
Électrification Aérienne : Défis et Innovations
Imaginez un ciel où les avions volent sans émettre de CO2, propulsés par l’énergie électrique. Ce rêve, souvent brandi comme la solution ultime pour une aviation durable, se heurte pourtant à des obstacles colossaux. Si l’automobile a déjà entamé sa révolution électrique, l’aéronautique, elle, avance à pas prudents, freinée par des contraintes techniques et industrielles. Alors, où en est l’électrification de l’aviation commerciale, et quelles innovations pourraient faire décoller ce secteur vers un avenir plus vert ?
Les Premiers Pas de l’Électrification Aérienne
L’idée d’un avion tout électrique a longtemps captivé les esprits. Dans les années 2010, une vague de projets ambitieux promettait de révolutionner le transport aérien. Des start-ups aux géants comme Airbus, tous semblaient convaincus que l’électricité remplacerait bientôt le kérosène. Mais la réalité a vite rattrapé ces ambitions. Les batteries actuelles, bien que performantes pour des voitures, peinent à répondre aux exigences des avions, où chaque gramme compte.
Les petits aéronefs, comme l’Integral E d’Aura Aero, un biplace électrique ayant volé pour la première fois en décembre 2024, montrent que l’électrique est viable pour des appareils légers. Mais pour un avion commercial de la taille d’un A320, les défis sont d’une tout autre ampleur. La densité énergétique des batteries, c’est-à-dire l’énergie qu’elles peuvent stocker par kilogramme, reste le principal frein.
Le Mur des Batteries : Un Obstacle de Taille
Les batteries lithium-ion, standard actuel, offrent une densité énergétique d’environ 200 Wh/kg. Cela suffit pour faire voler un petit avion de deux à quatre places sur de courtes distances. Mais pour un avion commercial, il faudrait des batteries pesant plusieurs dizaines de tonnes, rendant le projet irréalisable. Comme le souligne un expert du secteur :
Il y a dix ans, on espérait doubler la performance des batteries. Aujourd’hui, elles n’ont progressé que de 20 à 30 %.
– Jean-Christophe Lambert, PDG d’Ascendance Flight Technologies
Face à ce constat, l’hybridation s’impose comme une solution intermédiaire. En combinant moteurs électriques et thermiques, les avions hybrides réduisent leur consommation de carburant tout en restant viables. Par exemple, l’Atea, développé par Ascendance Flight Technologies, vise à transporter quatre passagers grâce à cette approche. Mais même cette solution reste limitée pour les gros porteurs.
L’Espoir des Batteries Solides
Un nouvel espoir émerge avec les batteries solides, qui promettent une densité énergétique de 500 Wh/kg. Cette technologie, encore en développement, pourrait changer la donne. Contrairement aux batteries lithium-ion, les batteries solides utilisent un électrolyte solide, réduisant les risques d’incendie et simplifiant leur intégration dans les avions. Le géant chinois CATL revendique déjà des prototypes atteignant cette performance.
Airbus, en partenariat avec Renault, explore cette voie pour équiper son prochain monocouloir, prévu pour 2035. L’objectif ? Améliorer la conductivité de l’électrolyte et augmenter le nombre de cycles de charge. Cependant, la production à grande échelle reste un défi. Les constructeurs automobiles, qui visent une commercialisation des batteries solides d’ici 2027, pourraient ouvrir la voie à l’aéronautique.
Voici les principaux avantages des batteries solides :
- Densité énergétique doublée par rapport aux batteries lithium-ion.
- Risques d’incendie réduits, simplifiant les systèmes de protection.
- Conception plus légère, cruciale pour l’aéronautique.
Haute Tension : Une Révolution Électrique
Outre les batteries, l’électrification aérienne passe par une augmentation de la tension électrique. Les avions actuels utilisent une tension de 115 V pour leurs systèmes non propulsifs. Mais pour répondre aux besoins des moteurs électriques, l’industrie vise le 800 V, un standard déjà adopté dans l’automobile. Ce saut technologique, testé dans le projet EcoPulse (associant Airbus, Safran et Daher), permet de réduire la masse des câbles électriques.
Cette transition n’est pas sans risques. À haute altitude, une tension élevée peut provoquer des arcs électriques ou des surchauffes. Comme l’explique un ingénieur d’Airbus :
À 800 V, nous explorons des phénomènes physiques encore mal compris à haute altitude.
– Karim Mokaddem, responsable R&T chez Airbus
Pour surmonter ces défis, les industriels revoient les normes de sécurité aéronautique. Safran, par exemple, a certifié en février 2025 un moteur électrique, l’Engineus, conçu pour fonctionner à haute tension. Ces avancées posent les bases d’une électrification plus ambitieuse.
La Chine, un Acteur à Suivre
Pendant que l’Europe progresse prudemment, la Chine accélère. CATL, leader mondial des batteries, a fait voler un aéronef de 4 tonnes avec une batterie solide en 2024. L’entreprise vise désormais un avion de 8 tonnes capable de parcourir 2 000 à 3 000 km. En partenariat avec Comac, CATL développe le CE-25A, un avion régional tout électrique de 19 places.
Ces ambitions soulignent un enjeu stratégique : la domination des batteries dans l’aéronautique. Si l’Europe veut rester compétitive, elle doit développer une filière de batteries solides. Airbus milite pour une collaboration entre les secteurs automobile et aéronautique afin de mutualiser les efforts.
Les Défis Industriels et Stratégiques
L’électrification aérienne ne se limite pas à des prouesses techniques. Les industriels doivent convaincre les fournisseurs, notamment de batteries, de s’intéresser à un marché aéronautique bien plus exigeant que l’automobile. Les volumes sont moindres, les normes de sécurité draconiennes, et la responsabilité en cas d’incident bien plus lourde.
Pour répondre à ces enjeux, l’Europe doit structurer une filière industrielle. Airbus, Safran et d’autres acteurs poussent pour une production locale de batteries solides. Cette démarche s’inscrit dans une logique de souveraineté technologique, essentielle face à la montée en puissance de la Chine.
Vers une Aviation Hybride en 2035
À l’horizon 2035, l’aviation commerciale ne sera pas tout électrique, mais elle intégrera des systèmes hybrides. L’électricité pourrait réduire la consommation de carburant des futurs avions de 5 %, un gain non négligeable dans un secteur où chaque pourcentage compte. Airbus prévoit d’utiliser l’énergie électrique pour des fonctions propulsives et non propulsives, optimisant ainsi l’efficacité énergétique.
Voici les étapes clés pour y parvenir :
- Développement des batteries solides d’ici 2027-2028.
- Adoption de la haute tension (800 V) comme standard.
- Collaboration entre l’automobile et l’aéronautique pour mutualiser les innovations.
- Renforcement des normes de sécurité pour les systèmes électriques à haute altitude.
Un Ciel Plus Vert, Mais à Quel Prix ?
L’électrification de l’aviation commerciale est un marathon, pas un sprint. Si les progrès sont réels, le mythe de l’avion tout électrique s’éloigne. Les solutions hybrides, combinées à d’autres innovations comme les carburants durables, offrent une voie plus réaliste pour décarboner le secteur. Mais le chemin reste semé d’embûches, entre défis techniques, investissements massifs et concurrence internationale.
Pour les start-ups comme Aura Aero ou Ascendance Flight Technologies, l’avenir passe par des appareils légers et hybrides, capables de desservir des lignes régionales. Pour les géants comme Airbus et Safran, l’objectif est de poser les bases d’une aviation commerciale plus verte, même si les résultats ne seront visibles qu’à long terme.
En conclusion, l’électrification aérienne est une aventure technologique et industrielle fascinante, mais complexe. Les avancées en matière de batteries solides et de haute tension ouvrent des perspectives prometteuses, mais la transition écologique de l’aviation nécessitera une collaboration sans précédent entre industriels, chercheurs et décideurs politiques. Le ciel de demain se dessine aujourd’hui, mais il faudra du temps pour qu’il devienne véritablement vert.