Byju’s : 1 Milliard de Dollars Réclamé au Fondateur
Imaginez : vous avez bâti la startup la plus valorisée de votre pays, 22 milliards de dollars au compteur, des investisseurs comme Mark Zuckerberg ou Tiger Global qui se battent pour entrer au capital… et puis, en quelques trimestres seulement, tout s’effondre. Un tribunal américain vous condamne à payer personnellement plus d’un milliard de dollars. C’est exactement ce qui vient d’arriver à Byju Raveendran, le fondateur de Byju’s.
La chute vertigineuse d’un géant de l’edtech indien
Le 20 novembre 2025, le juge Brendan Shannon, du tribunal des faillites du Delaware, a rendu un jugement par défaut d’une rare violence : Byju Raveendran doit rembourser 1,07 milliard de dollars aux créanciers américains de son ancienne filiale Alpha. Motif ? Le fondateur aurait sciemment fait disparaître 533 millions de dollars issus d’un prêt de 1,2 milliard contracté en 2021, puis aurait cédé une participation dans une société écran valorisée à 540 millions.
Le juge n’y est pas allé avec le dos de la cuillère : il parle d’un comportement « évasif, incomplet et parfois mensonger », de multiples violations d’ordonnances judiciaires et même d’une contempt of court restée impayée (10 000 $ d’amende par jour depuis des mois).
« Les circonstances de cette affaire sont, franchement, uniques et différentes de tout ce que j’ai pu rencontrer auparavant. »
– Juge Brendan Shannon, tribunal du Delaware
Comment en est-on arrivé là ?
Tout commence en 2021, en pleine folie Covid. Byju’s lève 1,2 milliard de dollars auprès de fonds américains via un Term Loan B, un produit financier ultra-agressif réservé aux entreprises déjà très endettées. Les conditions sont draconiennes : covenants très stricts, intérêts exorbitants, et surtout une clause permettant aux prêteurs d’accélérer le remboursement intégral au moindre écart.
Très vite, Byju’s vacille. La réouverture des écoles fait chuter les inscriptions, les acquisitions à tour de bras (WhiteHat Jr, Aakash, Great Learning…) plombent la trésorerie. Les créanciers, menés par GLAS Trust, déclenchent l’accélération du prêt dès 2023.
Mais le coup de grâce arrive avec la découverte que les 533 millions de dollars versés sur le compte de la filiale américaine Alpha ont… disparu. Les créanciers affirment qu’ils ont été « round-trippés » vers l’Inde, directement dans les poches de Raveendran et de ses proches. Ce que le fondateur nie farouchement.
La défense de Byju Raveendran : « une erreur judiciaire »
Dans un communiqué envoyé à la presse, l’avocat de Raveendran, J. Michael McNutt, parle d’une « erreur manifeste » du tribunal :
« Le tribunal a rendu un jugement sans même nous laisser présenter notre défense et s’est appuyé uniquement sur une précédente sanction pour outrage. »
Les arguments de la défense :
- Les fonds n’ont jamais servi à enrichir personnellement les fondateurs mais à sauver la maison-mère indienne Think & Learn.
- GLAS Trust savait parfaitement où allait l’argent et n’a élevé aucune objection à l’époque.
- Le tribunal du Delaware n’a pas compétence sur un citoyen indien pour des faits commis majoritairement en Inde.
- Un appel est déjà en préparation, et une contre-attaque à 2,5 milliards de dollars serait en cours de dépôt dans plusieurs juridictions.
Un symbole de l’excès de la bulle edtech
Byju’s n’est pas un cas isolé. L’edtech indienne a vécu la même trajectoire que ses cousines américaines ou chinoises : valorisations folles en 2020-2021 (sou记得z-vous Yuanfudao à 15 milliards ou Zuoyebang à 10 milliards ?), puis dégringolade brutale dès que les élèves sont retournés en classe.
Quelques chiffres qui donnent le vertige :
- 2021 → Valorisation de Byju’s : 22 milliards $
- 2023 → Valorisation estimée par les créanciers : moins de 1 milliard $
- 2025 → Procédure d’insolvabilité en Inde, vente aux enchères en cours
- Licenciements : plus de 10 000 employés remerciés en 3 ans
Le rêve d’une éducation démocratisée par la technologie s’est fracassé sur la réalité financière : croissance à tout prix, acquisitions financées par dette, gouvernance opaque.
Et maintenant ?
En Inde, le NCLT (tribunal des faillites) a ordonné la liquidation de Think & Learn. Des repreneurs se positionnent déjà : Manipal, UpGrad de Ronnie Screwvala, ou encore Jio. Mais la bataille juridique américaine risque de tout compliquer.
Car même si Raveendran gagne en appel, l’image est durablement ternie. Les parents indiens, autrefois séduits par les pubs avec Shah Rukh Khan, se tournent aujourd’hui vers PhysicsWallah ou Unacademy, beaucoup plus sobres.
Byju’s reste le plus grand warning de l’histoire des startups indiennes : même avec les meilleurs investisseurs du monde, même avec une mission noble (« rendre l’éducation accessible »), on peut tout perdre en quelques mois quand la gouvernance suit pas.
La suite au prochain épisode, devant les cours d’appel… et peut-être devant un tribunal indien qui jugera, lui aussi, si Byju Raveendran a franchi la ligne rouge.
Une chose est sûre : l’histoire de Byju’s fera l’objet de cas d’école dans toutes les business schools du sous-continent pendant longtemps.