Des Boules de Plasma Créées en Laboratoire Imitent les Trous Noirs
Dans les profondeurs de l'espace, les trous noirs supermassifs déploient une puissance phénoménale. Parmi leurs manifestations les plus spectaculaires : d'immenses jets de plasma propulsés à des vitesses proches de celle de la lumière. Mais comment ces fascinants phénomènes se forment-ils ? C'est pour percer ce mystère que des scientifiques européens ont réussi un exploit : recréer en laboratoire des « boules de feu » similaires à celles crachées par ces monstres cosmiques.
Quand le CERN joue avec les trous noirs
Cette prouesse a été réalisée dans les entrailles du célèbre CERN, grâce à son installation HiRadMat (High-Radiation to Materials). Les chercheurs y ont envoyé pas moins de 300 milliards de protons, accélérés à l'aide du Super Synchrotron à Protons, sur des cibles spéciales composées de graphite et de tantale. Lorsque les protons percutent les noyaux de carbone du graphite, ils déclenchent une véritable cascade d'interactions entre particules élémentaires.
Un feu d'artifice subatomique
Parmi les multiples particules libérées figurent des pions neutres, qui se désintègrent presque instantanément en rayons gamma de haute énergie. Et c'est là que la magie opère. Ces rayons gamma, en interagissant avec le champ électrique du tantale, génèrent à leur tour d'innombrables paires d'électrons et de positrons, leurs équivalents d'antimatière. Au total, ce sont plus de 10 000 milliards de ces paires qui ont été produites lors de l'expérience !
L'idée fondamentale de ces expériences est de reproduire en laboratoire la microphysique de phénomènes astrophysiques tels que les jets émis par les trous noirs et les étoiles à neutrons.
explique Gianluca Gregori, co-auteur de l'étude
Une telle concentration de matière et d'antimatière permet l'émergence d'un véritable plasma, un état de la matière où les particules sont tellement énergétiques qu'elles se dissocient de leurs atomes. C'est précisément ce plasma d'électrons-positrons qui constituerait les fameux jets relativistes des trous noirs.
Quand l'infiniment petit éclaire l'infiniment grand
Mais quel intérêt de recréer en laboratoire ces phénomènes cosmiques ? En fait, malgré les progrès de l'astrophysique observationnelle, beaucoup de zones d'ombre subsistent quant aux processus physiques à l'œuvre au cœur de ces jets. Les observations télescopiques ne permettent pas de sonder en détail les interactions microscopiques, tandis que les simulations numériques reposent sur des approximations.
Comme le souligne Gregori, les expériences en laboratoire fournissent un complément essentiel en servant de « pont entre ces deux approches ». En reproduisant les conditions physiques extrêmes régnant près des trous noirs, elles offrent aux scientifiques un aperçu unique des mécanismes fondamentaux qui façonnent ces jets.
Vers de nouvelles découvertes
Cette avancée ouvre ainsi de nombreuses perspectives. Une meilleure compréhension de la formation et de la composition de ces jets pourrait nous en apprendre davantage sur les trous noirs eux-mêmes, mais aussi sur leur influence sur leur environnement galactique. Les jets relativistes sont en effet soupçonnés de jouer un rôle clé dans l'évolution des galaxies.
En poussant encore plus loin ces expériences, les physiciens espèrent également tester nos théories des interactions fondamentales dans des conditions inédites. La création de plasmas exotiques à partir de collisions de particules pourrait par exemple permettre de sonder certaines prédictions de l'électrodynamique quantique.
Nul doute que les installations de pointe comme HiRadMat, couplées au génie des expérimentateurs, continueront de repousser les limites de nos connaissances. Du microcosme des particules au macrocosme des trous noirs, la physique fondamentale n'a pas fini de nous émerveiller et de nous dévoiler les rouages intimes de l'Univers.