Amiral Ventures Lève 40 M$ pour Leader le VC Canadien
Et si le Canada cessait enfin de laisser filer ses plus belles pépites technologiques vers les États-Unis ? C’est la question que pose, avec une certaine audace, le nouveau fonds Amiral Ventures. En bouclant un premier closing de 40 millions de dollars canadiens, cette firme montréalaise entend bien prendre les rênes des investissements early-stage et bâtir des leaders mondiaux plutôt que des filiales.
Dans un contexte où le capital-risque canadien traverse une zone de turbulences, cette initiative arrive à point nommé. Les fondateurs, trois entrepreneurs chevronnés, refusent le rôle de suiveurs que jouent trop souvent les investisseurs locaux. Leur ambition ? Devenir les price-setters d’un écosystème qui en a cruellement besoin.
Amiral Ventures : un fonds pour reprendre le leadership
Frédéric Bastien, Dominic Becotte et Nectarios Economakis ne sont pas des novices. Chacun a fondé des entreprises, investi à titre personnel et vécu les frustrations d’un système où les termes des rondes de financement sont souvent dictés depuis San Francisco ou Boston.
Leur constat est sans appel : trop de tours canadiens sont menés par des fonds étrangers. Résultat ? Les startups prometteuses se retrouvent rapidement absorbées ou transformées en simples antennes de géants américains. Le manifeste d’Amiral Ventures le dit clairement :
« Chaque fois que le leadership est cédé à l’étranger, le Canada perd la propriété de ses entreprises les plus performantes. »
– Manifeste d’Amiral Ventures
Pour renverser cette tendance, le fonds de 75 millions ciblés (dont 40 millions déjà sécurisés) se positionne presque exclusivement comme lead investor. Une stratégie rare au pays, où beaucoup préfèrent suivre pour limiter les risques.
Un closing impressionnant dans un marché difficile
Le chemin n’a pas été facile. La levée de fonds a duré près de trois ans – une période qualifiée par Frédéric Bastien comme « la plus dure de la décennie » pour les gestionnaires émergents. Pourtant, le trio a tenu bon.
Ils auraient pu accepter un premier closing à 15 ou 20 millions il y a dix-huit mois. Mais cela aurait limité leur capacité à mener des rondes. Avec 40 millions en poche, ils peuvent désormais écrire des chèques significatifs et imposer leurs termes.
Parmi les soutiens majeurs :
- Investissement Québec, qui ancre le fonds
- Desjardins Capital, premier signataire
- Près de 50 entrepreneurs et investisseurs individuels, dont les cofondateurs de BrainBox AI et Workleap
Cette base solide reflète une confiance renouvelée dans l’écosystème québécois, malgré la morosité ambiante.
Une stratégie d’investissement claire et ciblée
Amiral Ventures ne disperse pas ses efforts. Le fonds vise une quinzaine de compagnies entre les stades seed et Série A, avec des revenus annuels généralement compris entre 750 000 et 1 million de dollars.
Les secteurs prioritaires sont précis :
- Intelligence artificielle appliquée à l’entreprise
- Robotique et technologies de la chaîne d’approvisionnement
- Solutions boostant la productivité, la résilience et la durabilité des entreprises
- Technologies manufacturières avancées
Déjà, deux investissements ont été réalisés : Maxa, une plateforme logicielle pour entreprises, et Maket, spécialisée en architecture augmentée par l’IA. Des paris sur des technologies qui transforment concrètement les opérations des compagnies.
L’obligation québécoise : contrainte ou opportunité ?
Avec Investissement Québec comme ancre, les trois quarts des 40 premiers millions doivent être déployés dans des startups québécoises. Une règle classique pour les fonds soutenus par l’État provincial.
Mais les fondateurs y voient un avantage. Le Québec regorge de talents en IA, robotique et technologies industrielles. Et pour le closing final, ils comptent attirer des LPs hors Québec, réduisant ainsi l’obligation à 50 % du fonds total.
Cette approche pragmatique permet de rester fortement ancré localement tout en gardant une vision pancanadienne – et même nord-américaine.
Un écosystème en quête de renouveau
Le timing est crucial. Le Québec, comme le reste du Canada, traverse une période compliquée pour le venture capital. Si les tours pre-seed et seed ont connu un léger rebond cet été, l’activité globale reste faible comparée aux années fastes.
Les gestionnaires émergents peinent particulièrement à lever des fonds. Les institutionnels, échaudés par des retours moyens et un manque de sorties majeures, se montrent prudents.
Pourtant, des signes encourageants apparaissent :
- Telegraph Ventures a bouclé 35 millions pour l’IA pre-seed
- Investissement Québec a relancé un programme de 200 millions
- Boreal Ventures et Inovia Capital préparent de nouveaux fonds
Amiral Ventures s’inscrit dans ce mouvement de régénération. En refusant le statut de follower, le fonds pourrait inspirer d’autres acteurs à adopter la même posture offensive.
Pourquoi le leadership change tout
Frédéric Bastien le martèle : laisser systématiquement les investisseurs américains mener les rondes est « la meilleure façon d’obtenir de petites acquisitions plutôt que de construire des Shopifys ».
Quand un fonds étranger lead, il impose souvent sa gouvernance, ses priorités stratégiques et, in fine, son scénario de sortie. Les fondateurs canadiens se retrouvent dilués dans leurs décisions.
« Un écosystème d’investisseurs suiveurs produit une économie de filiales, alors que nous avons besoin de leaders mondiaux. »
– Frédéric Bastien, managing partner d’Amiral Ventures
En prenant le lead, Amiral veut garder le contrôle stratégique au Canada. Favoriser les ambitions globales dès le départ. Et maximiser les chances de créer des entreprises indépendantes et dominantes.
L’équipe derrière l’ambition
Le nom « Amiral » n’est pas choisi au hasard. Il évoque le vaisseau amiral qui mène la flotte, mais aussi le papillon amiral blanc – candidat au statut d’insecte emblématique du Québec. Une touche poétique qui humanise le projet.
L’équipe se compose de :
- Frédéric Bastien et Dominic Becotte, co-managing partners
- Nectarios Economakis, partner
- Julie Lacasse, nouvelle venture partner et figure respectée de l’écosystème
Des profils complémentaires, tous marqués par l’expérience entrepreneuriale et une vision partagée : le Canada mérite mieux que le rôle de second plan.
Vers un nouveau chapitre pour le VC canadien ?
Amiral Ventures n’est pas seul à bouger les lignes. Mais son positionnement radical – lead ou rien – pourrait créer un précédent salutaire.
Si d’autres fonds suivent cet exemple, l’équilibre pourrait basculer. Moins de dépendance aux termes américains. Plus de contrôle local. Et, à terme, davantage d’entreprises canadiennes qui conquièrent le monde sous leur propre bannière.
Le pari est osé. Dans un marché encore frileux, réussir à imposer son leadership demande du courage et de la persévérance. Mais les fondateurs d’Amiral ont déjà prouvé qu’ils en avaient à revendre.
Le Canada tech retient son souffle. Verra-t-on enfin naître une nouvelle génération de champions indépendants ? L’histoire est en train de s’écrire, et Amiral Ventures veut en tenir la plume.