Rippling vs Deel : Espionnage chez Revolut
Imaginez un monde où les géants de la tech se livrent une guerre sans merci, non pas avec des armes, mais avec des informations volées et des paiements clandestins. C'est exactement ce qui se passe actuellement entre deux stars des ressources humaines numériques : Rippling et Deel. Au cœur de cette tempête, un géant de la fintech britannique, Revolut, se retrouve impliqué malgré lui.
Une affaire d'espionnage qui sent le thriller hollywoodien
Tout commence avec un affidavit explosif déposé par Keith O’Brien, un employé irlandais de Rippling. Ce document juridique, digne d'un scénario de film d'espionnage, révèle des accusations graves. O’Brien affirme avoir reçu environ 6 000 dollars par mois pour transmettre des informations confidentielles sur son employeur à la concurrence.
Le premier paiement, datant de novembre 2024, aurait transité par un compte Revolut. L'expéditeur ? Une certaine "Alba Basha". Mais cette identité cache-t-elle une réalité bien plus troublante ? C'est ce que Rippling cherche désespérément à découvrir.
Les liens troublants avec la direction de Deel
Voici où l'histoire prend une tournure particulièrement intéressante. Alba Basha Westgarth n'est autre que l'épouse de Dan Westgarth, le Chief Operating Officer de Deel. À l'époque du transfert, elle occupait le poste de responsable conformité crypto chez Robinhood, une position qui a mystérieusement disparu de son profil LinkedIn.
Robinhood a confirmé son départ en début d'année 2025, sans fournir d'explications. Son profil indiquait une localisation à Dubaï – une coïncidence ? Pas vraiment, quand on sait que le PDG et le directeur juridique de Deel y résident actuellement, alors que Rippling tente de leur faire signifier des documents judiciaires.
Il pourrait s'agir d'une coïncidence, mais c'est peu probable !
– Juge Mark Sanfey, Haute Cour irlandaise
Cette remarque du juge lors d'une audience du 2 avril 2025 en dit long sur la crédibilité des éléments présentés par Rippling. Parmi les preuves : une photo Facebook montrant le couple ensemble, et d'autres connexions qui rendent l'hypothèse d'une homonymie hautement improbable.
Rippling passe à l'offensive contre Revolut
Face à ces éléments, Rippling n'a pas hésité. L'entreprise a engagé une action en justice contre Revolut en Irlande, exigeant la révélation complète de l'identité derrière le compte "Alba Basha". Mais ce n'est pas tout : Rippling veut aussi tous les documents d'ouverture de compte – pièces d'identité, factures, tout ce qui pourrait confirmer définitivement l'identité de la personne.
Revolut, de son côté, joue la carte de la prudence légale. La fintech britannique a retenu les services d'un avocat de premier plan en Irlande. Une lettre envoyée la semaine dernière à Rippling a été qualifiée de "utile mais compliquée" par l'avocat de cette dernière, lors d'une audience récente.
Il faut dire que le cadre réglementaire européen est particulièrement strict en matière de protection des données. Sans ordre direct de la cour irlandaise, Revolut ne peut pas divulguer ces informations sensibles dans le cadre d'une affaire civile.
Les enjeux colossaux pour les trois entreprises
Cette affaire va bien au-delà d'une simple querelle entre startups. Elle touche à des questions fondamentales de confidentialité, de sécurité des données et de concurrence déloyale dans l'écosystème tech.
Pour Rippling, fondé par Parker Conrad (ancien PDG de Zenefits), c'est une question de survie. L'entreprise, valorisée à plusieurs milliards de dollars, gère les données sensibles de milliers d'entreprises clientes. Une brèche dans sa sécurité interne serait catastrophique.
Deel, son principal concurrent, nie fermement toute implication. Pourtant, les éléments accumulés par Rippling dessinent un tableau préoccupant. Si les accusations sont prouvées, cela pourrait entraîner des sanctions sévères et une atteinte irréparable à sa réputation.
Revolut, quant à elle, se retrouve dans une position délicate. La fintech, qui ambitionne de devenir la première banque digitale mondiale, doit naviguer entre ses obligations légales et sa réputation de transparence. Un porte-parole a déclaré que l'entreprise "se conformera toujours à toute ordonnance judiciaire de divulgation".
Le contexte d'une guerre commerciale acharnée
Pour comprendre l'ampleur de cette affaire, il faut replacer le contexte. Rippling et Deel opèrent dans le même secteur ultra-concurrentiel des plateformes RH globales. Les deux entreprises permettent aux compagnies de gérer paie, avantages sociaux et conformité à l'international.
Deel s'est particulièrement distinguée par sa croissance fulgurante pendant la pandémie, levant des fonds à des valorisations vertigineuses. Rippling, de son côté, mise sur une intégration plus complète de ses services. Cette concurrence directe crée un environnement où chaque avantage informationnel compte.
- Rippling : Intégration complète RH + finance + IT
- Deel : Spécialisation dans les paiements internationaux et contractors
- Marché commun : Entreprises en expansion globale
Dans ce contexte, l'espionnage industriel n'est pas une hypothèse farfelue. Les startups tech ont déjà connu des cas similaires – rappelez-vous l'affaire Uber/Waymo sur les véhicules autonomes.
Les implications juridiques et réglementaires
L'affaire soulève des questions cruciales sur la protection des données personnelles dans l'Union européenne. Le RGPD impose des contraintes strictes sur le partage d'informations identificatrices, même dans le cadre d'enquêtes privées.
Sans consentement du titulaire du compte ou ordonnance judiciaire, Revolut est dans l'impossibilité légale de divulguer les informations demandées. Cela crée un dilemme : comment prouver des allégations graves sans accéder aux preuves nécessaires ?
La Haute Cour irlandaise semble pencher en faveur de Rippling. Les remarques du juge Sanfey indiquent une reconnaissance de la solidité des éléments présentés. Reste à savoir sous quelle forme l'identité d'Alba Basha sera révélée – partiellement ? Avec des parties masquées ?
Dubaï : le refuge des protagonistes ?
L'emplacement à Dubaï n'est pas anodin. Les Émirats arabes unis n'ont pas de traité d'extradition avec de nombreux pays, y compris les États-Unis. Cette juridiction est devenue populaire auprès de certains entrepreneurs tech cherchant à échapper à la justice de leur pays d'origine.
Le fait que le PDG de Deel, Alex Bouaziz, et son directeur juridique y résident actuellement, alors que Rippling tente de leur signifier des documents, soulève des questions. Est-ce une stratégie délibérée pour compliquer les procédures judiciaires ?
Cette dimension internationale complexifie énormément l'affaire. Rippling doit naviguer entre juridictions irlandaises, britanniques, américaines et émiraties – un véritable casse-tête juridique.
Les réactions des parties impliquées
Deel maintient fermement sa position de non-culpabilité. L'entreprise n'a pas répondu aux demandes de commentaires sur cette affaire spécifique, mais avait précédemment nié toute malversation dans ses déclarations aux médias.
Dan Westgarth et Alba Basha Westgarth n'ont pas non plus répondu aux sollicitations. Leur silence est assourdissant dans une affaire où chaque détail compte.
Rippling, de son côté, refuse de commenter au-delà des documents judiciaires. Une stratégie classique dans ce type de litige sensible.
Ce que cette affaire nous dit sur l'écosystème startup
Au-delà du sensationnel, cette affaire révèle les tensions extrêmes qui animent le monde des startups à forte valorisation. Quand des milliards sont en jeu, les méthodes pour prendre l'avantage peuvent parfois franchir la ligne éthique.
Elle met aussi en lumière la vulnérabilité des employés face à des offres alléchantes. 6 000 dollars par mois représentent une somme considérable, surtout pour un employé basé en Irlande. Cela soulève la question de la loyauté et des mesures de sécurité interne.
Enfin, elle illustre le rôle crucial des fintech comme Revolut dans l'économie numérique. Ces plateformes facilitent des transactions mondiales instantanées, mais deviennent aussi des points de friction dans les conflits commerciaux.
Les scénarios possibles pour la suite
Plusieurs issues sont envisageables dans les prochains mois :
- La cour ordonne à Revolut de divulguer les informations, confirmant l'identité dика Alba Basha Westgarth
- Un règlement à l'amiable entre Rippling et Deel, avec des excuses et des compensations
- L'affaire s'étend à d'autres juridictions, avec des enquêtes aux États-Unis
- De nouvelles révélations émergent, impliquant d'autres employés ou paiements
Quelle que soit l'issue, cette affaire marquera un tournant dans la manière dont les startups tech gèrent leur sécurité interne et leurs relations concurrentielles.
Leçons pour les entrepreneurs et les investisseurs
Cette saga offre de précieuses leçons pour l'écosystème startup :
1. La sécurité interne avant tout – Les entreprises doivent investir massivement dans la détection des fuites d'information et la formation de leurs employés.
2. La concurrence oui, l'espionnage non – Il existe une ligne rouge entre la veille concurrentielle légitime et les pratiques illégales.
3. La transparence paie – Les entreprises qui communiquent clairement sur leurs pratiques éthiques inspirent davantage confiance.
Cette affaire rappelle que derrière les valorisations à neuf zéros se cachent des êtres humains, avec leurs faiblesses et leurs ambitions. Le monde des startups reste un univers impitoyable où la fin justifie parfois les moyens – jusqu'à ce que la justice s'en mêle.
Alors que l'audience suivante approche, le monde tech retient son souffle. Qui sortira vainqueur de cette bataille juridique ? Et surtout, quelles autres révélations nous attendent dans les coulisses de la Silicon Valley ? Une chose est sûre : cette histoire est loin d'être terminée.