Biais de Genre dans l’Algo LinkedIn ?
Imaginez-vous connecter à LinkedIn un matin ordinaire, modifier simplement votre genre et votre prénom, et voir soudainement vos publications toucher deux, trois, voire quatre fois plus de monde. C’est exactement ce qu’ont vécu des dizaines de femmes cet automne, déclenchant une vague de suspicions sur l’algorithme de la plateforme. Est-ce un bug, une coïncidence, ou la preuve d’un biais profond ?
LinkedIn sous le feu des critiques : l’expérience #WearthePants
Tout a commencé avec une expérience audacieuse lancée par deux entrepreneuses influentes, Cindy Gallop et Jane Evans. Fatiguées de constater une chute brutale de leur visibilité, elles ont demandé à deux hommes de reposter exactement le même contenu qu’elles. Le résultat a été stupéfiant : les publications masculines ont atteint bien plus de personnes, parfois au-delà de leur nombre total d’abonnés.
Cette démonstration a rapidement inspiré le mouvement #WearthePants. Des professionnelles du monde entier ont modifié leur profil en indiquant le genre masculin, parfois en changeant aussi leur prénom. Les retours ont été immédiats et spectaculaires.
« J’ai changé mon genre de femme à homme, et mes impressions ont bondi de 238 % en une seule journée. »
– Marilynn Joyner, fondatrice d’entreprise
D’autres témoignages affluent : hausses de 200 %, engagements en forte progression, retours aux niveaux d’avant la mystérieuse mise à jour de l’algorithme. Des profils comptant des dizaines de milliers d’abonnés se retrouvaient soudainement traités comme ceux de comptes beaucoup plus modestes… jusqu’au changement de genre.
Que s’est-il passé dans les coulisses techniques de LinkedIn ?
Depuis l’été 2025, LinkedIn a confirmé avoir intégré des modèles de langage de grande échelle (LLM) pour mieux sélectionner le contenu affiché dans le feed. L’objectif annoncé : proposer des publications plus pertinentes et utiles pour la carrière des utilisateurs.
Mais cette transition n’a pas été sans douleur. De nombreux créateurs de contenu, hommes comme femmes, ont signalé une baisse drastique de leur portée organique. Ce qui distinguait les plaintes féminines, c’était cette corrélation troublante avec le genre.
LinkedIn s’est défendu vigoureusement : ses systèmes n’utilisent pas les données démographiques comme âge, race ou genre pour déterminer la visibilité d’un post. La plateforme assure tester des millions de publications pour garantir une concurrence équitable entre créateurs.
Biais explicite ou biais implicite ? Les experts s’expriment
Les spécialistes des algorithmes sociaux nuancent le débat. Un biais explicite consisterait à pénaliser directement les profils féminins. Rien ne prouve cela chez LinkedIn. En revanche, un biais implicite est beaucoup plus plausible.
Les modèles IA sont entraînés sur d’immenses quantités de données humaines, qui reflètent inévitablement les stéréotypes sociétaux. Si historiquement, les contenus à succès sur LinkedIn provenaient davantage d’hommes occupant des postes de direction, l’algorithme peut avoir appris à privilégier certains styles d’écriture ou certaines thématiques.
« Les plateformes intègrent souvent une vision centrée sur l’homme blanc occidental, simplement parce que ce sont majoritairement ces profils qui ont formé les modèles. »
– Brandeis Marshall, consultante en éthique des données
Une autre piste avancée : le style rédactionnel. Certaines participantes ont noté que, en adoptant une tonalité plus directe, concise et assertive – souvent associée aux stéréotypes masculins – leurs performances s’amélioraient nettement, même sans changer de genre.
Les autres facteurs qui influencent la visibilité
L’algorithme de LinkedIn prend en compte des centaines de signaux : interactions passées, réseau, activité récente, format du contenu, pertinence perçue… La participation à une tendance virale comme #WearthePants a pu elle-même booster la visibilité.
De plus, la plateforme connaît une croissance record : plus d’utilisateurs, plus de publications (+15 % sur un an), plus de commentaires (+24 %). La concurrence est simplement plus rude.
LinkedIn indique que les contenus qui marchent le mieux aujourd’hui sont :
- Les insights professionnels et leçons de carrière
- Les analyses d’actualités sectorielles
- Les contenus éducatifs sur le travail et l’économie
- Les publications démontrant compréhension, clarté et valeur ajoutée
Le timing et la fréquence de publication semblent moins importants qu’auparavant. L’algorithme privilégie la qualité perçue.
Des biais qui touchent aussi d’autres minorités
Le débat ne se limite pas au genre. Certaines créatrices issues de minorités rapportent que leurs posts sur leurs expertises techniques performent moins bien que ceux abordant directement leurs expériences de discrimination.
Cela suggère que l’algorithme pourrait amplifier des signaux historiques : si certains sujets ou styles ont toujours mieux fonctionné, l’IA risque de les renforcer, créant un cercle vicieux.
Transparence : le grand absent du débat
Comme pour la plupart des grandes plateformes, LinkedIn garde jalousement les détails de son algorithme. Cette opacité rend toute analyse définitive impossible. Les entreprises craignent que trop de transparence permette de « gamer » le système.
Pourtant, les utilisatrices et utilisateurs demandent plus de clarté. Comment savoir si la plateforme est réellement équitable ? Comment adapter sa stratégie sans comprendre les règles du jeu ?
LinkedIn affirme réaliser des tests continus pour assurer une expérience juste. Mais sans accès aux données internes, la communauté reste dans le flou.
Que retenir de cette controverse ?
Cette affaire met en lumière les défis posés par l’intégration massive de l’IA dans les réseaux sociaux professionnels. Même avec les meilleures intentions, les modèles apprennent des patterns humains imparfaits.
Elle rappelle aussi l’importance d’une vigilance collective : ce sont les expériences partagées par des centaines de femmes qui ont forcé la discussion publique.
Enfin, elle invite chaque professionnel à repenser sa présence sur LinkedIn : privilégier la valeur ajoutée, l’authenticité, et une communication claire, au-delà des stéréotypes.
L’algorithme évoluera sans doute encore. Reste à espérer que ces voix critiques contribueront à le rendre plus inclusif. Car au fond, LinkedIn n’est pas seulement une plateforme technique : c’est un espace où se jouent les opportunités de carrière de millions de personnes.
Et vous, avez-vous remarqué des changements dans votre visibilité ces derniers mois ? Le débat est loin d’être clos.