Safran Révolutionne la Défense par IA

Imaginez un port chinois grouillant de navires, certains militaires camouflés parmi les civils, et un expert qui, pixel par pixel, dessine leurs contours sur un écran. Ce n'est pas de la science-fiction, mais le quotidien au Centre d’entraînement et de développement de l’intelligence artificielle (Cedia) de Safran, niché près de Rennes. Dans cet univers ultra-sécurisé, l'humain enseigne à la machine à voir l'invisible, transformant des images satellites en outils de défense stratégique.

L'Usine Secrète d'Algorithmes de Safran.AI

À Pacé, en Ille-et-Vilaine, Safran a créé une véritable chaîne de production pour ses algorithmes d'intelligence artificielle dédiés à la défense. Issue de l'acquisition de la start-up Preligens pour 220 millions d'euros en 2024, Safran.AI représente le fer de lance du groupe dans ce domaine. Le Cedia, cœur battant de cette entité, emploie une trentaine d'experts sur les 250 que compte l'ensemble, tous habilités à manipuler des données classifiées.

Pourquoi tant de précautions ? Parce que les images traitées proviennent de satellites militaires ou commerciaux, offrant une résolution bien supérieure aux clichés publics. Ces données souveraines, accessibles depuis l'an dernier, permettent une analyse fine des théâtres d'opérations. L'armée française utilise déjà ces solutions pour une connaissance précise des zones sensibles.

L'Annotation Humaine : La Clé de la Précision

Tout commence par l'annotation manuelle. Un expert face à un écran découpe méticuleusement chaque objet : un destroyer chinois, une voiture en mouvement sur une vidéo, ou un engin radar indistinct. Ce travail artisanal exige une formation de 500 heures pour maîtriser un guide de 1 700 pages recensant les types d'engins.

Pour les données ultrasensibles, douze annotateurs opèrent sur site. Les tâches moins critiques sont externalisées à une centaine de personnes à Madagascar. Des dizaines de millions d'objets ont ainsi été labellisés, avec des contrôles qualité rigoureux pour valider chaque annotation.

C’est l’humain qui apprend à la machine, c’est la seule façon d’atteindre ensuite une précision proche de 100 %.

– Vincent Cornillet, directeur du Cedia

Cette approche hybride réduit les incertitudes, essentielle pour des applications critiques. L'IA seule ne suffit pas ; elle doit être guidée par l'expertise humaine pour distinguer un bateau camouflé ou un véhicule quasi invisible dans le désert.

Une Chaîne de Production Industrialisée

Après l'annotation, les images passent aux data scientists. Ils construisent des modèles via du deep learning, utilisant des réseaux de neurones artificiels. Le processus, industrialisé, permet des mises à jour fréquentes adaptées à chaque client institutionnel – une dizaine au total, dont les noms restent confidentiels.

De un à six mois suffisent pour développer une solution sur mesure. Au-delà, les besoins évoluent, surtout sur un marché naissant où les utilisateurs découvrent progressivement les potentiels. L'outil est agnostique : il analyse indifféremment images de satellites Airbus, Maxar, ou radars de la start-up finlandaise Iceye.

Des démonstrations impressionnantes montrent l'efficacité : en secondes, l'IA repère des véhicules terrestres dans un paysage africain aride ou un navire dissimulé dans un port. Ces retours d'expérience affinent constamment les algorithmes.

• Sources d'images : Satellites commerciaux (Airbus, Maxar) et radars (Iceye).
• Formation annotateurs : 500 heures pour expertise complète.
• Objets annotés : Des dizaines de millions à ce jour.
• Clients : Armée française et institutions internationales.

Deep Learning au Service de la Défense

Le cœur technologique repose sur l'apprentissage profond. Les réseaux de neurones, entraînés sur des masses de données annotées, apprennent à reconnaître patterns et anomalies. Contrairement à l'IA générative grand public, ici la fiabilité prime : une erreur peut avoir des conséquences stratégiques.

Safran.AI ne connaît pas l'usage final chez le client – les données ne reviennent pas. Cela préserve la confidentialité tout en permettant des itérations basées sur feedbacks généraux. Le marché, immature, pose des défis : peu de clients, contrats courts. Pourtant, les concurrents sont rares.

Si l’on veut embarquer les produits d’IA dans des applications critiques, il faut développer des procédés et des compétences propres qui sont encore très rares.

– Vincent Cornillet

Cette rareté confère un avantage compétitif. L'écosystème rennais, riche en digital et cybersécurité, attire les talents. D'ici cinq ans, les effectifs pourraient tripler à une centaine.

Au-Delà de la Défense : Applications Industrielles

Safran.AI vise la diversification. La même technologie pourrait automatiser les contrôles visuels dans les usines du groupe. Imaginez des chaînes de production où l'IA détecte défauts sur pièces aéronautiques sans intervention humaine.

Des contrôles non destructifs accélérés, une qualité renforcée, des coûts réduits. Cela s'inscrit dans la transformation numérique du groupe, où l'IA passe du militaire à l'industriel. Preligens, à l'origine, excellait déjà en analyse géospatiale ; Safran l'étend.

Cette dualité civil-militaire n'est pas nouvelle chez Safran, leader en propulsion et équipements. Mais l'IA ouvre de nouveaux horizons, potentiellement lucratifs sur un marché en expansion.

Les Défis d'un Marché Émergent

Malgré les succès, obstacles persistent. Le secteur défense reste conservateur : contrats à long terme rares, clients institutionnels prudents. La maturité viendra avec les preuves d'efficacité en opérations réelles.

La cybersécurité est primordiale. Le site de Pacé, habilité secret-défense, protège contre fuites. Toute la chaîne – annotation, entraînement, déploiement – intègre des protocoles stricts.

Autre enjeu : la scalabilité. Annoter manuellement des millions d'objets demande ressources. L'externalisation à Madagascar optimise coûts, mais la qualité reste supervisée depuis Rennes.

• Défis contrats : Préférence pour courts termes.
• Sécurité : Habilitation données sensibles.
• Scalabilité : Équipes mixtes France-Madagascar.

L'Écosystème Breton, un Atout Majeur

Rennes n'a pas été choisie par hasard. La région bretonne excelle en technologies numériques. Proximité avec écoles d'ingénieurs, clusters cybersécurité, start-ups IA : tout concourt à attirer profils rares.

Data scientists, annotateurs experts, ingénieurs deep learning : les besoins croissent. Safran.AI profite de cette dynamique pour recruter localement, évitant la fuite des cerveaux vers Paris ou l'étranger.

Cette implantation renforce le Made in France en souveraineté numérique. Dans un contexte géopolitique tendu, contrôler sa chaîne IA défense devient stratégique.

Vers une IA Souveraine et Éthique

Safran.AI incarne la quête d'autonomie technologique française. En internalisant annotation et développement, le groupe réduit dépendance aux géants américains ou chinois.

L'éthique guide aussi : transparence sur les limites de l'IA, biais minimisés via annotations diversifiées. Pas de décisions autonomes létales ; l'humain reste dans la boucle.

Cette démarche responsable attire partenaires institutionnels européens, potentiellement au-delà de la France.

Perspectives d'Avenir pour Safran.AI

L'avenir s'annonce prometteur. Avec la montée des conflits hybrides, la demande en renseignement image explose. Drones, satellites prolifèrent ; l'IA devient indispensable pour trier l'information.

Safran.AI pourrait étendre à l'analyse vidéo temps réel, fusion multisources (radar, optique, infrarouge). Des partenariats avec Thales ou Dassault imaginables pour systèmes intégrés.

Sur le civil, usines intelligentes, maintenance prédictive : le transfert technologique accélère. En cinq ans, Safran.AI pourrait devenir un leader européen de l'IA appliquée.

Cette usine d'algorithmes près de Rennes illustre la mutation de la défense : de l'artisanat high-tech à l'industrie scalable. L'humain et la machine, en symbiose, redéfinissent la supériorité informationnelle. Demain, chaque pixel comptera sur le champ de bataille numérique.

En explorant ces coulisses, on mesure l'ampleur de la révolution en cours. Safran ne fabrique plus seulement des moteurs ou des freins ; il forge l'intelligence qui protège les nations. Une aventure où la Bretagne joue un rôle pivotal dans la grande saga de l'IA souveraine.