Le dilemme de la Silicon Valley : Diversité ou Méritocratie ?
Faut-il choisir entre diversité et méritocratie dans le recrutement en entreprise ? C'est la question qui agite actuellement la Silicon Valley suite à une publication polémique d'Alexandr Wang, le fondateur de la start-up d'intelligence artificielle Scale AI. Un post qui a ravivé le débat sur l'état de la diversité et de l'inclusion (DEI) dans le secteur de la Tech.
La méritocratie plutôt que la diversité pour Alexandr Wang
Dans son message publié sur le réseau social X (ex-Twitter), Alexandr Wang a déclaré vouloir se détourner des principes de diversité, d'équité et d'inclusion (DEI) pour embrasser ce qu'il appelle le "MEI" : mérite, excellence et intelligence.
Scale est une méritocratie, et nous devons toujours le rester. C'est un grand moment à chaque fois que nous invitons quelqu'un à rejoindre notre mission, et ces décisions n'ont jamais été influencées par l'orthodoxie, la vertu ostentatoire ou ce qui est à la mode.
– Alexandr Wang, fondateur de Scale AI
Cette prise de position a été saluée par de nombreuses personnalités de la Tech sur X, comme Elon Musk, Palmer Luckey ou encore Brian Armstrong. Mais sur LinkedIn, la communauté des start-ups s'est montrée beaucoup plus réservée, pointant du doigt le caractère subjectif de la notion de méritocratie mise en avant par Wang.
La méritocratie, un concept paradoxal et biaisé
Pour Natalie Sue Johnson, co-fondatrice du cabinet de conseil en DEI Paradigm, les recherches ont démontré que la méritocratie était un paradoxe et que les organisations qui s'y focalisaient trop voyaient en réalité les biais augmenter dans leurs processus :
Cela libère les gens de l'obligation de faire des efforts pour être équitables dans leur prise de décision. Ils pensent que la méritocratie est inhérente, pas quelque chose qu'il faut s'efforcer d'atteindre.
– Natalie Sue Johnson, Paradigm
L'approche d'Alexandr Wang ne prend pas en compte les barrières systémiques auxquelles font face les groupes sous-représentés. Paradoxalement, la personne la plus méritante pourrait être celle qui a acquis ses compétences malgré ces obstacles qui ont pu affecter son parcours.
Scale AI, les mots et les actes
Si l'on examine de plus près les pratiques de Scale AI, la start-up valorisée à plus de 13 milliards de dollars, on constate un décalage avec les propos de son fondateur. Ses annotateurs de données, localisés pour beaucoup dans des pays en développement, travaillent de longues journées pour une rémunération dérisoire, parfois 10 dollars pour 8h sans pause selon le Verge et NY Mag.
Scale AI a bâti son succès et sa valorisation sur le dos de cette main d'œuvre précaire, ce qui semble en contradiction avec la volonté affichée de ne recruter que sur le mérite et les compétences. Un modèle difficilement compatible avec des valeurs d'équité et d'inclusion.
Sortir du débat stérile diversité vs méritocratie
Pour Emily Witko, RH chez Hugging Face, le post d'Alexandr Wang est une "dangereuse simplification" qui rend plus difficile toute discussion sur la sous-représentation dans la Tech. Il faut sortir de l'opposition stérile entre diversité et méritocratie.
Un système méritocratique est construit sur des critères qui reflètent le statu quo, et donc, il perpétuera les inégalités existantes en favorisant continuellement ceux qui ont déjà des avantages.
– Emily Witko, Hugging Face
La Tech doit prendre conscience que des idéaux méritocratiques ne suffisent pas à garantir des résultats équitables et à construire des entreprises réellement diverses et inclusives. Cela demande des efforts conscients, une remise en question des biais et des changements concrets dans les processus de recrutement et de management.
Opposer diversité et compétences est un faux dilemme. Les entreprises tech les plus performantes seront celles qui sauront conjuguer les deux, en allant chercher les meilleurs talents partout où ils se trouvent, au-delà des viviers habituels et des profils stéréotypés. Un vrai défi, mais un enjeu clé pour rester compétitif et innovant sur le long terme.
