Les médias se lient aux géants de l’IA, un pacte à double tranchant
Alors que l'intelligence artificielle poursuit son expansion fulgurante, les géants du secteur comme OpenAI multiplient les accords avec les médias pour accéder à leur contenu et entraîner leurs modèles de langage. Si ces deals représentent des revenus bienvenus pour une presse en crise, ils soulèvent aussi de vives inquiétudes parmi les journalistes quant à l'avenir de leur métier et à l'éthique de ces nouveaux « partenariats ».
Des accords signés en catimini
C'est par un simple message Slack que les journalistes de Vox Media ont appris fin mai que leur entreprise avait signé un contrat avec OpenAI, leur donnant accès à l'intégralité des contenus et archives des publications du groupe pour entraîner ChatGPT. Une annonce qui a pris de court les rédactions, mises devant le fait accompli.
Du côté de The Atlantic, les journalistes ont carrément découvert l'existence d'un accord similaire par des sources extérieures, la direction refusant de répondre à leurs questions sur les termes du deal.
Atlantic et OpenAI ont refusé de répondre aux questions sur les termes de l'accord.
– The Atlantic Union
Une opacité qui interroge, d'autant que ces deux médias ont précédemment publié des articles critiques sur OpenAI, pointant notamment son manque de transparence et les risques environnementaux de ses technologies énergivores.
Quel intérêt pour les journalistes ?
Face à la multiplication de ces accords, une question revient avec insistance parmi les journalistes : qu'avons-nous à y gagner ? Car pour l'instant, les termes des contrats restent flous et les contreparties pour les rédacteurs inexistantes.
OpenAI affirme que ses partenariats permettront de renvoyer du trafic vers les articles originaux. Mais rien ne garantit que les internautes iront effectivement cliquer, surtout si les chatbots sont capables de résumer l'essentiel sans quitter l'interface. De quoi mettre en péril le modèle économique des médias, déjà fragilisé par la chute des revenus publicitaires.
C'est le pire cauchemar pour les médias d'information. Ils pourraient être très largement court-circuités par un produit d'actualité basé sur l'IA.
– Richard Tofel, consultant médias
Des garde-fous éthiques à poser d'urgence
Au-delà de l'aspect financier, c'est aussi la question des dérives éthiques liées à l'IA qui alarme. Comme le souligne un journaliste de The Atlantic sous couvert d'anonymat, ces technologies pourraient à terme être utilisées pour générer des articles sans intervention humaine, une perspective inquiétante.
Pour tenter d'encadrer le phénomène, les syndicats de journalistes travaillent donc d'arrache-pied pour intégrer des garde-fous dans les conventions collectives :
- Transparence sur l'usage fait des contenus
- Pas d'IA générative sans accord des rédactions
- Rémunération des journalistes sur les works dérivés
Des protections d'autant plus cruciales que la législation est encore balbutiante. Malgré les poursuites engagées par certains médias comme le New York Times contre X pour violation de droits d'auteur, la qualification juridique de l'usage fait par l'IA reste incertaine.
Un mal nécessaire pour survivre ?
Face à ces risques, certains font valoir que les médias n'ont pas vraiment le choix. Dans un contexte de crise profonde du secteur, toute nouvelle source de revenus est vitale. Et les IA s'empareront de toute façon des contenus, accord ou pas, comme on le voit déjà avec certaines startups sans scrupules.
On dirait un racket mafieux. On fait un pacte avec celui qui vient de nous cambrioler en espérant qu'il ne recommencera pas.
– Amy McCarthy, Vox Media Union
Une analyse fataliste que ne partagent pas tous les observateurs. Beaucoup appellent les médias à ne pas céder à la pression et à réfléchir sur le long terme, en misant sur leur valeur ajoutée humaine plutôt que sur les sirènes de la technologie. Mais dans l'immédiat, le rapport de force semble bien déséquilibré. Et la plupart des grands groupes de presse semblent résignés à signer, de gré ou de force, un pacte dont ils pourraient être les premières victimes.