L’intelligence artificielle au service des salariés
L'intelligence artificielle (IA) est en train de transformer en profondeur le monde du travail. Mais au-delà des gains de productivité espérés, quel impact aura-t-elle réellement sur le quotidien et le vécu des salariés ? C'est tout l'enjeu d'une réflexion qui doit être menée en amont de tout déploiement pour ne pas dénaturer le sens même du travail.
Orange lance un chantier pour évaluer l'impact de l'IA sur les métiers
Le groupe Orange a bien compris l'importance de la question. L'opérateur vient de lancer un vaste chantier visant à analyser en profondeur les conséquences de l'IA sur les métiers et le ressenti des collaborateurs. Démarré en octobre dernier, le projet mobilise une équipe de sociologues et fait l'objet d'échanges nourris avec les représentants du personnel.
L'objectif, résume Vincent Lecerf, DRH du groupe, est « de regarder le sujet avec plus de profondeur sur le plan humain et sociologique ». Car le risque est grand de voir émerger des formes de rejet de la technologie si ces aspects ne sont pas anticipés.
Quand l'IA appauvrit les interactions au travail
C'est ce que pointe une étude récente du LaborIA, le laboratoire de recherche du ministère du Travail. En analysant de nombreux cas d'entreprises, les chercheurs ont mis en évidence l'existence d'un conflit entre les logiques « gestionnaires » de l'encadrement, qui voit dans l'IA un moyen d'augmenter la productivité, et les logiques « professionnelles » des salariés attachés à leur manière de vivre leur métier.
Ainsi, dans une entreprise aéronautique, le recours à l'IA pour automatiser l'inspection des moteurs s'est traduit par le remplacement des binômes de techniciens par des binômes « homme-machine ». Au risque d'appauvrir les interactions sociales et de générer un sentiment de solitude chez les salariés :
« Être à deux pour moi ça reste important […] On a besoin de [se dire] 't'en penses quoi, t'es okay ?' ou 'je vois plutôt le truc comme ça' »
témoigne un technicien dans l'étude.
Quand l'effort fait partie de la satisfaction au travail
Autre constat contre-intuitif : dans certains cas, l'effort que l'IA vient justement atténuer faisait partie intégrante de la satisfaction des salariés. C'est le cas de cette fonctionnaire qui aimait éplucher elle-même ses tableurs Excel pour y dénicher les erreurs :
« Avec le logiciel, toutes les erreurs sont sorties, et moi […] j'aimais bien [les] chercher, c'était ça qui m'amusait »
De quoi bousculer les représentations des promoteurs de ces technologies, qui n'imaginent pas toujours que l'effort puisse être source de plaisir au travail.
Trouver le bon compromis entre IA et travail humain
Pour autant, les chercheurs du LaborIA estiment qu'un compromis est possible entre logiques gestionnaires et professionnelles. Quelques ajustements des systèmes d'IA permettent parfois de mieux préserver la maîtrise humaine. Mais l'idéal reste d'associer les salariés le plus en amont possible, dès la phase de conception.
Les démarches de co-conception favorisent en effet grandement l'acceptation des outils. C'est tout le sens du chantier lancé par Orange, qui devrait livrer ses premiers enseignements le 21 juin prochain. De quoi inspirer les dirigeants tentés de déployer l'IA dans leur entreprise, en veillant à ne pas dénaturer le sens du travail de leurs collaborateurs.