Benjamin Bergen passe de CCI à CVCA
Imaginez la personne qui, depuis dix ans, porte la voix des plus grandes scaleups canadiennes à Ottawa. Celle qui négocie avec les ministres, qui fait trembler les bureaucrates quand il s’agit de réformer les crédits d’impôt ou d’ouvrir les marchés publics aux entreprises tech locales. Cette personne vient de changer de camp.
Benjamin Bergen, président du Council of Canadian Innovators (CCI) depuis sa création, prendra les rênes de la Canadian Venture Capital and Private Equity Association (CVCA) dès janvier 2026. Un transfert qui fait déjà beaucoup parler dans les couloirs de Toronto, Montréal et Vancouver.
Un départ qui tombe à pic… ou presque
Le timing est presque trop parfait pour être anodin. Le Canada traverse actuellement sa pire crise de financement early-stage depuis 2020. Les données de la CVCA elle-même sont implacables : le premier semestre 2025 a enregistré le niveau le plus bas d’investissements en capital-risque depuis la pandémie. Les tours pre-seed et seed continuent de s’effondrer, tandis que quelques méga-deals sauvent artificiellement les statistiques du troisième trimestre.
Dans ce contexte, faire venir l’homme qui connaît mieux que quiconque les douleurs des entrepreneurs tech pour diriger l’association des investisseurs ressemble à une évidence stratégique.
« L’accès au capital est redevenu un problème majeur, comme avant 2011. On avait eu une belle décennie, on revient aux jours sombres. Je suis très inquiet. »
– John Ruffolo, cofondateur du CCI et managing partner de Maverix Private Equity
De lobbyiste des entrepreneurs à défenseur des fonds
Benjamin Bergen n’arrive pas en terrain inconnu. Pendant près d’une décennie, il a défendu bec et ongles les intérêts de 175 des plus importantes scaleups canadiennes. Réforme du programme RS&DE, ouverture des contrats publics, politique d’immigration pour attirer les talents tech, régulation de l’intelligence artificielle… son empreinte est partout.
Aujourd’hui, il change de casquette. Au lieu de demander plus d’argent public ou des règles plus souples, il devra convaincre les gouvernements de créer les conditions pour que les fonds canadiens (et étrangers) investissent massivement ici plutôt qu’à Boston ou dans la Silicon Valley.
« J’ai passé dix ans à écouter les entrepreneurs me dire qu’ils manquaient de capital, explique-t-il. Passer de l’autre côté de la table me permet de travailler directement sur cette problématique. »
La CVCA cherchait un second souffle
Depuis le départ de Kim Furlong en mai 2025, la CVCA tournait sans capitaine. L’association, fondée en 1974, reste la voix officielle du capital-investissement canadien, mais beaucoup lui reprochaient ces dernières années de ne pas assez défendre les intérêts spécifiques des fonds de venture, trop concentrés sur le private equity classique.
Dino DeLuca, futur président du conseil d’administration et COO de TriWest Capital Partners, ne cache pas son enthousiasme :
« Benjamin apporte une expérience unique de plaidoyer et une compréhension profonde connaissance de l’écosystème du capital privé. Il va nous aider à mieux représenter toutes les composantes du venture, des fonds émergents aux grands acteurs. »
Les chantiers prioritaires de Bergen à la CVCA
Le nouveau CEO l’a annoncé : sa première action sera une grande tournée d’écoute auprès des membres. Mais on connaît déjà les sujets brûlants qui l’attendent :
- Le manque cruel de capital late-stage au Canada (les fameuses séries C+ qui fuient vers les États-Unis)
- La difficulté des gestionnaires émergents à lever leur premier ou deuxième fonds
- La concurrence déloyale des fonds américains bénéficiant de meilleures incitations fiscales
- La nécessité de mobiliser les caisses de retraite canadiennes (qui investissent encore trop peu en venture local)
- La refonte des programmes comme le VCAP ou le renouvellement du Fonds de croissance des entreprises canadiennes
Autant de dossiers sur lesquels le CCI, sous Bergen, avait déjà commencé à travailler… mais depuis l’autre rive.
Un écosystème interconnecté
Ce qui frappe dans cette transition, c’est la vision partagée par tous les acteurs : CCI et CVCA ne sont pas concurrents, mais les deux faces d’une même médaille. Des entreprises solides ont besoin de capitaux abondants. Des fonds performants ont besoin d’entreprises ambitieuses où investir.
Benjamin Bergen résume parfaitement cette complémentarité :
« Tout est interconnecté. Si on veut monter sur le podium mondial, il faut exceller à tous les niveaux : politique pro-innovation, capitaux patients, talents internationaux, marchés publics ouverts… On doit être bons partout. »
Et après ? Qui au CCI ?
Le CCI, co-présidé par Jim Balsillie et John Ruffolo, assure que l’organisation est sur de solides bases et que l’annonce du successeur interviendra prochainement. Les noms de Dana O’Born (vice-présidente politique publique) et Patrick Searle (vice-président recherche) circulent avec insistance en interne.
Mais une chose est sûre : le départ de Bergen laisse un vide. Peu de personnalités dans l’écosystème canadien ont réussi à combiner aussi bien crédibilité politique, connaissance terrain et capacité à fédérer des intérêts parfois divergents.
Un signal fort pour 2026
Ce transfert intervient alors que le gouvernement fédéral prépare son budget 2026 et que les appels se multiplient pour une véritable stratégie nationale d’innovation. Avec Benjamin Bergen à la tête de la CVCA, les investisseurs auront enfin une voix aussi puissante que celle des entrepreneurs l’ont eu ces dernières années.
Pour les startups canadiennes, c’est peut-être le début d’une nouvelle ère. Celle où le problème ne sera plus de convaincre qu’il faut investir dans la tech locale… mais de réussir à absorber tous les capitaux qui vont enfin arriver.
À suivre de très près.