
Pourquoi les Start-ups Queer Visent le Canada
Imaginez-vous pitcher votre start-up à un investisseur, et dès que vous mentionnez une mission centrée sur la diversité, il tourne les talons. C’est la réalité que vivent certains fondateurs queer aux États-Unis aujourd’hui. Face à un climat politique hostile à l’inclusion, beaucoup envisagent de traverser la frontière pour rejoindre le Canada, un pays perçu comme un refuge pour les entrepreneurs cherchant un environnement plus accueillant. Cet exode pourrait transformer l’écosystème tech canadien, mais il soulève aussi des questions sur l’avenir de la diversité dans l’innovation.
Un Exode Entrepreneurial Vers le Canada
Le paysage entrepreneurial américain est en pleine mutation. Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump en janvier 2025, les politiques anti-DEI (diversité, équité, inclusion) ont bouleversé le monde des start-ups. Les programmes fédéraux liés à l’équité ont été démantelés, et des géants de la tech comme Meta ou Google ont suivi en réduisant leurs initiatives inclusives. Pour les fondateurs queer, ce recul représente un obstacle majeur, tant sur le plan personnel que professionnel.
Prenez l’exemple de Mary Richardson, co-fondatrice de Bindr, une application de rencontre dédiée à la communauté 2SLGBTQIA+. Après avoir remporté un prix à Montréal lors de Startupfest 2024, elle a tissé des liens précieux avec des investisseurs canadiens. Mais aux États-Unis, elle fait face à des rejets brutaux. « On m’a ri au nez lors de conférences », confie-t-elle. Cette hostilité l’a poussée à envisager de déplacer son équipe à Vancouver, où l’acceptation semble plus forte.
« Canada est l’endroit où nous avons trouvé le plus d’acceptation, en tant que fondateurs et en tant que personnes. »
– Mary Richardson, co-fondatrice de Bindr
Pourquoi le Canada Attire-t-il ?
Le Canada se démarque comme une destination attrayante pour plusieurs raisons. D’abord, son environnement politique est perçu comme plus stable. Les politiques d’immigration favorables et les lois protégeant les droits des 2SLGBTQIA+ offrent un contraste saisissant avec les États-Unis, où les avancées comme le mariage pour tous pourraient être remises en question. Ensuite, le Canada dispose d’un écosystème tech dynamique, avec des villes comme Toronto, Vancouver et Montréal qui rivalisent pour attirer les talents.
Pour les fondateurs queer, cet environnement représente une opportunité de construire sans crainte. Lors de Startupfest 2025, Richardson est revenue en tant que juge pour le prix 2SLGBTQIA+, doté de 100 000 $. Ce type d’initiative montre l’engagement du Canada envers l’inclusion, contrairement au climat américain, où des contrats fédéraux sont menacés par des restrictions anti-DEI.
Les Défis de l’Inclusion dans la Tech
Malgré les opportunités, le Canada n’est pas exempt de défis. Bradley Breton, investisseur et co-fondateur de ColdStart, souligne que la dépendance aux capitaux américains rend l’écosystème vulnérable. En effet, près des deux tiers des investissements de plus de 50 millions de dollars canadiens dans les start-ups canadiennes proviennent des États-Unis. Si les investisseurs américains adoptent des postures anti-DEI, cela pourrait freiner le financement des start-ups queer au Canada.
De plus, certains observateurs craignent un effet de contagion culturelle. En février 2025, plus de 350 acteurs de la tech canadienne ont signé une lettre ouverte pour défendre les valeurs d’inclusion, après que des entreprises comme Shopify ont réduit leurs programmes DEI. Naoufel Testaouni, PDG de QueerTech, avertit que les fondateurs queer pourraient être forcés de dissimuler leur identité pour sécuriser des financements, même au Canada.
« C’est triste, mais dans ce climat, il faut parfois se cacher pour protéger son entreprise. »
– Naoufel Testaouni, PDG de QueerTech
Une Opportunité pour le Canada
Face à cette situation, des voix s’élèvent pour transformer ce défi en opportunité. Mandy Potter, co-fondatrice de Misfit Ventures, un fonds de capital-risque axé sur la communauté 2SLGBTQIA+, voit dans cet exode un « reverse brain drain ». Elle appelle le gouvernement canadien à simplifier les visas pour les fondateurs queer et à renforcer leur intégration dans l’écosystème tech.
Des données américaines montrent que les entrepreneurs queer surpassent leurs homologues cisgenres et hétérosexuels, créant 36 % d’emplois en plus et 44 % d’exits en plus, malgré un financement moindre. Ces statistiques, bien que non encore disponibles au Canada, suggèrent que l’arrivée de ces talents pourrait dynamiser l’économie canadienne.
Dax Dasilva, PDG de Lightspeed Commerce, insiste sur l’importance de faciliter l’accès aux visas et aux financements pour ces nouveaux arrivants. « L’opportunité est là, il faut juste lever les obstacles », affirme-t-il.
Les Enjeux de la Visibilité
Pour beaucoup de fondateurs queer, la visibilité est un enjeu central. Bradley Breton explique que pouvoir afficher son identité sans crainte est essentiel pour créer un environnement de travail inclusif. « La visibilité, c’est ce qui rend les gens à l’aise dans l’espace tech », dit-il. Pourtant, aux États-Unis, certains fondateurs doivent retirer toute mention de leurs projets queer pour sécuriser des contrats.
Au Canada, bien que l’environnement soit plus favorable, la prudence reste de mise. Les organisations comme Toronto Pride perdent des sponsors corporatifs, un phénomène qui reflète les tensions observées aux États-Unis. Cela met en lumière la nécessité de maintenir un engagement fort envers l’inclusion, même dans un pays réputé progressiste.
Un Avenir à Construire
L’exode des fondateurs queer vers le Canada pourrait redessiner l’écosystème tech. Pour que cet élan se concrétise, plusieurs actions sont nécessaires :
- Simplifier les processus de visa pour les entrepreneurs queer.
- Renforcer les programmes de financement inclusifs.
- Promouvoir la visibilité des fondateurs queer dans l’écosystème tech.
Le Canada a une chance unique de devenir un leader mondial en matière d’innovation inclusive. Mais pour cela, il doit agir rapidement pour accueillir ces talents et leur offrir un environnement où ils peuvent prospérer. Comme le souligne Dax Dasilva, « notre diversité alimente notre créativité, et nos valeurs renforcent notre pertinence. »
Pour les fondateurs comme Mary Richardson, le choix du Canada n’est pas seulement une question d’opportunités économiques. C’est une quête de liberté, celle de pouvoir vivre et entreprendre sans avoir à cacher qui ils sont. Alors que l’incertitude plane aux États-Unis, le Canada pourrait devenir le nouveau foyer de l’innovation queer, à condition de saisir cette chance historique.