New York s’attaque au prix personnalisé
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi le même billet d’avion coûtait 49 € à votre collègue et 189 € quand vous le cherchiez le lendemain ? Ou pourquoi Uber semble toujours un peu plus cher quand vous sortez d’un quartier huppé ? Ce n’est pas forcément un hasard. C’est parfois votre historique, votre localisation, voire le modèle de votre téléphone qui décide du prix que vous allez payer. À New York, on appelle ça le prix personnalisé, et l’État vient de dire stop.
Depuis cet automne 2025, une nouvelle disposition glissée dans le budget de l’État de New York oblige toute entreprise pratiquant ce type de tarification à l’afficher clairement. Le message doit être limpide : « Ce prix a été déterminé par un algorithme en utilisant vos données personnelles. » Rien de moins.
Une petite phrase qui change tout
Cette obligation peut paraître anodine. Une ligne de texte en bas de page, un pop-up discret… Pourtant, elle touche au cœur même du modèle économique de nombreuses plateformes numériques. Car le prix personnalisé, aussi appelé dynamic pricing ou price discrimination de premier degré, est une arme redoutable pour maximiser les marges.
L’idée est simple : grâce aux montagnes de données collectées (historique d’achat, temps passé sur la page, adresse IP, niveau de batterie de votre téléphone, etc.), l’algorithme estime jusqu’où vous êtes prêt à aller. Et vous facture en conséquence. Le rêve de tout économiste… et le cauchemar potentiel du consommateur.
« Cette loi va être un outil absolument vital pour le gouvernement, mais il reste énormément de travail à faire. »
– Lina Khan, ex-présidente de la FTC
Uber déjà dans le viseur
Parmi les premières entreprises concernées : Uber. Dès l’entrée en vigueur de la mesure, les New-Yorkais ont commencé à voir apparaître la fameuse mention sur leurs courses. Un porte-parole de l’entreprise a beau jurer que la plateforme n’utilise que la géolocalisation et la demande en temps réel, le doute est permis.
Car des études universitaires ont déjà montré qu’Uber ajustait parfois ses tarifs en fonction du niveau de batterie du téléphone : plus elle est faible, plus vous risquez d’accepter un prix élevé parce que vous êtes pressé. Astucieux ? Oui. Éthique ? C’est une autre question.
Qui pratique vraiment le prix personnalisé ?
Difficile d’avoir des chiffres précis, tant les entreprises gardent jalousement leurs algorithmes. Mais plusieurs secteurs sont clairement dans le collimateur :
- Les compagnies aériennes et les hôtels (depuis des décennies déjà)
- Les plateformes de e-commerce comme Amazon (testé puis officiellement abandonné… ou pas)
- Les services de VTC et de livraison
- Les sites de billetterie et de streaming
- Même certains supermarchés en ligne avec les cartes de fidélité
Une étude de l’université de Princeton en 2023 avait identifié pas moins de 15 grandes plateformes américaines pratiquant une forme ou une autre de discrimination tarifaire basée sur les données personnelles.
Pourquoi les entreprises détestent cette loi
La National Retail Federation, puissant lobby du commerce américain, a immédiatement attaqué la mesure en justice. Motif ? La loi serait « mal rédigée et ambiguë ». Traduction : elle risque de faire peur aux clients et de réduire les marges.
Car afficher « on vous fait payer plus parce qu’on sait que vous pouvez » n’est pas franchement vendeur. C’est un peu comme si un vendeur de voitures vous disait en face : « Pour vous je monte le prix de 3 000 €, vous avez l’air d’avoir les moyens. »
Le juge fédéral a pourtant refusé de bloquer la loi. Premier round gagné pour les défenseurs des consommateurs.
Et demain ? Vers une régulation nationale ?
New York n’est pas le premier État à s’attaquer au sujet, mais c’est le plus visible. La Californie planche déjà sur des mesures similaires, et plusieurs sénateurs démocrates poussent pour une loi fédérale.
Lina Khan, qui a quitté la présidence de la FTC pour rejoindre l’équipe de transition du nouveau maire de New York Zohran Mamdani, voit dans cette loi une première brèche. Elle appelle à aller plus loin : interdire purement et simplement certaines formes de discrimination tarifaire jugées abusives.
Car afficher l’avertissement, c’est bien. Mais le consommateur a-t-il vraiment le choix ? Quand vous avez besoin d’un Uber à 2 heures du matin sous la pluie, allez-vous vraiment annuler la course parce que l’appli vous dit que vous payez plus cher à cause de vos données ? Probablement pas.
Ce que ça change pour vous, concrètement
À court terme, pas grand-chose hors de l’État de New York. Mais la mesure crée un précédent. Les entreprises qui opèrent aux États-Unis vont probablement harmoniser leurs interfaces pour éviter les versions différentes par État.
Vous risquez donc de voir apparaître ces avertissements un peu partout, même en Europe (où le RGPD impose déjà certaines transparences, mais pas aussi clairement sur la tarification).
Et surtout, cette loi remet sur la table une question essentielle : jusqu’où les entreprises ont-elles le droit de monétiser ce qu’elles savent de nous ? Nos données sont-elles encore vraiment les nôtres ?
La transparence imposée par New York n’est qu’un premier pas. Le vrai débat – éthique, économique, politique – ne fait que commencer. Et il nous concerne tous, à chaque fois qu’on clique sur « payer ».
Parce qu’au fond, le prix le plus élevé n’est peut-être pas celui qu’on voit s’afficher… mais celui qu’on accepte de payer en échange de la commodité.