Varda Rend la Fabrication Spatiale Banale
Et si demain votre traitement contre le VIH ou le cancer provenait… de l’espace ? Cela semble sorti d’un film de science-fiction, pourtant une startup californienne vient de prouver que c’est déjà une réalité technique et qu’elle peut devenir une industrie banale, répétable et rentable.
Will Bruey, PDG et cofondateur de Varda Space Industries, ne manque pas d’ambition. Ancien ingénieur chez SpaceX, il a vu les fusées réutilisables passer du rêve à la routine quotidienne. Aujourd’hui, il applique la même logique à la production pharmaceutique en microgravité.
Son pari ? Dans dix ans, nous verrons plusieurs capsules spécialisées rentrer chaque nuit sur Terre, chargées de médicaments cristallisés dans l’espace. Dans quinze à vingt ans, il sera moins cher d’envoyer un technicien passer un mois en orbite que de l’automatiser complètement sur Terre.
« Oubliez l’espace une seconde. Nous avons simplement un four magique où l’on peut créer des formulations impossibles sur Terre. »
– Will Bruey, PDG de Varda Space Industries
Pourquoi cristalliser des médicaments dans l’espace ?
En microgravité, les phénomènes de sédimentation et de convection disparaissent. Les cristaux grandissent donc de façon beaucoup plus ordonnée. Résultat : tailles plus uniformes, pureté accrue, stabilité améliorée et parfois découverte de nouveaux polymorphes (formes cristallines différentes de la même molécule).
Ces améliorations ne sont pas théoriques. Bristol Myers Squibb et Merck réalisent déjà ce genre d’expériences sur l’ISS depuis des années. Varda ne fait que rendre le processus commercial, répétable et scalable.
La capsule W-1, cœur du système Varda, ressemble à une grosse poubelle de cuisine : 90 cm de diamètre, 74 cm de haut, moins de 90 kg. Elle est lancée en rideshare SpaceX, reste plusieurs semaines ou mois en orbite attachée à un bus satellite (souvent Rocket Lab Photon), puis se détache, plonge à Mach 25, résiste grâce à un bouclier thermique en carbone NASA et atterrit sous parachute.
La théorie des sept dominos qui peut tout changer
Will Bruey présente souvent aux parlementaires américains sa « théorie des sept dominos ». Les deux premiers sont déjà tombés :
- Domino 1 : fusées réutilisables → fait (SpaceX)
- Domino 2 : fabrication et retour de produits pharmaceutiques depuis l’orbite → fait (5 missions réussies à ce jour)
Le domino 3, le plus important selon lui, sera le premier médicament spatial à entrer en essais cliniques. Pourquoi ? Parce que cela déclenchera une demande perpétuelle de lancements.
Contrairement aux opérateurs satellite qui lancent une constellation puis s’arrêtent, Varda aura besoin d’un lancement par lot de production. Plus la demande de médicaments augmente, plus les lancements se multiplient. Cette demande prévisible et croissante change totalement l’équation économique pour les lanceurs et fait chuter les prix.
Le domino 4 déclenche la boucle vertueuse : coûts plus bas → nouveaux médicaments deviennent rentables → plus de volume → coûts encore plus bas… Jusqu’à, un jour, envoyer « Jane » passer un mois dans l’usine orbitale parce que c’est moins cher que de tout automatiser.
L’histoire du presque échec qui a tout sauvé
La première mission W-1, lancée en juin 2023, a failli tuer la société. La fabrication du ritonavir (antiviral contre le VIH) s’est parfaitement déroulée en quelques semaines… mais la capsule est restée coincée en orbite huit mois.
Le problème ? Pas technique, mais réglementaire. Varda voulait atterrir sur la base militaire de l’Utah. Or les militaires donnaient toujours la priorité à leurs propres tests d’armes. Chaque report annulait la licence de rentrée FAA, obligeant à tout recommencer.
« On avait 80 personnes qui avaient passé deux ans et demi sur ce projet, et on n’était pas sûrs de pouvoir le ramener à la maison. »
– Will Bruey
Au lieu de céder à la panique ou de choisir une solution de repli (atterrissage en mer = perte de la capsule), l’équipe a tenu bon. Résultat : en février 2024, W-1 est devenue la première capsule commerciale à atterrir sur sol américain sous la nouvelle réglementation FAA Part 450. Varda est aujourd’hui la seule entreprise à posséder une licence opérateur réutilisable aux États-Unis et en Australie.
Le business surprise né de la contrainte : les tests hypersoniques
Rentrer à Mach 25 dans l’atmosphère crée des conditions extrêmes impossibles à reproduire au sol : plasma à plusieurs milliers de degrés, dissociation moléculaire… L’armée américaine paie habituellement plus de 100 millions de dollars un vol d’essai dédié.
Varda propose simplement d’embarquer capteurs, matériaux ou équipements dans ses capsules déjà prévues. L’Air Force Research Laboratory a déjà volé un spectromètre d’émission optique sur une mission. Un nouveau marché est né presque par accident.
Où en est Varda aujourd’hui ?
- 5 capsules lancées à ce jour (la 5e fin novembre 2025)
- 329 millions de dollars levés (Series C en juillet 2025)
- Licence FAA réutilisable USA + Australie
- Embauches massives de biologistes structuraux et spécialistes de cristallisation
- Objectif à moyen terme : les anticorps monoclonaux (marché 210 milliards $)
Aucun médicament spatial n’est encore en pharmacie, mais les grandes pharma suivent de très près. Quand le premier essai clinique démarrera, l’industrie spatiale risque de vivre le même choc que lors de l’arrivée des Falcon 9.
Car si Will Bruey a raison, nous ne sommes qu’au tout début d’une révolution où l’espace deviendra une banale zone industrielle parmi d’autres – la plus extrême, la plus propre et, paradoxalement, la plus rentable pour certains produits à très haute valeur ajoutée.
Et le jour où vous avalerez votre comprimé en lisant « Fabriqué en orbite terrestre basse », vous saurez que la frontière finale est devenue… terriblement ennuyeuse. Exactement comme le voulait Varda.