Cohere et Thales Canada : l’IA au service de la Marine
Imaginez un instant : au cœur de l’Arctique canadien, un navire de patrouille affronte des conditions extrêmes. À bord, plus besoin d’attendre des heures l’analyse d’un ingénieur lointain. Une intelligence artificielle conçue à Toronto décrypte en temps réel les données complexes et propose des solutions immédiates. Ce n’est plus de la science-fiction. C’est ce qui se passe dès aujourd’hui grâce à un partenariat inattendu entre une startup de l’Ontario et un géant français de la défense.
Quand l’IA canadienne monte à bord des navires de guerre
Ce 8 décembre 2025, Cohere a franché un cap symbolique. La scale-up torontoise, valorisée à près de 10 milliards de dollars canadiens, vient d’annoncer une collaboration stratégique avec Thales Canada. Objectif ? Intégrer ses modèles d’intelligence artificielle dans les contrats de maintenance et d’exploitation que le groupe français assure pour la Marine royale canadienne.
Concrètement, les grands navires de soutien, les bâtiments de patrouille arctique et les unités plus légères bénéficieront désormais d’une couche d’IA agentique made in Canada. Cette technologie, capable de raisonner et d’agir de façon autonome, va analyser en temps réel l’état des systèmes, anticiper les pannes et optimiser les interventions.
« Ce partenariat avec Thales Canada marque un bond stratégique dans le déploiement responsable de l’IA pour la défense nationale. »
– Ivan Zhang, cofondateur de Cohere
Des contrats colossaux et une exigence de souveraineté
Pour comprendre l’ampleur de l’opération, il faut remonter aux contrats signés par Thales Canada avec le gouvernement fédéral. En 2017, un premier marché de 800 millions de dollars canadiens (potentiellement extensible à 5,2 milliards) a été attribué pour la maintenance des navires de patrouille arctique et des bâtiments de soutien interarmées. En 2023, un second contrat de 450 millions a suivi pour les navires mineurs.
Ces montants imposent aux entreprises étrangères une contrainte forte : la Politique des retombées industrielles et technologiques (RIT). En clair, chaque dollar gagné sur un contrat défense doit générer un dollar d’activité au Canada. C’est exactement ce que permet l’alliance avec Cohere : Thales respecte ses obligations tout en intégrant une technologie 100 % canadienne.
Et cela tombe à pic. Ottawa vient d’annoncer des investissements massifs dans la défense, notamment pour renforcer la présence canadienne dans l’Arctique face aux ambitions russes et chinoises. L’IA souveraine devient alors un enjeu stratégique majeur.
Cohere, la pépite qui veut incarner l’IA « safe » et souveraine
Fondée en 2019 par d’anciens chercheurs de Google (dont Aidan Gomez, co-inventeur du papier fondateur sur les Transformers), Cohere a toujours misé sur une différenciation claire : pas de course au grand public, mais une spécialisation dans l’IA d’entreprise ultra-sécurisée.
Alors que OpenAI, Anthropic ou Google dominent les titres, la startup canadienne a choisi de se positionner sur les secteurs où la confiance est non négociable :
- la santé (données sensibles)
- la finance (risques réglementaires)
- et maintenant la défense nationale
Avec déjà plus de 200 millions de dollars de revenus annuels récurrents et 450 employés, Cohere n’est plus une simple startup. C’est un champion national qui pèse dans la géopolitique technologique.
L’IA agentique : la révolution qui change tout en mer
Le cœur de cette collaboration repose sur la plateforme North de Cohere, une IA dite « agentique ». Contrairement aux chatbots classiques qui se contentent de répondre, ces agents peuvent :
- analyser des flux de données complexes en temps réel
- prendre des initiatives (proposer des scénarios de maintenance)
- travailler dans des environnements déconnectés ou ultra-sécurisés
- respecter les plus hauts standards éthiques et de sécurité
Pour la Marine, cela signifie moins de temps en cale sèche, plus de disponibilité opérationnelle et une réduction significative des risques humains dans des zones hostiles.
Un modèle qui inspire d’autres secteurs
Ce partenariat dépasse largement la défense. Il valide un modèle que Cohere promeut depuis ses débuts : l’IA peut (et doit) être développée localement pour répondre aux besoins critiques des États. Le mémorandum d’entente signé avec le gouvernement fédéral pour transformer l’administration publique va dans le même sens.
Aidan Gomez l’a répété lors de la conférence Reuters NEXT : le Canada et les États-Unis ont un avantage décisif sur la Chine dans la course à l’IA, justement parce qu’ils peuvent aligner technologie de pointe et valeurs démocratiques. Ce contrat avec Thales en est la preuve concrète.
Et maintenant ? Vers une défense 100 % augmentée
Ce n’est qu’un début. D’autres contrats similaires devraient suivre, tant au Canada qu’auprès d’alliés partageant les mêmes préoccupations de souveraineté numérique. Cohere a déjà un pied chez Second Front Systems, qui travaille avec le Département de la Défense américain.
Dans un monde où l’Arctique devient un théâtre stratégique majeur et où les cybermenaces se multiplient, disposer d’une IA conçue localement, entraînée sur des données canadiennes et opérant sous contrôle national n’est plus un luxe. C’est une nécessité.
En associant l’expertise opérationnelle d’un leader mondial de la défense à la puissance d’une des plus belles réussites technologiques canadiennes, ce partenariat envoie un message clair : oui, le Canada peut non seulement participer à la révolution de l’IA, mais la diriger dans les domaines qui comptent le plus.
Et quelque part, dans les eaux froides du Grand Nord, un navire vient de devenir un peu plus intelligent. Un peu plus canadien aussi.