Alcatel Submarine Networks : La clé de la souveraineté numérique française
Dans un monde de plus en plus interconnecté, la maîtrise des réseaux de télécommunications est devenue un enjeu géopolitique et économique majeur. Au cœur de cette bataille, un acteur discret mais crucial : Alcatel Submarine Networks (ASN), spécialiste français des câbles sous-marins en fibre optique. Face aux risques pesant sur cette entreprise stratégique, l'État a décidé d'en prendre le contrôle. Décryptage d'une opération aux forts enjeux de souveraineté.
ASN, fleuron méconnu de la tech française
Avec près d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires et un millier d'employés, principalement en France, ASN n'est pas un géant comme Nokia, sa maison-mère finlandaise. Mais cette PME possède un savoir-faire unique et vital : la conception, fabrication, pose et maintenance de câbles sous-marins à très grande profondeur. Une technologie indispensable aux autoroutes de l'information planétaires.
Grâce à son usine de pointe à Calais, sa flotte de navires câbliers et ses équipes d'experts, ASN est le seul acteur européen sur ce marché très spécialisé. Une position clé pour la souveraineté numérique française et européenne, alors que les câbles concentrent plus de 95% du trafic Internet intercontinental et sont exposés à des risques croissants (espionnage, sabotage...).
Un rachat stratégique et protecteur
C'est pour sécuriser cet atout industriel que l'État a annoncé le rachat de 80% du capital d'ASN, en laissant 20% à Nokia. Un investissement de près de 100 millions d'euros, justifié par le caractère ultra-sensible de cette activité. Bercy a écarté des repreneurs étrangers pour garder en France ce maillon essentiel de notre infrastructure numérique.
C'est une activité stratégique et qui l'est de plus en plus alors que les infrastructures de câbles peuvent faire l'objet d'attaques.
Bruno Le Maire, ministre de l'Economie
Loin d'un coup de force, cette nationalisation s'inscrit dans une logique partenariale avec Nokia. Le groupe finlandais conserve une participation minoritaire et siégera au conseil d'administration. Et l'État s'engage à poursuivre les investissements pour développer l'outil industriel d'ASN, sans impact social.
Vers un pôle français de la cybersécurité des télécoms
Au-delà d'une entreprise, c'est toute une filière d'avenir que l'État entend ainsi préserver et dynamiser. En plaçant ASN sous pavillon tricolore, il envoie un signal fort sur l'importance des réseaux sécurisés dans la compétition mondiale.
Cette prise de contrôle ouvre aussi la voie à des synergies avec d'autres fleurons français comme Orange, Thales ou Naval Group, pour créer un véritable écosystème national de la cybersécurité des télécoms. Une ambition cohérente avec la stratégie française et européenne d'autonomie numérique face aux géants américains et chinois.
Consolider la résilience des infrastructures critiques
Plus largement, le cas ASN illustre la volonté des pouvoirs publics de mieux protéger nos "infrastructures critiques", ces réseaux vitaux (énergie, transports, télécoms, finance...) dont la défaillance aurait un impact systémique. Un impératif renforcé par la montée des tensions géopolitiques et des risques cyber.
En sécurisant ce maillon clé de la chaîne numérique, la France consolide sa résilience économique et technologique face aux crises et aux ingérences extérieures. Elle affirme aussi sa volonté politique de peser dans la gouvernance d'Internet, pour un cyberespace stable, ouvert et respectueux des valeurs démocratiques.
Un modèle d'intervention publique ciblée
Plutôt qu'un interventionnisme tous azimuts, cette nationalisation "chirurgicale" incarne une doctrine équilibrée : laisser jouer le marché partout où c'est possible, mais reprendre la main sur les activités les plus sensibles pour notre souveraineté et nos intérêts de long terme. Un modèle appelé à essaimer dans d'autres secteurs critiques confrontés aux appétits étrangers (semi-conducteurs, batteries, santé...) ?
Une chose est sûre : dans la guerre économique mondiale qui fait rage, le contrôle des réseaux et des données est devenu une arme décisive. En plaçant Alcatel Submarine Networks sous haute protection, la France a marqué un point crucial pour sa souveraineté numérique. Espérons que cette clairvoyance inspire d'autres pays européens, pour tisser un Internet plus sûr et démocratique.