bien ancrés, limitent la capacité des fonds à soutenir efficacement les startups locales.
- Accès limité au capital : Les fonds canadiens peinent à lever des montants significatifs, ce qui restreint leur capacité à investir dans des tours de financement avancés.
- Rendements insuffisants : Les retours sur investissement sont souvent inférieurs aux attentes, ce qui décourage les L-ZPs et alimente un cercle vicieux.
- Concurrence internationale : Les VC américains, avec leurs réseaux et leurs ressources, attirent les startups prometteuses, laissant les fonds canadiens en difficulté.
Ces problèmes ne sont pas nouveaux, mais leur impact s’est accentué ces dernières années. Lors du CIX Summit, les discussions ont révélé une prise de conscience collective : sans changements structurels, l’écosystème risque de stagner.
Le Poids des Narratives
Si les chiffres inquiètent, les récits qui circulent dans l’écosystème préoccupent tout autant les VC. Une narrative négative autour de la performance des fonds peut dissuader les investisseurs et amplifier les difficultés. Comme le souligne Douglas Soltys, rédacteur en chef de BetaKit, changer cette perception est un défi aussi crucial que d’améliorer les résultats financiers.
« Si vous regardez dans le miroir et n’aimez pas ce que vous voyez, une nouvelle coupe de cheveux ne changera pas grand-chose. »
– Douglas Soltys, BetaKit
Cette analogie illustre une vérité inconfortable : les VC canadiens doivent s’attaquer aux causes profondes de leurs difficultés, et non se contenter de polir leur image. Pourtant, la tentation de se concentrer sur la communication est forte, car les récits peuvent devenir auto-réalisateurs. Une mauvaise réputation peut éloigner les LPs, tandis qu’une image positive peut attirer de nouveaux capitaux.
Des Initiatives pour Renverser la Tendance
Face à ces défis, plusieurs initiatives émergent pour redynamiser l’écosystème. Des fonds comme Innovobot Resonance Ventures et Trillick Ventures incarnent cette volonté de changement, en misant sur des régions et des secteurs sous-exploités.
À Montréal, Innovobot Resonance Ventures, sous la direction de Neha Khera, a relancé son fonds deep tech avec une vision renouvelée. Malgré des levées de fonds initiales décevantes, le fonds se concentre désormais sur des technologies de pointe, comme l’intelligence artificielle et les solutions industrielles. Cette approche ciblée vise à maximiser l’impact des investissements dans un marché concurrentiel.
De son côté, Trillick Ventures, basé à Winnipeg, ambitionne de transformer le Manitoba en un hub d’innovation. Avec un fonds de 15 millions de dollars, la firme cherche à financer des startups locales et à connecter les investisseurs nationaux à cette région souvent négligée. Ce type d’initiative régionale pourrait diversifier l’écosystème et réduire la dépendance aux grands centres comme Toronto et Vancouver.
Le Rôle des Événements et des Réseaux
Les événements technologiques jouent un rôle clé dans la revitalisation de l’écosystème. Toronto Tech Week, prévue pour juin 2025, illustre cette dynamique. Avec des intervenants de renom comme Chamath Palihapitiya et Sanja Fidler, l’événement ambitionne d’attirer 10 000 participants et de renforcer les connexions entre startups, investisseurs et leaders technologiques.
Ce type de plateforme favorise les collaborations et met en lumière les réussites canadiennes. En réunissant des acteurs de l’écosystème, Toronto Tech Week pourrait contribuer à changer la narrative autour du VC canadien, tout en attirant des capitaux étrangers.
Les Enjeux Politiques et Économiques
Les VC canadiens ne peuvent ignorer le contexte politique et économique. Récemment, plusieurs figures du secteur technologique, dont John Ruffolo et Christian Lassonde, ont publiquement soutenu Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur, dans une lettre ouverte. Cet engagement reflète une volonté de façonner des politiques favorables à l’innovation, notamment en matière de fiscalité et de soutien aux entreprises.
Par ailleurs, le gouvernement canadien a lancé le Large Enterprise Tariff Loan Facility (LETL) pour aider les entreprises affectées par les tarifs américains. Bien que cette mesure cible les grandes entreprises, elle montre une prise de conscience des défis posés par la guerre commerciale mondiale. Pour les startups, des politiques similaires pourraient faciliter l’accès au capital et encourager l’innovation locale.
L’Avenir de l’IA et les Risques Associés
Un autre sujet brûlant abordé récemment concerne l’intelligence artificielle. Lors du World Summit AI à Montréal, Yoshua Bengio, figure emblématique de l’IA, a mis en garde contre les risques des agentic AI – des systèmes capables d’agir de manière autonome. Selon lui, un développement non contrôlé pourrait avoir des conséquences « catastrophiques ».
« Si nous créons des agents superintelligents sans résoudre le problème de l’auto-préservation, les risques pourraient être catastrophiques. »
– Yoshua Bengio, World Summit AI
Ces préoccupations soulignent l’importance d’un investissement responsable dans l’IA. Des entreprises comme Cohere, qui a lancé son modèle Embed 4, montrent que le Canada reste un leader dans ce domaine. Les VC ont donc une opportunité unique de financer des innovations éthiques et durables.
Vers un Renouveau de l’Écosystème
Pour surmonter leurs défis, les VC canadiens doivent adopter une approche multidimensionnelle. Voici quelques pistes pour l’avenir :
- Renforcer les partenariats : Collaborer avec des VC internationaux pour co-investir dans des startups prometteuses.
- : Plaidoyer pour des incitations fiscales et des programmes de soutien aux startups.
- Diversifier les investissements : Soutenir des régions et secteurs sous-représentés, comme le Manitoba ou les technologies vertes.
Le chemin vers un écosystème plus robuste ne sera pas facile, mais les initiatives comme Innovobot, Trillick Ventures, et Toronto Tech Week montrent que le potentiel est là. En s’attaquant aux causes profondes de leurs difficultés, les VC canadiens peuvent non seulement améliorer leurs performances, mais aussi redéfinir l’avenir de l’innovation au Canada.
En conclusion, l’anxiété de performance des VC canadiens reflète des défis structurels, mais aussi une opportunité de transformation. En misant sur la collaboration, l’innovation, et des politiques audacieuses, l’écosystème tech canadien peut retrouver sa place sur la scène mondiale. La question demeure : les investisseurs sauront-ils saisir cette chance ?