
Électronique Française : La Défense en Renfort
Dans un monde où les tensions géopolitiques redessinent les priorités industrielles, l’électronique française trouve dans la défense un nouvel élan. Alors que les usines peinent à répondre à la demande mondiale en semi-conducteurs, le secteur militaire offre une opportunité de diversification, mais aussi des défis de taille. Comment les entreprises hexagonales, des PME aux start-ups, s’adaptent-elles à cette économie de guerre ? Cet article explore les dynamiques, les innovations et les obstacles qui façonnent cette transformation.
La Défense, un Relais de Croissance Inattendu
Longtemps perçue comme un marché de niche aux volumes limités, la défense s’impose aujourd’hui comme un moteur de croissance pour l’électronique française. La montée des tensions internationales, notamment depuis le conflit en Ukraine, a poussé les gouvernements européens à investir massivement dans leur souveraineté militaire. En France, les PME et start-ups spécialisées dans l’électronique saisissent cette opportunité pour diversifier leurs activités, tout en relevant des défis techniques et humains.
Une Accélération des Commandes
Les entreprises du secteur constatent une hausse des commandes militaires, bien que l’impact reste modéré. Par exemple, une PME comme Centralp, basée dans le Rhône, fabrique des consoles de pilotage pour blindés et des calculateurs pour mortiers. Son dirigeant, Jean-Luc Logel, note une accélération des cadences pour certaines commandes, initialement prévues sur une décennie, mais regrette que les volumes ne soient pas encore suffisants pour justifier un passage en 3x8.
Nous sommes prêts à participer à l’effort de guerre, mais les retombées du réarmement tardent à se concrétiser en volumes significatifs.
– Jean-Luc Logel, dirigeant de Centralp
Cette situation illustre un paradoxe : bien que la volonté de réarmement soit affichée, les cycles longs des projets militaires freinent la montée en puissance. Les entreprises doivent donc jongler entre anticipation et réalité opérationnelle, tout en investissant dans leurs capacités.
L’Innovation au Cœur des Enjeux
Si les volumes restent limités, la défense impose un défi d’innovation technologique. Les entreprises doivent concevoir des solutions de pointe pour répondre aux besoins des armées modernes. Reflex CES, une PME basée en Essonne, excelle dans la conception de systèmes électroniques pour radars et guerre électronique, s’appuyant sur des FPGA (circuits programmables). Son directeur, Sylvain Neveu, explique que les clients exigent des produits intégrant les dernières avancées technologiques.
Pour Reflex CES, la production reste modeste, avec des séries de 10 à 100 cartes par an. Cependant, l’accent est mis sur la recherche et le développement pour proposer des architectures inédites. Cette exigence d’innovation est un moteur pour les entreprises, mais elle nécessite des investissements conséquents et des délais de qualification longs, souvent de deux à trois ans.
La Souveraineté, un Impératif Stratégique
La quête de souveraineté industrielle est un autre facteur clé. Avec la guerre en Ukraine et les incertitudes autour de l’engagement américain dans l’OTAN, les clients européens privilégient des solutions conçues et fabriquées localement. Reflex CES, par exemple, fournit des acteurs majeurs comme Thales, MBDA ou encore l’allemand Hensoldt, en insistant sur une production française. Cette demande de Made in France renforce l’attractivité des PME hexagonales, mais met aussi en lumière leurs faiblesses.
Nos clients veulent des cartes électroniques conçues et fabriquées en Europe, pour garantir leur autonomie stratégique.
– Sylvain Neveu, directeur général de Reflex CES
Cette exigence s’accompagne d’un défi majeur : la dépendance aux composants critiques, majoritairement importés des États-Unis. Des acteurs comme AMD, Intel ou Texas Instruments dominent le marché des processeurs, mémoires et convertisseurs. Une interdiction d’exportation, comme évoquée par certains scénarios géopolitiques, pourrait paralyser la production européenne.
Les Défis Humains et Techniques
Outre les enjeux technologiques, les entreprises font face à une pénurie de compétences. Emka Électronique, sous-traitant pour MBDA et Safran, illustre ce problème. Bien que la défense représente désormais 26 % de son chiffre d’affaires (contre 9 % en 2022), l’entreprise peine à recruter des câbleurs électroniques, un métier en voie de disparition dans les formations françaises.
Patrick Marionneau, président d’Emka Électronique, souligne la nécessité de former en interne les intérimaires pour pallier ce manque. Cette situation freine la capacité des PME à répondre à la hausse des commandes, malgré une demande croissante.
Les Acteurs Émergents et la Relocalisation
Face à ces défis, certaines entreprises innovent pour renforcer leur position. NanoXplore, par exemple, se distingue en concevant des processeurs FPGA pour satellites, fabriqués en France par STMicroelectronics. En rachetant récemment la division Asic de Dolphin Design, NanoXplore ambitionne de devenir un acteur clé dans les composants sur mesure pour la défense.
De son côté, Kalray, une start-up issue du CEA, pivote vers la défense. Initialement tournée vers les datacenters et l’automobile, elle adapte désormais ses puces performantes pour répondre aux besoins militaires. Cette réorientation illustre la capacité des jeunes pousses à saisir les opportunités offertes par l’économie de guerre.
Les Perspectives d’Avenir
Quelles sont les prochaines étapes pour l’électronique française dans la défense ? Voici les grandes tendances observées :
- Hausse des investissements en R&D pour répondre aux exigences technologiques des armées.
- Efforts de relocalisation pour réduire la dépendance aux composants étrangers.
- Renforcement des formations pour pallier la pénurie de compétences techniques.
- Collaboration accrue entre PME, start-ups et grands groupes pour innover.
Ces tendances dessinent un avenir où l’électronique française pourrait non seulement diversifier ses activités, mais aussi renforcer la souveraineté technologique de l’Europe. Cependant, le chemin reste semé d’embûches, notamment en termes de financement et de ressources humaines.
Un Équilibre à Trouver
La diversification vers la défense est une opportunité majeure pour l’électronique française, mais elle ne saurait compenser à elle seule les défis structurels du secteur. La dépendance aux composants étrangers, la pénurie de talents et les cycles longs des projets militaires exigent une stratégie concertée entre l’État, les industriels et les centres de formation.
En attendant, des entreprises comme Reflex CES, NanoXplore ou Kalray montrent la voie en misant sur l’innovation et la souveraineté. Leur succès dépendra de leur capacité à transformer les discours sur le réarmement en commandes concrètes, tout en surmontant les obstacles techniques et humains.
En conclusion, l’électronique française se trouve à un tournant. La défense, bien que limitée en volumes, offre un terrain fertile pour l’innovation et la croissance. Reste à savoir si le secteur saura saisir cette chance pour renforcer sa place sur l’échiquier mondial. L’avenir de cette industrie stratégique se joue dès aujourd’hui.