
Pourquoi GE Vernova Freine l’Éolien Offshore
Comment une entreprise leader dans l’éolien offshore peut-elle décider de freiner ses ambitions alors que l’Europe connaît une demande sans précédent pour cette énergie verte ? C’est le paradoxe auquel fait face GE Vernova, troisième constructeur mondial d’éoliennes, qui a choisi de geler ses nouveaux projets dans un marché pourtant en pleine effervescence. Cette décision, annoncée en 2024, soulève des questions cruciales sur les défis économiques, techniques et stratégiques qui secouent la filière éolienne. Plongeons dans les raisons de ce virage inattendu et explorons ce qu’il révèle sur l’avenir de l’énergie renouvelable.
Un Marché en Plein Boom, mais des Obstacles Majeurs
Le marché de l’éolien offshore en Europe est en pleine expansion. La France s’apprête à inaugurer son quatrième parc éolien en mer d’ici fin 2025, au large des îles d’Yeu et de Noirmoutier. Ailleurs, la Pologne ambitionne 6 gigawatts (GW) de capacité d’ici 2030, tandis que le Royaume-Uni travaille sur 16 GW de projets en cours. Selon le cabinet norvégien Rystad Energy, la demande européenne devrait dépasser de 30 % les capacités de production d’ici 2029. Ce dynamisme devrait ravir les industriels du secteur, mais GE Vernova, un acteur clé, a décidé de faire une pause.
Pourquoi ce choix alors que tout semble sourire à l’éolien offshore ? La réponse réside dans une combinaison de défis économiques, techniques et stratégiques qui freinent l’élan de l’entreprise. Malgré des commandes existantes, comme les 200 éoliennes prévues pour le parc géant de Dogger Bank, GE Vernova fait face à des contraintes qui remettent en question sa rentabilité.
Une Crise Économique qui Érode les Marges
Le premier obstacle majeur pour GE Vernova est la crise inflationniste qui a frappé l’économie mondiale. Entre 2021 et 2023, les prix des matières premières, comme l’acier, essentiel à la fabrication des éoliennes, ont explosé. Cette flambée des coûts a mis sous pression les contrats signés à prix fixe avant 2021, période où l’entreprise avait remporté plusieurs appels d’offres, dont le prestigieux projet Dogger Bank au Royaume-Uni.
« Fin 2020, c’était la fête. Nous avions remporté plusieurs appels d’offres d’envergure. Ils ont juste oublié qu’il fallait exécuter les projets. »
– Cyrille Gohier-Met, délégué syndical CFE-CGC chez GE Vernova
Ces contrats à prix fixe, conclus dans un contexte économique stable, sont devenus un piège lorsque l’inflation a fait grimper les coûts de production. Les marges de GE Vernova ont été laminées, avec des pertes estimées à 1,6 milliard de dollars pour sa division éolienne offshore. Pour limiter les dégâts, l’entreprise a résilié plusieurs contrats aux États-Unis, comme Skipjack Wind et Ocean Wind, représentant 3 GW de projets. Cette décision illustre un virage stratégique : privilégier la rentabilité à court terme plutôt que la croissance à tout prix.
Des Problèmes Techniques à Répétition
Au-delà des défis économiques, GE Vernova fait face à des problèmes techniques qui ont terni sa réputation. Son éolienne phare, l’Haliade-X de 13 à 14 MW, a été au cœur de plusieurs incidents. En 2024, le parc éolien américain Vineyard Wind (800 MW, 62 éoliennes) a été stoppé plusieurs mois après la rupture d’une pale, causée par des défauts de fabrication dans une usine au Québec. Un autre incident au Royaume-Uni, fin août 2024, a marqué le troisième problème technique de l’année pour cette turbine.
Ces accidents ont non seulement engendré des retards coûteux, mais aussi ébranlé la confiance des clients. Les pertes financières associées à ces incidents se chiffrent en centaines de millions de dollars, accentuant la pression sur GE Vernova pour revoir son approche. L’entreprise a depuis renforcé ses contrôles qualité, mais ces déboires ont contribué à sa décision de geler les nouveaux contrats offshore.
Une Restructuration Drastique en France
En France, les conséquences de cette stratégie sont particulièrement visibles. GE Vernova, qui opère des sites à Montoir-de-Bretagne et Saint-Herblain (Loire-Atlantique), a annoncé en septembre 2024 la suppression de 900 emplois dans sa division éolienne offshore mondiale, dont 360 en France. Dans le détail, 220 postes sur 383 seront éliminés à Saint-Herblain, dédié à l’ingénierie et à la gestion de projets, et 140 sur 420 à Montoir-de-Bretagne, où sont assemblées les nacelles de l’Haliade-X.
Cette restructuration intervient alors que l’usine de Montoir-de-Bretagne est engagée dans la production de 291 éoliennes pour Dogger Bank d’ici 2027. Paradoxalement, l’usine est à pleine capacité, mais l’absence de nouvelles commandes au-delà de cette échéance inquiète les syndicats.
« L’usine est pleine jusqu’en 2027, et ils commencent déjà à supprimer des postes. Derrière, il y a un trou dans les commandes. »
– Cyrille Gohier-Met, délégué syndical CFE-CGC
Les syndicats dénoncent une décision qui menace l’écosystème industriel français, notamment dans une région comme la Loire-Atlantique, pionnière dans l’éolien offshore avec le parc de Saint-Nazaire, mis en service en 2022. La perte de ces emplois pourrait compromettre la souveraineté énergétique française, alors que le pays vise 45 GW d’éolien offshore d’ici 2050.
Un Changement de Cap Stratégique
L’introduction en bourse de GE Vernova en avril 2024, après la scission de General Electric en trois entités, a également joué un rôle clé dans cette réorientation. Sous la pression des actionnaires, notamment des fonds de pension américains comme Blackrock, l’entreprise cherche à maximiser sa rentabilité. Lors d’une présentation à New York en décembre 2024, le PDG Scott Strazik a insisté sur la nécessité de réduire les coûts et de se concentrer sur des secteurs plus lucratifs, comme les logiciels pour le nucléaire et les réseaux électriques, portés par la demande croissante des datacenters.
Ce recentrage stratégique explique pourquoi GE Vernova met l’éolien offshore en pause, malgré un carnet de commandes de 3 milliards de dollars pour les deux prochaines années. L’entreprise préfère sécuriser ses marges plutôt que de s’engager dans de nouveaux projets à risque.
Concurrence et Pression Chinoise
Un autre facteur complique la situation : la montée en puissance des fabricants chinois, comme Mingyang et Goldwind, qui proposent des turbines 30 à 40 % moins chères. Bien que leur crédibilité reste un frein en Europe, ces acteurs gagnent du terrain, notamment en Asie et en Amérique du Sud. En août 2024, Mingyang a annoncé un projet d’usine en Italie, signalant une volonté d’expansion sur le marché européen.
Face à cette concurrence, les fabricants occidentaux, dont GE Vernova et Siemens Gamesa, peinent à maintenir leur compétitivité. Siemens Gamesa, principal rival de GE Vernova, a également annoncé une restructuration en 2024, supprimant 2 900 emplois à l’échelle mondiale. Cette course aux coûts bas met en lumière la nécessité pour les industriels européens de revoir leurs modèles économiques.
Quelles Perspectives pour l’Éolien Offshore ?
La pause de GE Vernova dans l’éolien offshore soulève des questions sur l’avenir de la filière. Malgré un marché européen prometteur, les défis structurels – inflation, problèmes d’approvisionnement, incertitudes réglementaires – freinent le développement. En France, les syndicats et élus locaux appellent à une mobilisation pour préserver les sites industriels, notamment à Montoir-de-Bretagne, symbole de la filière éolienne française.
Voici les principaux défis auxquels GE Vernova et la filière éolienne doivent faire face :
- Inflation des coûts des matières premières, rendant les projets moins rentables.
- Problèmes techniques récurrents, affectant la fiabilité des turbines.
- Concurrence croissante des fabricants chinois à bas coût.
- Incertitudes réglementaires, ralentissant les commandes en Europe.
Pour surmonter ces obstacles, les gouvernements européens pourraient revoir les processus d’appels d’offres, en intégrant des mécanismes pour compenser l’inflation. Une meilleure planification des projets et des cadres réglementaires plus clairs pourraient également redonner de la visibilité aux industriels.
Un Enjeu de Souveraineté Énergétique
La décision de GE Vernova a des implications au-delà de l’entreprise elle-même. En France, la fermeture potentielle des sites de Loire-Atlantique menace un savoir-faire stratégique pour la transition énergétique. Les élus locaux, comme le député Matthias Tavel, appellent à une intervention de l’État pour garantir l’avenir de ces usines et éviter une dépendance aux importations chinoises.
Pour préserver cette filière, plusieurs pistes pourraient être explorées :
- Soutien public aux industriels pour absorber les hausses de coûts.
- Renforcement des contrôles qualité pour restaurer la confiance.
- Collaboration européenne pour contrer la concurrence chinoise.
La filière éolienne offshore, bien que pleine de promesses, traverse une période de turbulences. La pause de GE Vernova est un signal d’alarme, mais aussi une opportunité pour repenser les stratégies industrielles et garantir un avenir durable à cette technologie clé.
Conclusion : Un Tournant pour l’Énergie Verte
GE Vernova, en mettant ses projets éoliens offshore en pause, illustre les défis complexes auxquels fait face la filière énergétique. Entre pressions économiques, déboires techniques et concurrence mondiale, l’entreprise cherche à se réinventer pour rester compétitive. Pourtant, l’Europe, avec ses ambitions de neutralité carbone, ne peut se permettre de laisser s’effilocher une industrie stratégique. L’avenir de l’éolien offshore dépendra de la capacité des acteurs publics et privés à surmonter ces obstacles ensemble. Que fera GE Vernova pour rebondir ? Et comment la France préservera-t-elle son leadership dans cette filière ? Les réponses à ces questions façonneront le paysage énergétique de demain.