National Bank Sues Flinks Founders for Non-Compete Breach
Imaginez : vous vendez votre startup à une grande banque, empochez des millions, signez une clause de non-concurrence... et quelques années plus tard, vous lancez une nouvelle aventure qui, selon votre ancien acquéreur, viole cet engagement. C’est exactement ce qui arrive aux cofondateurs de Flinks, poursuivis par la Banque Nationale pour 5,7 millions de dollars. Cette affaire illustre les pièges parfois invisibles des accords post-acquisition dans l’écosystème tech canadien.
Un conflit qui secoue la FinTech montréalaise
Le 3 décembre 2025, la Banque Nationale et sa filiale Flinks ont déposé une requête devant la Cour supérieure du Québec. Au centre de la tempête : Yves-François Leboeuf et Frédérick Lavoie, les deux cofondateurs de l’entreprise spécialisée dans l’agrégation de données bancaires. Ils sont accusés d’avoir développé en parallèle leur nouvelle société, Deck, tout en occupant encore des postes exécutifs chez Flinks.
La banque réclame non seulement le remboursement des gains potentiels réalisés en violation de la clause, mais aussi une dévaluation des actions rachetées l’an dernier. Elle demande également l’arrêt immédiat des activités de Deck liées à l’agrégation de données financières.
Ce genre de litige n’est pas rare dans la tech, mais il met en lumière les tensions entre esprit entrepreneurial et engagements contractuels après une acquisition.
Retour sur l’histoire de Flinks
Flinks a vu le jour en 2016 à Montréal. L’entreprise proposait une API permettant de connecter les informations bancaires des consommateurs à des plateformes FinTech sans recourir au screen-scraping, une méthode jugée risquée. Directement concurrente de l’américaine Plaid sur le marché canadien, elle a rapidement attiré l’attention.
Après avoir levé environ 19 millions de dollars, Flinks a été acquise majoritairement par la Banque Nationale en 2021. L’opération visait à renforcer les capacités d’open banking de l’institution financière. Depuis, Flinks a multiplié les partenariats entreprises et s’est imposée comme un acteur clé du secteur.
Pendant ce temps, Leboeuf et Lavoie sont restés aux commandes en tant qu’exécutifs. Du moins en apparence.
Deck : un pivot vers les données privées non financières
En 2024, les deux entrepreneurs, rejoints par d’anciens collègues de Flinks, fondent Deck. Cette nouvelle startup développe une API qui facilite l’accès aux données privées protégées, mais cette fois dans un domaine différent : les services publics (électricité, gaz, eau...). L’objectif affiché est d’aider les entreprises à suivre leur consommation énergétique et à optimiser leurs coûts.
Deck a rapidement convaincu les investisseurs. En octobre 2025, la jeune pousse annonçait une levée de fonds seed de 16,5 millions USD, menée par Golden Ventures, Better Tomorrow Ventures et Luge Capital. Un beau succès pour une entreprise officiellement lancée il y a à peine un an.
Mais selon la Banque Nationale, le développement de Deck a commencé bien avant, alors que les cofondateurs étaient encore pleinement responsables de Flinks.
Les accusations de la Banque Nationale
Le cœur du litige repose sur plusieurs points précis. Dès 2023, les deux dirigeants auraient progressivement réduit leur implication opérationnelle chez Flinks, tout en conservant leurs titres exécutifs. La banque leur reproche aussi d’avoir orienté (ou plutôt désorienté) la stratégie de l’entreprise de manière contraire à ses intérêts.
Mais le grief principal concerne la nature même de Deck. Même si la startup cible les données d’utilités publiques, la Banque Nationale estime que l’infrastructure technique développée repose sur des savoir-faire directement concurrents à ceux de Flinks. En clair : l’agrégation de données privées protégées reste au centre des deux modèles.
La demande financière de 5,7 millions CAD vise à compenser les gains perçus comme illégitimes et à ajuster la valeur des actions rachetées.
La défense des cofondateurs
« Nous avons agi avec une transparence totale envers la Banque Nationale et Flinks dès le début et nous détenons des autorisations écrites explicites qui contredisent directement les allégations portées contre nous. Ces autorisations ont été accordées alors que la Banque Nationale et l’actuel PDG de Flinks avaient une compréhension complète des activités projetées de Deck. »
– Yves-François Leboeuf et Frédérick Lavoie
Les deux entrepreneurs affirment donc avoir reçu le feu vert écrit de la banque et de la direction actuelle de Flinks. Selon eux, tout a été fait dans les règles, avec une information complète sur la nature de leur nouveau projet.
Ils insistent sur le fait que Deck opère dans un secteur distinct : les données d’utilités publiques plutôt que bancaires. Un argument qui pourrait peser lourd devant le tribunal.
Les clauses de non-concurrence : un sujet brûlant dans la tech
Les clauses de non-concurrence sont courantes lors des acquisitions, surtout dans des secteurs à forte valeur technologique. Elles visent à protéger l’acheteur en empêchant les fondateurs de repartir immédiatement avec le savoir-faire acquis.
Mais leur application reste délicate. Au Canada, ces clauses doivent être raisonnables en durée, en portée géographique et en activités interdites pour être valides. Trop restrictives, elles peuvent être jugées abusives par les tribunaux.
Dans le cas présent, plusieurs questions se posent :
- L’agrégation de données d’utilités publiques entre-t-elle vraiment en concurrence directe avec l’open banking ?
- Les autorisations écrites évoquées par les cofondateurs suffiront-elles à invalider les accusations ?
- La durée et la portée de la clause initiale étaient-elles raisonnables ?
- Le désengagement progressif allégué constitue-t-il une violation en soi ?
Ces éléments seront scrutés par le juge. L’issue pourrait créer un précédent intéressant pour les futures acquisitions dans la FinTech canadienne.
Les implications pour l’écosystème startup québécois
Montréal s’est imposée ces dernières années comme un hub FinTech dynamique. Des entreprises comme Flinks, mais aussi Wealthsimple, Nuvei ou Lightspeed, ont contribué à cette réputation. Mais ce type de litige peut refroidir certains entrepreneurs.
Pour les fondateurs, vendre à une grande institution offre sécurité financière et ressources. Mais cela implique souvent des contraintes longues sur leur liberté d’entreprendre. Certains préfèrent désormais rester indépendants plus longtemps ou négocier des clauses plus souples.
Du côté des investisseurs, cette affaire rappelle l’importance d’un due diligence approfondi sur les engagements existants des fondateurs. Un détail passé inaperçu peut se transformer en bombe à retardement.
Vers une résolution amiable ou un procès médiatisé ?
Pour l’instant, la Banque Nationale refuse tout commentaire, invoquant la procédure en cours. Les cofondateurs, eux, semblent confiants dans leurs autorisations écrites.
Deux scénarios sont possibles. Soit les parties trouvent un accord à l’amiable pour éviter un procès coûteux et médiatisé. Soit l’affaire ira jusqu’au bout, offrant une jurisprudence précieuse sur l’interprétation des clauses de non-concurrence dans le secteur technologique.
Dans tous les cas, cette histoire rappelle que derrière les levées de fonds et les exits réussis se cachent parfois des chapitres plus complexes. L’entrepreneuriat reste une aventure humaine, avec ses succès, ses tensions et ses zones grises contractuelles.
À suivre donc, car l’issue de ce conflit pourrait influencer la manière dont les prochaines générations de fondateurs négocient leurs sorties.