BDC Ouvre la Porte aux Investissements Défense
Imaginez un pays qui, pendant des décennies, a maintenu une certaine distance avec les investissements dans les technologies militaires, préférant se concentrer sur des secteurs plus "pacifiques". Et soudain, un vent de changement souffle : une institution clé ouvre grand les portes à ce domaine stratégique. C'est exactement ce qui se passe au Canada en cette fin 2025, avec une décision qui pourrait redessiner la carte de l'innovation technologique nationale.
La BDC change de cap sur les investissements en défense
La Business Development Bank of Canada, plus connue sous le nom de BDC, vient de faire un pas significatif. Cette banque d'État, qui joue un rôle central dans le financement des startups canadiennes, a informé les fonds de capital-risque qu'elle soutient qu'elle est prête à assouplir les clauses restrictives les empêchant d'investir dans des entreprises liées à la défense.
Concrètement, dans un courriel envoyé aux investisseurs, la vice-présidente exécutive de BDC Capital a indiqué que l'institution était ouverte à "alléger" ces restrictions. L'objectif ? Permettre des investissements dans des sociétés développant ou commercialisant des produits à usage militaire, à condition qu'ils servent la défense et la sécurité du Canada ou de ses alliés.
Ce n'est pas une ouverture totale et sans garde-fous. La BDC demande aux gestionnaires de fonds de réaliser une diligence renforcée sur les cibles potentielles, de s'assurer du respect des lois en vigueur, et de veiller à l'alignement avec les objectifs de sécurité nationale et les engagements en matière de droits humains.
Un contexte géopolitique qui pousse à l'action
Ce revirement ne sort pas de nulle part. Le Canada fait face à une pression internationale croissante pour augmenter ses dépenses en défense. Après des années de sous-investissement par rapport à ses partenaires de l'OTAN, le pays s'est engagé à atteindre 2 % de son PIB en dépenses militaires dès cette année, avec une cible ambitieuse de 5 % d'ici 2035.
Le budget présenté par le gouvernement de Mark Carney prévoit près de 82 milliards de dollars canadiens sur cinq ans pour moderniser les Forces armées canadiennes. Une partie de cette enveloppe, soit 6,6 milliards, est dédiée à la construction d'une base industrielle de défense solide, via une stratégie spécifique qui sera bientôt dévoilée.
Parmi ces mesures, un milliard est directement alloué à la BDC pour créer un programme dédié aux petites et moyennes entreprises contribuant à la défense et à la sécurité nationale, sous forme de prêts, de financements en capital-risque et de services-conseils.
Nous sommes prêts à soutenir le secteur de la défense tech de manière moins timide et plus agressive.
– Isabelle Hudon, présidente et CEO de la BDC
Cette citation, prononcée il y a quelques mois, prend aujourd'hui tout son sens. La dirigeante avait déjà annoncé le lancement d'un fonds successeur au Deep Tech Venture Fund, orienté spécifiquement vers les technologies de défense, notamment celles à double usage civil et militaire.
La BDC, un acteur incontournable du venture canadien
Pour comprendre l'impact de cette décision, il faut mesurer le poids de la BDC dans l'écosystème. BDC Capital est non seulement le plus grand investisseur en capital-risque au Canada, mais aussi le limited partner le plus actif. Elle a engagé plus d'un milliard de dollars dans des fonds gérés par près de 60 firmes différentes.
Les restrictions précédentes, intégrées dans les documents contractuels, limitaient sérieusement les possibilités pour ces fonds. Désormais, en levant ces barrières, la BDC pourrait libérer un flux important de capitaux vers un secteur jusqu'alors marginal dans le paysage startup canadien.
Il reste toutefois des lignes rouges claires : pas question de soutenir des entreprises produisant des armes destinées à des pays non alliés. Les investissements devront respecter les directives du ministère des Affaires mondiales et du Département de la Défense nationale.
Quelles opportunités pour les startups de défense tech ?
Ce changement ouvre un champ des possibles pour les entrepreneurs canadiens travaillant sur des technologies à double usage. Drones autonomes, cybersécurité avancée, intelligence artificielle appliquée à la surveillance, matériaux innovants pour l'équipement militaire : autant de domaines qui pourraient bénéficier d'un soutien financier renforcé.
Le Canada possède déjà des atouts dans ces niches. Certaines entreprises du portefeuille existant du Deep Tech Venture Fund développent déjà des solutions qui servent à la fois le marché civil et les applications défense. Avec cette nouvelle flexibilité, ces startups pourraient accélérer leur croissance.
De plus, la BDC travaille à mettre en place un cadre de reporting spécifique pour ces investissements. Cela permettra un suivi transparent tout en rassurant les parties prenantes sur le respect des valeurs canadiennes.
- Renforcement de la souveraineté technologique nationale
- Création d'emplois qualifiés dans des secteurs stratégiques
- Positionnement du Canada comme acteur crédible en défense tech
- Attractivité accrue pour les talents et les investisseurs étrangers
Les défis et questions qui restent en suspens
Malgré l'enthousiasme, cette ouverture soulève aussi des interrogations. Comment équilibrer innovation militaire et engagements éthiques ? La diligence renforcée demandée suffira-t-elle à éviter les dérives ?
Certains observateurs s'inquiètent d'une possible militarisation excessive de l'écosystème startup. D'autres, au contraire, y voient une nécessité géopolitique dans un monde de plus en plus instable.
La concurrence internationale est féroce. Les États-Unis, avec des initiatives comme DARPA ou In-Q-Tel, investissent massivement depuis longtemps dans la défense tech. Israël, le Royaume-Uni ou la France ont aussi des écosystèmes matures. Le Canada a du retard à combler, mais dispose d'un avantage : sa réputation de partenaire fiable et respectueux des normes internationales.
Vers une nouvelle ère pour l'innovation canadienne
En résumé, cette décision de la BDC marque un tournant. Elle reflète une prise de conscience collective : dans le contexte actuel, la défense n'est plus un sujet tabou pour l'innovation. Au contraire, elle devient un levier stratégique pour la croissance économique et la sécurité nationale.
Les prochains mois seront décisifs. La mise en place du nouveau programme d'un milliard, le lancement du fonds dédié, l'arrivée des premiers investissements : autant de signaux à surveiller.
Pour les entrepreneurs, c'est une opportunité historique de transformer leurs technologies en actifs stratégiques pour le pays. Pour les investisseurs, un nouveau terrain de jeu s'ouvre, avec ses risques mais aussi ses potentiels rendements élevés.
Le Canada, longtemps perçu comme un acteur modéré sur la scène internationale, semble prêt à affirmer une ambition plus affirmée. Et les startups, une fois de plus, seront au cœur de cette transformation.
Reste à voir comment l'écosystème saisira cette chance. Une chose est sûre : l'année 2026 pourrait bien marquer l'émergence d'un véritable pôle canadien de défense tech, soutenu par des capitaux publics et privés alignés sur une vision commune.