
Carburant Aérien Durable : Un Défi Mondial
Imaginez un avion décollant sans laisser derrière lui une traînée de carbone, un ciel plus propre et une industrie aéronautique en phase avec les impératifs écologiques. Ce rêve, porté par les carburants aériens durables (SAF pour Sustainable Aviation Fuel), est au cœur d’une course mondiale effrénée. Mais ce marathon, loin d’être un sprint, s’avère semé d’embûches : limites technologiques, ressources rares et investissements colossaux freinent les ambitions. Pourtant, près de 200 acteurs, dont une dizaine en France, s’élancent pour révolutionner l’aviation. Quels sont les défis à relever pour faire décoller cette industrie naissante ?
Une Course Mondiale aux Enjeux Écologiques
La transition vers une aviation durable n’est plus une option, c’est une nécessité. Avec des réglementations comme RefuelEU, l’Europe impose dès 2025 une incorporation de 2 % de SAF, et 6 % d’ici 2030, dont 1,2 % de carburants synthétiques. Ce coup d’envoi a mobilisé des acteurs du monde entier, mais les obstacles sont nombreux. Selon une étude récente, la demande mondiale de SAF atteindra 17 millions de tonnes d’ici 2030, un défi colossal face aux 4,4 millions de tonnes produites en 2024.
Les Pionniers de la Révolution Verte
Dans cette course, deux géants dominent : le finlandais Neste et l’américain World Energy, qui produisent à eux seuls 60 % des SAF actuels, principalement via la voie Hefa (esters et acides gras hydrotraités). Ces carburants, issus d’huiles usagées, sont les plus accessibles, mais leur production reste limitée par la disponibilité des matières premières. Les pétroliers traditionnels, comme TotalEnergies, Repsol ou BP, s’adaptent en convertissant leurs infrastructures existantes, capitalisant sur leur expertise industrielle.
Ce sont les acteurs qui possèdent déjà des outils industriels qui domineront la production à grande échelle dans les années à venir.
– Martin Bohmert, directeur de projet chez McKinsey
Mais la voie Hefa, bien qu’économique (1770 euros la tonne contre 730 euros pour le kérosène fossile), ne suffira pas. Les ressources, comme les huiles usagées, s’épuisent, et les besoins croissants exigent de nouvelles approches. C’est là qu’interviennent les acteurs innovants, notamment en France, où une dizaine d’entreprises explorent des solutions audacieuses.
Les Acteurs Français dans la Course
En France, des entreprises comme EDF Hynamics, Veolia, ou encore Verso Energy misent sur les e-fuels, des carburants synthétiques produits à partir d’hydrogène électrolytique et de CO2 capté. Ces technologies, bien que prometteuses, restent coûteuses, avec un prix atteignant 7500 euros la tonne. EDF Hynamics, par exemple, collabore avec le cimentier Holcim pour produire des e-SAF à Donges, en Loire-Atlantique. De son côté, Verso Energy planifie sept projets ambitieux, dont quatre en France, adossés à des papeteries pour capter le CO2.
Pourtant, ces initiatives se heurtent à des résistances. À Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, le projet d’Elyse Energy, basé sur des résidus de biomasse, fait face à une opposition locale. Global Bioenergies, qui mise sur une voie à base de sucre, lutte contre des contraintes financières, tandis que Haffner Energy explore l’hydrogène à partir de bois. Ces jeunes pousses incarnent l’innovation, mais leur chemin vers la production de masse est semé d’embûches.
Les Défis Technologiques et Financiers
Produire des SAF à grande échelle nécessite de surmonter des obstacles technologiques majeurs. La voie Hefa, bien que mature, dépend de ressources limitées. Les e-fuels, quant à eux, exigent des infrastructures complexes pour capter le CO2 et produire de l’hydrogène vert. De plus, les investissements nécessaires sont colossaux : entre 19 et 45 milliards de dollars d’ici 2030, selon le World Economic Forum.
Les incertitudes géopolitiques compliquent encore la donne. Aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act avait boosté les investissements dans les SAF, mais son gel sous la nouvelle administration a freiné des projets, comme celui de CVR Energy. En Europe, les politiques publiques vacillent également. TotalEnergies, par exemple, a repoussé l’extension de sa bioraffinerie de Grandpuits à 2026, un signe des hésitations face aux risques financiers.
Produire 100 000 tonnes de SAF nécessite 2 milliards de dollars d’investissement. Les e-fuels en 2030, voire 2035, semblent difficiles à envisager.
– Valérie Goff, vice-présidente des carburants renouvelables chez TotalEnergies
Une Demande Croissante, une Offre Limitée
La demande pour les SAF explose, portée par les engagements des compagnies aériennes comme Air France-KLM et des logisticiens comme Amazon ou DHL. Pourtant, l’offre reste insuffisante. En 2024, la capacité mondiale de production atteint à peine 4,4 millions de tonnes, loin des 17 millions nécessaires d’ici 2030. Voici un aperçu des besoins :
- 300 millions de tonnes de kérosène consommées chaque année.
- 4,4 millions de tonnes de SAF produites en 2024.
- 17 millions de tonnes nécessaires d’ici 2030.
Pour combler ce fossé, de nouvelles voies de production émergent, comme les SAF à base de biomasse ligneuse ou d’alcool. Ces technologies, bien que prometteuses, nécessitent des investissements massifs et une coordination entre secteurs (électricité, agriculture, industries émettrices de CO2). Cette complexité accroît les risques pour les nouveaux entrants.
La France, Terre d’Innovation
La France se positionne comme un acteur clé dans cette course. Outre les projets d’e-fuels, des initiatives comme celle de Veolia, qui vise à produire des SAF à partir de CO2 capté dans un incinérateur au Portugal, illustrent la créativité des entreprises hexagonales. Ces efforts s’inscrivent dans une logique de relocalisation industrielle et de transition énergétique, avec un accent sur l’économie circulaire.
Cependant, les défis restent nombreux. La production d’e-fuels, par exemple, repose sur l’accès à de l’hydrogène vert, dont la production est encore limitée en France. De plus, les coûts élevés et les incertitudes réglementaires freinent l’enthousiasme des investisseurs. Malgré ces obstacles, les acteurs français continuent de pousser l’innovation, portés par une vision d’une aviation plus verte.
Un Avenir Plein de Promesses, mais Incertain
La course aux carburants aériens durables est un marathon, pas un sprint. Si l’Europe mène la danse avec ses réglementations ambitieuses, d’autres régions, comme la Chine, se positionnent en embuscade. Le cabinet Sia souligne l’émergence de projets d’e-fuels en Asie, qui pourraient bouleverser l’équilibre mondial. Mais pour l’heure, l’industrie reste freinée par des contraintes techniques, financières et géopolitiques.
Pour réussir, les acteurs devront non seulement innover, mais aussi collaborer. Les partenariats entre industries (énergie, agriculture, aviation) seront cruciaux pour surmonter les défis. Comme le résume Antoine Laborde d’Air France-KLM :
Nous sommes confiants pour 2030, mais l’incorporation d’e-fuels et la production de bioSAF pour 2035 restent des défis majeurs.
– Antoine Laborde, responsable carburant durable chez Air France-KLM
En attendant, l’industrie des SAF continue de se structurer. Les investissements massifs et les avancées technologiques pourraient permettre de surmonter les obstacles, mais le chemin reste long. Une chose est sûre : l’avenir de l’aviation passe par une révolution verte, et la France est bien placée pour y jouer un rôle de premier plan.
Conclusion : Vers un Ciel Plus Vert
Les carburants aériens durables incarnent l’espoir d’une aviation respectueuse de l’environnement, mais leur déploiement à grande échelle exige du temps, de l’innovation et des investissements massifs. Entre les pionniers comme Neste, les géants pétroliers comme TotalEnergies et les start-ups françaises audacieuses, la course est lancée. Mais qui franchira la ligne d’arrivée en premier ? Une chose est certaine : chaque pas compte pour rendre nos cieux plus propres.