
Lactalis au Sénat : Les Enjeux Dévoilés
Le 17 juin 2025, une salle feutrée du Sénat français s’est transformée en théâtre d’un débat attendu. Emmanuel Besnier, PDG discret du géant laitier Lactalis, s’est présenté face à une commission d’enquête scrutant l’usage des aides publiques par les grandes entreprises. Rarement sous les projecteurs, cet homme, surnommé « l’invisible milliardaire », a dû répondre à des questions brûlantes : subventions, collecte de lait, transparence fiscale. Quels sont les points saillants de cette audition ? Plongeons dans les enjeux qui façonnent l’avenir de l’industrie laitière française.
Un Géant sous les Feux du Sénat
Lactalis, leader mondial du lait, emploie 85 500 personnes et affiche un chiffre d’affaires de 30 milliards d’euros en 2024. Pourtant, son patron, Emmanuel Besnier, fuit les médias et les apparitions publiques. Lors de cette audition, il a dû sortir de l’ombre pour défendre les pratiques de son groupe, souvent critiqué pour son opacité et ses relations tendues avec les producteurs. Cette confrontation avec les sénateurs a mis en lumière des tensions structurelles dans l’agroalimentaire français.
Les Aides Publiques : un Soutien Marginal ?
Le premier sujet abordé fut celui des aides publiques. En 2023, Lactalis a perçu 18,7 millions d’euros, une somme que Besnier qualifie de minime, représentant seulement 0,06 % du chiffre d’affaires du groupe. Cette transparence, inhabituelle pour une entreprise jadis réticente à publier ses comptes, visait à démontrer que les subventions jouent un rôle secondaire dans la stratégie de l’entreprise.
Nous ne sommes qu’une partie du revenu des producteurs, qui bénéficient de la PAC. Nous n’avons pas de vision globale sur leurs aides.
– Emmanuel Besnier, PDG de Lactalis
Cette déclaration a suscité des débats. Si Lactalis insiste sur la modestie de ces aides, les sénateurs ont pointé du doigt leur rôle crucial pour une industrie laitière exportatrice, confrontée à une concurrence européenne féroce. Besnier a reconnu que sans ces subventions, la compétitivité du secteur serait compromise face à des pays aux charges sociales moins lourdes.
Un Plaidoyer pour Moins de Charges
Comme d’autres industriels, Besnier a plaidé pour une réduction des charges sociales, qu’il juge écrasantes. Selon lui, les aides publiques ne sont qu’un « correctif temporaire » à un système fiscal et réglementaire trop contraignant. Il a illustré son propos en comparant le coût du travail : en France, pour 100 euros versés par une entreprise, seulement 55 euros reviennent au salarié avant impôt, contre 84 euros aux États-Unis.
Pour appuyer cette idée, le directeur financier de Lactalis, Olivier Savary, a détaillé les chiffres : la masse salariale en France s’élève à 650 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 300 millions de cotisations sociales. Les aides perçues (12,3 millions d’euros pour les dispositifs sociaux) ne représentent que 1,3 % de ce coût. Ce constat a conduit Besnier à appeler à une simplification des démarches administratives et à la création de guichets régionaux uniques pour les subventions.
Voici les principales demandes formulées par Lactalis :
- Réduction des charges sociales pour améliorer la compétitivité.
- Simplification des démarches pour accéder aux aides publiques.
- Équité entre PME et grands groupes dans l’attribution des subventions.
La Réduction de la Collecte de Lait : une Décision Controversée
Un autre point brûlant de l’audition fut la décision de Lactalis de réduire sa collecte de lait en France de 9 % d’ici 2030, affectant 290 producteurs dans l’Est et les Pays de la Loire. Cette annonce, faite en septembre 2024, a provoqué un tollé parmi les agriculteurs, qui dénoncent une menace pour leurs exploitations. Besnier, optimiste, a assuré que des solutions seraient trouvées pour ces producteurs, via une société intermédiaire chargée de les accompagner.
Je suis très optimiste sur le fait que tous les agriculteurs trouveront des débouchés.
– Emmanuel Besnier, PDG de Lactalis
Cette promesse a laissé les sénateurs sceptiques. La réduction, justifiée par la volatilité des prix du lait depuis 2021, soulève des questions sur l’avenir de la filière laitière française. Certains y voient une stratégie pour maximiser les profits au détriment des petits producteurs, tandis que Lactalis argue qu’il s’agit d’une adaptation nécessaire à un marché en mutation.
Transparence Fiscale : un Sujet Explosif
Les discussions ont pris une tournure plus tendue lorsque la question des comptes de Lactalis a été abordée. Jusqu’en 2018, l’entreprise était notoirement opaque, publiant peu d’informations financières. Interrogé, Besnier a affirmé que les comptes étaient toujours transmis aux administrations compétentes, mais le président de la commission, Olivier Rietmann, a souligné que cela ne respectait pas pleinement la loi.
Le sujet le plus sensible fut celui des démêlés fiscaux. En décembre 2024, Lactalis a versé 475 millions d’euros pour clore une enquête pour fraude fiscale, liée à des montages via des filiales en Belgique et au Luxembourg. Cette somme colossale a alimenté les soupçons de pratiques douteuses, bien que Besnier ait minimisé l’impact de ces accusations.
La loi dit qu’il faut publier vos comptes : vous n’aviez fait qu’une partie du chemin.
– Olivier Rietmann, président de la commission
Face à une question sur la suspension des aides en cas de fraude, Besnier a répondu de manière évasive : « Il faut regarder au cas par cas. » Cette réticence a amplifié les critiques sur la transparence de Lactalis, un sujet qui continue de diviser.
Lactalis et l’Avenir de l’Agroalimentaire
L’audition a révélé les tensions inhérentes à la position de Lactalis : un géant mondial, ancré localement, mais confronté à des défis structurels. La réduction de la collecte de lait illustre les pressions économiques pesant sur la filière, tandis que les débats sur les aides publiques et la fiscalité soulignent la nécessité d’une plus grande transparence. Besnier, fidèle à sa réputation, a défendu son entreprise avec prudence, mais les sénateurs ont insisté sur la responsabilité sociale d’un acteur de cette envergure.
Voici un résumé des enjeux majeurs :
- Aides publiques : 18,7 millions d’euros en 2023, un soutien jugé marginal mais essentiel.
- Collecte de lait : Réduction de 9 % d’ici 2030, impactant 290 producteurs.
- Transparence fiscale : Des progrès, mais des soupçons persistants après un redressement de 475 millions d’euros.
Lactalis se trouve à un tournant. Entre impératifs économiques et attentes sociétales, l’entreprise doit naviguer avec agilité. Cette audition, bien que ponctuelle, pourrait marquer un jalon dans la quête d’un équilibre entre profitabilité et responsabilité.
Un Défi pour l’Industrie Laitière
L’industrie laitière française, incarnée par Lactalis, fait face à des défis complexes. La volatilité des prix, la concurrence internationale et les exigences environnementales redessinent le paysage. Besnier a insisté sur la nécessité de réformes structurelles pour maintenir la compétitivité, mais les critiques des agriculteurs et des sénateurs rappellent que le dialogue avec les parties prenantes reste essentiel.
Pour les producteurs, la réduction de la collecte de lait est un signal d’alarme. Les solutions proposées par Lactalis, comme l’accompagnement via une société intermédiaire, devront être concrètes pour éviter un impact social désastreux. Par ailleurs, la question fiscale reste un point sensible, avec une enquête en cours pour fraude aggravée qui pourrait ternir davantage l’image du groupe.
Vers une Transparence Accrue ?
Si Lactalis a fait des progrès en publiant ses comptes depuis 2018, l’audition a montré que la confiance reste fragile. Les sénateurs ont appelé à une transparence accrue, notamment sur l’usage des aides publiques et les pratiques fiscales. Cette exigence reflète une tendance plus large : les grandes entreprises sont de plus en plus scrutées pour leur impact social et environnemental.
En conclusion, l’audition d’Emmanuel Besnier au Sénat a mis en lumière les contradictions d’un géant discret. Entre leadership mondial et défis locaux, Lactalis doit relever le défi de concilier croissance économique et responsabilité sociétale. Les débats sur les aides, la collecte de lait et la fiscalité ne sont qu’un début. L’avenir dira si l’entreprise saura répondre aux attentes d’un secteur en pleine mutation.