Une Semaine Noire pour les Hardware Startups
Imaginez-vous rentrer chez vous et découvrir que votre fidèle aspirateur robot ne tourne plus rond. Ou que votre vélo électrique, acheté en pleine euphorie pandémique, risque de ne plus jamais recevoir de pièces de rechange. Fin décembre 2025, trois entreprises emblématiques du hardware ont simultanément déposé le bilan : iRobot, Luminar et Rad Power Bikes. Une coïncidence ? Pas vraiment.
Une semaine cauchemardesque pour le hardware innovant
Ces trois sociétés n’ont pourtant rien en commun à première vue. L’une fabrique des robots domestiques, la seconde des capteurs essentiels à la voiture autonome, la troisième des vélos à assistance électrique. Mais leurs trajectoires révèlent des fragilités structurelles communes aux startups hardware dans un monde dominé par les chaînes d’approvisionnement mondiales et les cycles d’hype technologiques.
Leur chute brutale interroge : comment des leaders, portés par des vagues d’innovation successives, peuvent-ils s’effondrer aussi vite ?
iRobot : l’histoire d’un pionnier rattrapé par la concurrence
iRobot, c’est avant tout le Roomba. Ce petit disque aspirateur qui a démocratisé la robotique domestique dès les années 2000. Pendant longtemps, dire « Roomba » revenait à dire « robot aspirateur », comme Kleenex pour les mouchoirs en papier.
Mais la technologie évolue vite. Les concurrents chinois, bénéficiant de coûts de production bien inférieurs, ont inondé le marché avec des modèles similaires, souvent plus avancés et nettement moins chers. iRobot s’est retrouvé coincé : trop dépendant de sa supply chain asiatique, incapable de baisser ses prix sans sacrifier ses marges.
« Pouvait-on vraiment construire cette entreprise aux États-Unis avec une chaîne d’approvisionnement locale ces quinze dernières années ? Probablement pas. »
– Sean O’Kane, journaliste tech
Le coup de grâce ? L’échec du rachat par Amazon, bloqué par les autorités de la concurrence américaines et européennes. Beaucoup y voient la cause directe de la faillite. Pourtant, ce projet d’acquisition traduisait déjà une détresse : iRobot cherchait une porte de sortie parce qu’elle peinait à innover au-delà de son produit phare.
Luminar : le rêve de la voiture autonome qui s’éteint
Luminar incarnait l’espoir du lidar abordable. Fondée au début des années 2010, l’entreprise voulait démocratiser ces capteurs laser autrefois réservés à l’aérospatiale et à la défense. Objectif : équiper les futures voitures autonomes.
Le timing semblait parfait. 2017 marque le pic de la hype autour des véhicules sans conducteur. Luminar signe des partenariats prestigieux avec Volvo, Mercedes-Benz et d’autres constructeurs. Les valorisations explosent.
Mais la réalité rattrape vite l’enthousiasme. Le développement de la conduite autonome s’avère plus complexe et plus lent que prévu. Les grands constructeurs réduisent leurs ambitions ou internalisent leurs technologies. Luminar reste trop concentrée sur quelques gros clients, sans diversification suffisante.
Résultat : des burn rates élevés, des revenus qui ne décollent pas assez vite, et finalement le dépôt de bilan.
Rad Power Bikes : la bulle micromobilité qui éclate
Rad Power Bikes surfait sur une vague différente : celle de la micromobilité boostée par la pandémie. Fondée bien avant le Covid, l’entreprise s’était imposée comme une référence qualitative dans un secteur souvent dominé par des marques anonymes sur Amazon.
Pendant les confinements, les ventes explosent. Plus de trajets domicile-travail, envie de plein air, aides publiques aux vélos électriques : tout concourt à une croissance fulgurante. En 2023, l’entreprise dépasse les 120 millions de dollars de chiffre d’affaires.
Puis vient le retour à la normale. Les habitudes de déplacement reprennent, la concurrence s’intensifie, et surtout, des problèmes de batteries défectueuses obligent à des rappels coûteux. Incapable de financer ces rappels sans risquer la faillite, Rad Power choisit… la faillite quand même.
Les droits de douane sur les composants chinois n’ont rien arrangé, rendant les vélos américains moins compétitifs.
Les défis communs qui expliquent ces échecs
Derrière ces trois histoires distinctes se dessinent des patterns récurrents dans le hardware innovant.
- La dépendance à la Chine pour la production et les composants, rendant les entreprises vulnérables aux tensions géopolitiques et aux hausses de tarifs douaniers.
- Le syndrome du produit unique : difficulté à diversifier au-delà du hit qui a fait la renommée.
- Les cycles d’hype : croissance explosive sur une tendance (pandémie, voiture autonome), suivie d’un retour brutal à la réalité.
- Les deals qui font long feu : partenariats majeurs ou rachats avortés qui laissent les entreprises exsangues.
Ces facteurs ne sont pas nouveaux. On se souvient de Boosted Boards, star des skateboards électriques, emportée en partie par les tarifs douaniers de l’ère Trump 1.0.
Le rôle controversé de la régulation antitrust
Le cas iRobot cristallise un débat plus large. Beaucoup accusent le blocage du rachat par Amazon d’avoir précipité la faillite. L’argument : sans ce mariage, l’entreprise n’avait plus les moyens de résister à la concurrence chinoise.
Mais cette lecture simplifie la réalité. iRobot était déjà en difficulté avant l’annonce du deal. Le projet d’acquisition traduisait une faiblesse structurelle, pas seulement conjoncturelle. Bloquer la concentration n’a peut-être fait qu’accélérer une issue inévitable.
Le vrai problème semble plus profond : dans un monde globalisé, les startups hardware américaines peinent à concilier innovation de pointe et compétitivité prix face à des écosystèmes asiatiques ultra-efficaces.
Quelles leçons pour les futures startups hardware ?
Ces faillites ne sonnent pas le glas du hardware innovant, mais elles imposent une remise en question.
D’abord, la diversification semble cruciale. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier produit, ni dépendre d’un seul gros client ou d’une unique tendance de marché.
Ensuite, la résilience de la supply chain. Les entreprises qui réussiront demain devront peut-être relocaliser une partie de leur production, ou du moins réduire leur exposition aux risques géopolitiques.
Enfin, l’innovation continue. Le hardware évolue vite. Celui qui repose sur ses lauriers, même après un succès mondial comme le Roomba, risque de se faire dépasser.
Les survivants seront ceux qui sauront transformer un produit phare en plateforme, capable d’évoluer avec les besoins des consommateurs.
Un avertissement pour l’écosystème tech global
Cette triple faillite arrive à un moment charnière. Les tensions commerciales entre États-Unis et Chine s’intensifient. Les investissements dans le hardware physique ralentissent au profit de l’IA générative. Les consommateurs, marqués par l’inflation, deviennent plus exigeants sur le rapport qualité-prix.
Pourtant, le hardware reste essentiel. Robots domestiques, capteurs pour la mobilité autonome, solutions de transport durable : ces technologies façonnent notre quotidien et notre avenir.
La question n’est pas de savoir si de nouvelles startups hardware émergeront – elles le feront – mais comment elles éviteront les pièges qui ont emporté iRobot, Luminar et Rad Power Bikes.
Peut-être en misant davantage sur des modèles hybrides logiciel/hardware, en construisant des écosystèmes plus résilients, ou en trouvant le juste équilibre entre innovation disruptive et viabilité économique à long terme.
Une chose est sûre : cette semaine noire de décembre 2025 restera comme un tournant. Un rappel brutal que même les stars du hardware ne sont pas à l’abri quand les vents tournent.