L’agriculture espagnole face au défi de l’adaptation à la sécheresse
Au cœur de l'Andalousie, les champs d'oliviers s'étendent à perte de vue. Mais derrière ce paysage emblématique de l'Espagne se cache une réalité préoccupante. Malgré des performances record à l'export, l'industrie agroalimentaire du pays est fragilisée par les épisodes de sécheresse à répétition. Un avant-goût des défis qui attendent l'Europe dans les années à venir.
L'agriculture espagnole, un géant aux pieds d'argile
Avec une balance commerciale excédentaire de 15,5 milliards d'euros en 2023, l'Espagne s'enorgueillit de filières agroalimentaires ultra-compétitives. Premier producteur européen de porcs et leader mondial de l'huile d'olive, le pays a su tirer son épingle du jeu malgré l'inflation. Ses exportations alimentaires ont même moins décroché que la moyenne de ses concurrents européens ces deux dernières années.
Mais ce succès apparent masque une faiblesse structurelle. L'agriculture espagnole consomme près de 80% des ressources en eau du pays, avec une dépendance marquée à l'irrigation. Un modèle qui atteint ses limites face aux sécheresses récurrentes liées au changement climatique.
Des retenues d'eau à sec
Début mars, les bassines et retenues d'eau d'Andalousie, principale région agricole, étaient à peine à 20% de leurs capacités. Même les 765 usines de désalinisation d'eau de mer du pays semblent insuffisantes pour répondre aux besoins. Malgré un programme d'investissement de plus d'un milliard d'euros lancé en 2023, le gouvernement est conscient que cette solution énergivore et dommageable pour l'environnement ne pourra être dupliquée à l'infini.
Deoleo, géant de l'huile d'olive en sursis
Deoleo, numéro un mondial de l'huile d'olive, illustre la vulnérabilité de l'agro-industrie face au manque d'eau. La sécheresse a divisé par deux la production espagnole pour le millésime 2023-2024. Si l'entreprise a pu amortir le choc grâce à ses stocks et à ses approvisionnements à l'étranger, elle redoute une nouvelle année sèche.
La survie des oliviers est en jeu. L'irrigation ne permettra pas de couvrir toutes les surfaces.
– Un expert local de l'huile d'olive
Importations et adaptations pour tenir bon
Face au manque de matières premières locales, les industriels espagnols revoient leurs stratégies d'approvisionnement, important davantage de tomates ou d'oranges du Maroc et d'Égypte. Certains comme Deoleo s'engagent aussi dans des programmes pour rendre les pratiques agricoles plus résilientes.
Un modèle agricole dans l'impasse
Mais ces ajustements ne remettent pas en cause le fond du problème : un modèle agricole dépendant de l'eau et soutenu par les subventions européennes. L'Espagne prévoit même d'augmenter ses surfaces irriguées dans les 10 ans à venir, pariant sur des économies d'eau illusoires, comme le soulignent des chercheurs.
Cette hypothèse ne tient pas compte du paradoxe de Jevons, selon lequel une augmentation de l'efficacité favorise une augmentation de la demande.
– Des experts de l'eau cités par l'Iddri
L'Espagne, laboratoire des transitions agricoles européennes
Bien malgré elle, l'Espagne se retrouve en position de laboratoire des transitions à venir pour l'agriculture européenne. Si ce géant de l'agroalimentaire, qui pèse pour 11% du PIB du pays, venait à flancher, c'est tout un pan de la souveraineté alimentaire du continent qui serait menacé.
Les tensions sur l'eau qui pèsent sur le modèle agricole espagnol sont un avant-goût des défis qui attendent l'Europe. Elles soulignent l'urgence d'engager une transformation profonde des pratiques et des filières, pour les rendre plus sobres et résilientes face au changement climatique. Un véritable tournant que les politiques agricoles communes peinent encore à amorcer, coincées dans des logiques court-termistes.