Rio Tinto Parie Gros sur le Lithium au Chili

Et si l’avenir de l’énergie verte reposait sur un métal blanc extrait des déserts salés du Chili ? Alors que le marché du lithium traverse une tempête, avec des prix au plus bas depuis deux ans, un acteur majeur de l’industrie minière, Rio Tinto, fait un choix audacieux : investir massivement dans les riches salars chiliens. Ce pari, à contre-courant des tendances actuelles, pourrait redéfinir les contours de la transition énergétique. Mais pourquoi une telle confiance dans un secteur en crise ? Plongeons dans cette aventure industrielle où se mêlent innovation, stratégie à long terme et défis environnementaux.

Le Lithium, Clé de la Transition Énergétique

Le lithium, surnommé l’or blanc, est au cœur de la révolution des batteries rechargeables, alimentant tout, des smartphones aux véhicules électriques. Avec la montée en puissance des énergies renouvelables, la demande pour ce métal stratégique semblait promise à une croissance exponentielle. Pourtant, depuis début 2023, les prix du lithium ont chuté de manière drastique, passant de 12 000 dollars la tonne à moins de 9 500 dollars aujourd’hui, selon les données de Benchmark Minerals Intelligence. Cette baisse, alimentée par une surproduction mondiale et un ralentissement de l’adoption des véhicules électriques, a refroidi de nombreux investisseurs.

Mais Rio Tinto, géant minier anglo-australien, voit plus loin. L’entreprise mise sur une reprise de la demande à long terme, portée par les ambitions climatiques mondiales. En s’implantant au Chili, deuxième producteur mondial de lithium derrière l’Australie, elle entend sécuriser sa place dans un marché qui, selon les experts, pourrait connaître un déficit dès la fin de la décennie.

Un Double Coup au Chili

En mai 2025, Rio Tinto a frappé fort en s’associant à deux projets d’envergure dans les salars chiliens. Le premier, en partenariat avec Codelco, la compagnie publique chilienne, vise l’exploitation du salar de Maricunga, deuxième gisement le plus riche du pays après l’Atacama. Ce projet, prévu pour démarrer en 2026, nécessitera un investissement initial de 350 millions de dollars pour évaluer le potentiel du site, suivi d’au moins 500 millions pour développer une mine.

Quelques jours plus tard, Rio Tinto a remporté un second contrat avec Enami, une autre entreprise publique chilienne, pour exploiter les salars d’Altoandinos (Aguilar, La Isla et Grande). Ce gisement, estimé à 15 millions de tonnes équivalent carbonate de lithium, représente un potentiel colossal. Rio Tinto y détiendra 51 % des parts et injectera au moins 425 millions de dollars pour des études de faisabilité.

Rio Tinto n’a cessé de croire aux perspectives à long terme du lithium, avec un déficit du marché attendu à partir de la fin de cette décennie.

– Communiqué officiel de Rio Tinto, mai 2025

Ces deux projets marquent une ambition claire : faire de Rio Tinto un leader mondial du lithium, un métal essentiel pour les batteries des véhicules électriques et le stockage des énergies renouvelables.

Une Technologie Innovante : L’Extraction Directe

Ce qui distingue Rio Tinto de ses concurrents, c’est son adoption de la technologie DLE (Direct Lithium Extraction). Contrairement aux méthodes traditionnelles par évaporation, qui consomment de grandes quantités d’eau et de saumure, l’extraction directe promet une approche plus durable et efficace. Cette innovation, encore en phase de validation à grande échelle, pourrait réduire l’impact environnemental tout en augmentant la compétitivité des opérations.

Le Chili, avec ses vastes salars et son cadre réglementaire strict, est un terrain idéal pour tester cette technologie. Cependant, Rio Tinto devra prouver que la DLE est viable à l’échelle industrielle, un défi de taille dans un contexte de pression environnementale croissante.

Un Pari à Contre-Courant

Alors que des géants miniers comme BHP ou Glencore se concentrent sur des métaux comme le fer ou le cuivre, Rio Tinto fait figure d’exception. Son investissement de 6,7 milliards de dollars pour acquérir Arcadium en 2024, suivi de 2,5 milliards pour agrandir sa mine de Rincon en Argentine, montre une stratégie résolument tournée vers le lithium. Mais ce choix n’est pas sans risques.

Selon un rapport récent de WoodMackenzie, le marché du lithium pourrait rester en surproduction jusqu’à la fin des années 2020, maintenant les prix sous pression. De plus, l’émergence de technologies alternatives, comme les batteries au sodium, pourrait réduire la dépendance au lithium à moyen terme. Pourtant, Rio Tinto reste confiant, anticipant une croissance annuelle de la demande de plus de 10 % jusqu’en 2040.

Les Défis du Chili

Le Chili impose des contraintes uniques aux compagnies minières. Les gisements de lithium, considérés comme stratégiques, sont soumis à des contrats spéciaux d’opération de lithium (CEOL), qui exigent des partenariats avec des entreprises publiques comme Codelco ou Enami. Cette réglementation vise à maintenir un contrôle national sur les ressources, tout en augmentant la production pour répondre à la demande mondiale.

Cette situation a créé des tensions, notamment avec le groupe français Eramet, qui avait investi 95 millions de dollars pour acquérir des concessions dans les salars d’Altoandinos. Sans l’autorisation de produire, Eramet pourrait être contraint de céder ses permis, soulevant des questions sur l’équité du processus d’attribution des contrats.

Les Enjeux Environnementaux

L’extraction du lithium dans les salars chiliens soulève des préoccupations environnementales majeures. Les méthodes traditionnelles consomment d’énormes quantités d’eau, une ressource rare dans le désert d’Atacama. La technologie DLE, bien que prometteuse, doit encore démontrer qu’elle peut minimiser l’impact sur les écosystèmes fragiles de la région.

Les communautés locales, souvent dépendantes des ressources en eau, surveillent de près ces projets. Rio Tinto devra naviguer entre ses ambitions industrielles et les attentes en matière de développement durable, un équilibre délicat dans un pays où la pression sociale et environnementale est croissante.

Pourquoi ce Pari Peut-il Réussir ?

Le pari de Rio Tinto repose sur plusieurs piliers stratégiques :

• Une vision à long terme, anticipant un déficit de lithium dès 2030.
• L’adoption de la technologie DLE pour une extraction plus durable.
• Des partenariats solides avec Codelco et Enami, garantissant l’accès aux gisements.
• Une présence renforcée en Amérique du Sud, avec des projets en Argentine et au Chili.

En diversifiant ses actifs et en investissant dans des technologies innovantes, Rio Tinto se positionne comme un acteur clé de la transition énergétique. Mais le succès de cette stratégie dépendra de sa capacité à surmonter les défis techniques, environnementaux et réglementaires.

Un Modèle pour l’Avenir ?

Le choix de Rio Tinto de se focaliser sur le lithium, malgré les incertitudes actuelles, pourrait inspirer d’autres entreprises minières. En combinant des investissements massifs avec une approche durable, l’entreprise tente de concilier rentabilité et responsabilité environnementale. Si la technologie DLE tient ses promesses, elle pourrait devenir un standard pour l’industrie, réduisant l’empreinte écologique des mines de lithium.

Le Chili, avec ses immenses réserves et son cadre réglementaire unique, est au cœur de cette transformation. Les projets de Rio Tinto pourraient non seulement redéfinir le marché du lithium, mais aussi servir de modèle pour une exploitation minière plus respectueuse de l’environnement.

Conclusion : Un Pari sur le Long Terme

En misant sur le lithium chilien, Rio Tinto prend un risque calculé. Alors que le marché traverse une phase de turbulence, l’entreprise regarde au-delà des cycles économiques, pariant sur une demande croissante pour les batteries et le stockage d’énergie. Ce choix audacieux, porté par des investissements massifs et une technologie innovante, pourrait faire de Rio Tinto un pionnier de la transition énergétique.

Reste à savoir si ce pari portera ses fruits. Dans un monde où la durabilité devient une priorité, l’avenir du lithium chilien pourrait bien dessiner les contours d’une nouvelle ère industrielle. Une chose est sûre : Rio Tinto est prêt à écrire cette histoire, une mine à la fois.