
ArcelorMittal : Vers un Avenir Durable ?
Dans la vallée de la Fensch, à Florange, le géant de l’acier ArcelorMittal fait face à un paradoxe. D’un côté, un investissement massif de 1,2 milliard d’euros pour un four électrique à Dunkerque, promesse d’une sidérurgie plus verte. De l’autre, l’annonce de 636 suppressions de postes en France, dont 113 à Florange. Comment les salariés vivent-ils ce tournant ? Entre espoir d’un avenir durable et crainte d’une nouvelle vague de précarité, l’ambiance oscille.
Une Industrie en Mutation
La sidérurgie, pilier historique de l’industrie française, traverse une période charnière. Confrontée à la nécessité de réduire son empreinte carbone, elle doit aussi composer avec une concurrence internationale accrue, notamment chinoise. ArcelorMittal, leader mondial de l’acier, incarne ce défi. À Florange, où près de 2 000 salariés travaillent encore, les annonces récentes suscitent des réactions contrastées.
Un Plan d’Investissement Ambitieux
Le 15 mai 2025, ArcelorMittal a dévoilé un projet d’envergure : la construction d’un four à arc électrique à Dunkerque, pour un investissement de 1,2 milliard d’euros. Ce four, clé de la décarbonation, doit réduire les émissions de CO2 en remplaçant les hauts-fourneaux traditionnels, gourmands en énergie fossile. Ce choix s’inscrit dans une stratégie globale visant à répondre aux exigences européennes en matière de transition écologique.
Il faut décarboner pour l’avenir de la sidérurgie et celui de la planète.
– Un salarié d’ArcelorMittal, sous couvert d’anonymat
À Florange, ce projet suscite un espoir mesuré. Le site, spécialisé dans le laminage des demi-produits venus du Nord, pourrait bénéficier indirectement de cette modernisation. Mais pour beaucoup, l’annonce ressemble à une opération de communication, surtout après des années de sous-investissement chronique.
Suppressions de Postes : Un Coup Dur
Parallèlement à cet investissement, ArcelorMittal France a annoncé la suppression de 636 postes, dont 113 à Florange, principalement dans les services supports (achats, logistique, ressources humaines). Ce plan, en cours de négociation, touche aussi les prestataires externes, nombreux sur le site. Ces réductions, bien que partiellement atténuées par des départs à la retraite et des postes non pourvus, alimentent un sentiment de précarité.
Fanny, 51 ans, récemment embauchée en CDI, incarne cette inquiétude. Débauchée d’Ascométal pour rejoindre ArcelorMittal, elle pensait sécuriser sa fin de carrière. Mais les premiers signaux, comme le chômage partiel dès son arrivée en septembre 2024, l’ont alertée. « On fait le travail, mais on se demande si la qualité suivra avec une délocalisation des services en Pologne », confie-t-elle.
Une Stratégie à Double Tranchant
Pour certains, la stratégie d’ArcelorMittal se résume à maximiser les profits à court terme, en exploitant les outils industriels sans investir suffisamment, avant de réduire les effectifs lorsque la rentabilité faiblit. Pourtant, le groupe n’a pas totalement négligé Florange : une deuxième ligne de galvanisation, inaugurée en 2021 pour 89 millions d’euros, témoigne d’efforts passés.
Mais la réalité est plus complexe. La sidérurgie européenne fait face à une concurrence mondiale féroce, notamment chinoise, et à des coûts énergétiques élevés. Dans ce contexte, ArcelorMittal doit s’adapter pour ne pas rejoindre le sort de ThyssenKrupp, qui prévoit de supprimer 11 000 postes en Allemagne.
C’est un mal nécessaire. Il faut s’adapter pour ne pas être le premier à tomber en Europe.
– Un salarié en CDI, 20 ans d’ancienneté
Les Prestataires Externes dans la Tourmente
Les salariés ne sont pas les seuls touchés. Les prestataires externes, souvent aussi nombreux que les employés directs dans les services supports, subissent de plein fouet la réorganisation. Un consultant technique de 58 ans, en recherche d’emploi depuis un mois, témoigne de la fin imminente de son contrat. « On s’y attendait, mais ça reste difficile », explique-t-il, soulignant le manque de visibilité pour ces travailleurs souvent oubliés.
Ce constat met en lumière une réalité peu évoquée : la dépendance d’ArcelorMittal aux prestataires. Leur départ, souvent moins médiatisé, fragilise l’écosystème local, déjà marqué par des décennies de restructurations dans la région.
Un Équilibre Fragile entre Écologie et Emploi
Le projet de four électrique à Dunkerque incarne les ambitions écologiques du groupe, mais il soulève des questions. La décarbonation, bien que nécessaire, implique des transformations profondes : des usines seront fermées, d’autres reconstruites. À Florange, les salariés oscillent entre espoir et scepticisme. Certains y voient une chance pour l’avenir du site, d’autres une simple opération de communication.
La CFDT, syndicat majoritaire à Florange, a décidé de ne pas manifester à Luxembourg, préférant saluer l’investissement tout en restant vigilante sur les suppressions de postes. La CGT, plus critique, questionne la sincérité du projet, craignant un effet d’annonce.
Quels Enseignements pour l’Industrie Verte ?
Le cas d’ArcelorMittal illustre les défis de la transition écologique dans l’industrie lourde. Voici quelques points clés :
- La décarbonation nécessite des investissements massifs, mais peut entraîner des sacrifices sociaux.
- La concurrence internationale oblige les entreprises à innover rapidement.
- Les prestataires externes, souvent invisibles, sont essentiels à l’écosystème industriel.
Pour les salariés de Florange, l’avenir reste incertain. Si le four électrique de Dunkerque promet une sidérurgie plus durable, il ne compense pas les pertes d’emplois immédiates. La région, marquée par des décennies de restructurations, espère que cet investissement marquera un tournant vers une industrie plus verte, sans sacrifier son tissu social.
Un Passé Glorieux, un Futur Incertain
Il y a encore un an, Florange brillait en fabriquant les 2 000 torches en acier pour le relais de la flamme olympique. Aujourd’hui, l’ambiance est plus lourde. Les messages affichés aux fenêtres des Grands Bureaux – « OMP sacrifié » ou « SC -21 » – traduisent la frustration des salariés face à la délocalisation des services et aux suppressions de postes.
Pourtant, l’espoir persiste. La sidérurgie verte pourrait redonner un souffle nouveau à la région, à condition que les investissements se traduisent par des bénéfices concrets pour les travailleurs. ArcelorMittal, à la croisée des chemins, devra prouver que sa vision d’avenir ne se limite pas à des annonces.
Vers une Sidérurgie Responsable ?
La transition vers une industrie plus durable est un défi colossal, mais aussi une opportunité. ArcelorMittal, en investissant dans des technologies comme le four à arc électrique, montre qu’il est possible de concilier innovation industrielle et responsabilité environnementale. Mais pour que cette transition soit un succès, elle doit inclure les salariés et les prestataires, piliers de l’industrie.
Florange, comme d’autres sites industriels en France, attend des engagements concrets. La sidérurgie de demain ne pourra prospérer qu’en équilibrant écologie, économie et justice sociale. L’histoire d’ArcelorMittal, entre investissements audacieux et sacrifices humains, reste à écrire.