Stratégies IA et Achat Canadien en 2026
Imaginez un instant : le gouvernement canadien qui décide de devenir son propre meilleur client pour booster l'intelligence artificielle locale. Cela ressemble à un scénario de science-fiction ? Pourtant, c'est exactement la direction que prend Ottawa avec ses nouvelles stratégies annoncées récemment. Lors d'une intervention très attendue à Toronto, le ministre responsable de l'IA a levé le voile sur des plans ambitieux qui pourraient transformer le paysage technologique du pays dès l'année prochaine.
Cette annonce n'arrive pas dans le vide. Le Canada fait face à une concurrence féroce sur la scène mondiale de l'IA, dominée par des géants américains et chinois. En misant sur une approche souverainiste, le gouvernement espère non seulement retenir les talents locaux mais aussi créer un écosystème vertueux où les entreprises canadiennes prospèrent grâce à des contrats publics. Mais derrière les belles promesses, quelles sont les réalités concrètes de ces initiatives ?
Les Grandes Lignes des Stratégies à Venir
Le cœur de l'annonce repose sur deux piliers majeurs : une stratégie nationale pour l'intelligence artificielle et une politique d'achat canadien renforcée. Ces deux volets, qui devraient entrer pleinement en vigueur en 2026, visent à créer un cercle vertueux entre investissements publics et développement privé. Le ministre Evan Solomon n'a pas mâché ses mots lors de sa présentation au hub d'innovation OneEleven.
Le budget fédéral 2025 a déjà alloué près de 926 millions de dollars sur cinq ans pour le développement d'infrastructures IA publiques à grande échelle. Une grande partie de cette somme, soit 800 millions, provient en réalité de l'ancienne stratégie de calcul IA souverain du gouvernement libéral précédent. Cette continuité montre une volonté politique ferme de ne pas repartir de zéro.
Le gouvernement a l'opportunité d'être une force de construction nationale en devenant son propre meilleur client.
– Evan Solomon, ministre de l'IA
Cette citation résume parfaitement la philosophie sous-jacente. Plutôt que de subir la concurrence étrangère, Ottawa veut utiliser son pouvoir d'achat pour stimer l'innovation domestique. Cette approche n'est pas nouvelle en soi – de nombreux pays pratiquent déjà des politiques protectionnistes dans des secteurs stratégiques – mais elle prend une dimension particulière dans le domaine de l'IA.
L'Infrastructure IA : Le Fondement Technique
Avant de parler applications, il faut des fondations solides. C'est pourquoi une large part des investissements ira à la construction de centres de données locaux. Le ministre Solomon a insisté sur ce point : sans capacité de calcul domestique, le Canada restera dépendant des fournisseurs étrangers pour ses besoins en IA.
La Banque de l'infrastructure du Canada jouera un rôle central dans ce projet. Elle pourra investir directement dans des projets d'infrastructure IA jugés prometteurs. De plus, le ministre a désormais le pouvoir d'engager des discussions avec l'industrie et de signer des protocoles d'entente avec des entreprises stratégiques.
Ces protocoles ne sont pas de simples formalités. Prenez l'exemple de l'accord déjà signé avec Cohere, une startup canadienne spécialisée dans les grands modèles de langage. Ce type de partenariat permet d'accélérer les processus d'acquisition publique, souvent critiqués pour leur lenteur bureaucratique.
- Construction accélérée de data centers nationaux
- Investissements ciblés via la Banque de l'infrastructure
- Protocoles d'entente pour simplifier les achats
- Garanties financières potentielles pour les projets privés
Ces mesures visent à créer un environnement où les entreprises n'hésitent plus à investir au Canada par peur de manquer de ressources computationnelles. Le gouvernement se positionne comme un facilitateur, pas comme un constructeur universel – une nuance importante soulignée par Solomon lui-même.
La Politique Buy Canadian : Plus qu'un Slogan
Parallèlement à la stratégie IA, le gouvernement met en place une politique d'achat canadien ambitieuse. Près de 186 millions de dollars sur cinq ans seront consacrés à sa mise en œuvre. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, cette politique ne se limite pas à des recommandations : elle deviendra obligatoire dans certains secteurs.
Le déploiement se fera en plusieurs phases. Dès ce mois-ci, les règles s'appliqueront aux contrats de défense et de construction. L'implémentation complète est prévue pour le printemps 2026. À terme, toute entreprise recevant des fonds publics pour des projets IA ou numériques pourrait être tenue d'acheter auprès de fournisseurs canadiens.
Cette conditionnalité n'est pas anodine. Elle pourrait bouleverser les chaînes d'approvisionnement de nombreuses entreprises tech. Mais elle répond aussi à une logique économique : pourquoi injecter des milliards dans l'innovation si l'argent finit dans les poches de concurrents étrangers ?
Le ministre Solomon a été clair : le secteur privé devra faire une large part du travail. Le gouvernement ne veut pas "sauver tout le monde" mais créer les conditions d'une croissance autonome. Cette position équilibrée évite les pièges du protectionnisme excessif tout en donnant un avantage compétitif clair aux acteurs locaux.
Le Rôle Crucial de la Task Force IA
Derrière ces annonces, un travail de fond a été réalisé cet automne. Une task force spéciale sur l'IA, composée d'experts du secteur, a été réunie pour guider la stratégie nationale. En seulement 30 jours, ce groupe a produit des recommandations détaillées qui orienteront les décisions à venir.
Les chiffres impressionnent : 28 soumissions des membres de la task force et plus de 11 000 contributions du public – un record pour le ministère de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique. Fait amusant : l'IA elle-même est utilisée pour trier cette masse de données !
Le ministre rencontre actuellement les membres de la task force pour consolider ces recommandations. Bien qu'aucune date précise n'ait été donnée pour leur publication, la stratégie finale devrait intégrer la majorité de ces inputs. Cette approche participative marque une évolution dans la manière dont Ottawa élabore ses politiques technologiques.
Les Défis à Surmonter
Tout n'est pas rose dans ce tableau. Plusieurs obstacles pourraient compliquer la mise en œuvre de ces stratégies. Le premier concerne le financement : malgré les sommes annoncées, certains observateurs estiment que le budget reste timide face aux investissements massifs des États-Unis ou de la Chine.
Ensuite vient la question de l'expertise. Le Canada souffre d'une fuite des cerveaux vers la Silicon Valley. Comment retenir les meilleurs talents avec des salaires souvent inférieurs ? Les incitations fiscales et les contrats publics pourraient aider, mais la concurrence reste féroce.
Enfin, la politique Buy Canadian risque de créer des tensions avec les partenaires commerciaux. Les États-Unis, principal allié du Canada, pourraient mal prendre ces mesures protectionnistes. Des négociations diplomatiques seront nécessaires pour éviter des représailles.
- Concurrence internationale pour les talents
- Investissements encore limités face aux géants
- Risques de tensions commerciales
- Complexité bureaucratique des nouveaux processus
L'Impact sur les Startups Canadiennes
Pour les jeunes pousses tech, ces annonces représentent une opportunité en or. Prenez Cohere, déjà mentionnée : l'accord avec le gouvernement lui donne une visibilité et une stabilité financière précieuses. D'autres startups pourraient suivre le même chemin.
Les centres de données locaux résoudront aussi un problème majeur : l'accès au calcul. Actuellement, de nombreuses entreprises canadiennes dépendent de fournisseurs américains comme AWS ou Google Cloud. Avec des infrastructures nationales, elles gagneront en autonomie et en sécurité.
La politique d'achat pourrait créer un marché captif pour les solutions canadiennes. Imaginez des ministères obligés de privilégier des logiciels développés à Toronto ou Montréal plutôt que des équivalents américains. Cet avantage compétitif pourrait accélérer la croissance de nombreuses scale-ups.
Mais attention : toutes les startups ne bénéficieront pas également de ces mesures. Les entreprises déjà établies ou celles dans des domaines stratégiques auront un avantage clair. Les très jeunes pousses pourraient se retrouver exclues des grands contrats publics.
Comparaison Internationale
Le Canada n'est pas le premier pays à adopter cette approche. La France, avec son plan France 2030, investit massivement dans l'IA souveraine. L'Union européenne pousse aussi pour une autonomie technologique via le règlement sur l'IA et des financements conséquents.
Mais la stratégie canadienne se distingue par son pragmatisme. Plutôt que de créer des champions nationaux ex nihilo, Ottawa mise sur l'écosystème existant. Toronto, Montréal et Vancouver abritent déjà des clusters IA de classe mondiale. L'objectif est de les faire grandir plutôt que de tout recommencer.
La conditionnalité des achats publics rappelle aussi certaines politiques américaines sous l'ère Trump avec le "Buy American". Mais le Canada adopte une version plus nuancée, évitant les excès protectionnistes tout en protégeant ses intérêts stratégiques.
Perspectives à Long Terme
Si ces stratégies réussissent, le Canada pourrait devenir un leader inattendu dans certaines niches de l'IA. Pensez à l'IA appliquée aux ressources naturelles, à la santé ou aux changements climatiques – des domaines où le pays a déjà des avantages compétitifs.
À plus long terme, cette approche pourrait inspirer d'autres pays de taille moyenne. Comment concilier ouverture internationale et protection des intérêts nationaux dans la tech ? Le modèle canadien, s'il fonctionne, pourrait devenir une référence.
Mais le succès dépendra de l'exécution. Les belles annonces doivent se traduire en contrats concrets, en centres de données opérationnels, en startups qui grandissent. Le vrai test viendra dans les 24 prochains mois.
En conclusion, les stratégies IA et Buy Canadian marquent un tournant pour le Canada technologique. Elles combinent ambition souverainiste et pragmatisme économique dans un domaine où l'avenir se joue maintenant. Reste à voir si Ottawa saura transformer ces promesses en réalité tangible pour les innovateurs du pays.
Cette évolution mérite d'être suivie de près. Elle pourrait redéfinir non seulement l'écosystème tech canadien mais aussi la manière dont les États-nations abordent l'intelligence artificielle au XXIe siècle. L'enjeu n'est rien de moins que la compétitivité future du Canada dans l'économie du savoir.