
BluSmart : Enquête sur les Prêts EV en Inde
Au cœur de l’Inde, où l’innovation et l’ambition se croisent, une question taraude : comment une startup prometteuse comme BluSmart, portée par la vision d’une mobilité électrique, s’est-elle retrouvée engluée dans une enquête financière ? L’histoire de cette entreprise, autrefois perçue comme un concurrent sérieux d’Uber, illustre les défis complexes auxquels font face les jeunes pousses dans un marché en pleine effervescence. Alors que les véhicules électriques (VE) redessinent l’avenir des transports, des accusations de détournement de fonds viennent ternir l’image de BluSmart et de sa maison mère, Gensol Engineering.
Une Startup au Cœur d’un Scandale
BluSmart, fondée en 2018 sous le nom de Gensol Mobility, s’est rapidement imposée comme un acteur clé de la mobilité électrique en Inde. Avec une flotte de 6 000 véhicules électriques, principalement des berlines Tata Tigor et des SUV MG Motor ZS, l’entreprise ambitionnait de révolutionner le secteur des VTC (véhicules de transport avec chauffeur). Mais récemment, une enquête de la Securities and Exchange Board of India (SEBI) a jeté une ombre sur ses opérations, impliquant également Gensol Engineering, une entreprise cotée en bourse dirigée par les frères Anmol et Puneet Singh Jaggi.
Nous coopérons pleinement avec le régulateur et préparons tous les documents nécessaires pour clarifier la situation.
– Anmol Singh Jaggi, co-fondateur de BluSmart et Gensol
Cette déclaration, bien que rassurante, ne suffit pas à apaiser les inquiétudes. La SEBI a interdit aux frères Jaggi de participer au marché des valeurs mobilières et d’occuper des postes clés chez Gensol, en attendant les résultats de l’enquête. Mais que reproche-t-on exactement à ces entrepreneurs ?
Des Prêts Détournés : Les Accusations
L’enquête de la SEBI porte sur une somme colossale : 9,78 milliards de roupies (environ 114 millions de dollars) de prêts accordés à Gensol par des institutions publiques comme l’Indian Renewable Energy Development Agency et la Power Finance Corporation. Ces fonds étaient destinés à l’achat de 6 400 véhicules électriques pour BluSmart. Cependant, selon le régulateur, seuls 4 704 véhicules ont été acquis pour 5,68 milliards de roupies, laissant un écart troublant.
Les accusations sont graves : une partie des fonds aurait été utilisée à des fins personnelles, notamment pour l’achat de biens immobiliers de luxe en périphérie de New Delhi. D’autres montants auraient été transférés à des entités privées liées aux fondateurs ou à leurs proches. La SEBI n’hésite pas à qualifier cette gestion de « propriétaire », comme si Gensol, une entreprise cotée, était dirigée comme une affaire familiale.
- Prêts de 9,78 milliards de roupies pour l’achat de VE.
- Seulement 4 704 véhicules acquis sur les 6 400 prévus.
- Fonds détournés vers des dépenses personnelles et des entités privées.
Ces révélations soulèvent des questions sur la gouvernance d’entreprise et la transparence, des enjeux cruciaux pour les startups cherchant à gagner la confiance des investisseurs et des régulateurs.
BluSmart : Une Ambition Freinée
Pour BluSmart, les répercussions de cette enquête sont déjà palpables. La startup, qui opère à Delhi-NCR, Bengaluru et Mumbai, fait face à des difficultés financières croissantes. Avec des coûts d’exploitation élevés et un manque de nouveaux financements, l’entreprise a dû abandonner son expansion à Dubaï, lancée en 2024. Pire encore, elle envisage aujourd’hui de redevenir un simple partenaire de flotte pour Uber, son ancien rival, selon des sources proches du dossier.
Pourtant, BluSmart avait tout pour réussir. En janvier 2024, la startup levait 25 millions de dollars auprès du fonds suisse ResponsAbility pour développer ses stations de recharge. Avec un total de 486 millions de dollars levés, soutenue par des investisseurs comme BP Ventures et Mayfield India Fund, elle semblait promise à un avenir radieux. Mais l’absence d’une levée de fonds de 100 millions de dollars, évoquée l’an dernier, a fragilisé ses ambitions.
BluSmart a montré qu’une flotte 100 % électrique est viable, mais la scalabilité reste un défi majeur.
– Analyste du marché indien de la mobilité
Le plan de passer de 6 000 à 10 000 véhicules d’ici fin 2024 n’a pas été atteint, reflétant les contraintes financières et logistiques auxquelles l’entreprise est confrontée.
Le Contexte Indien : Un Marché en Ébullition
L’Inde est un terrain fertile pour les innovations en mobilité électrique. Avec une population de plus de 1,4 milliard d’habitants et des villes congestionnées, la demande pour des solutions de transport durables explose. Le gouvernement indien soutient activement l’adoption des VE, avec des subventions et des objectifs ambitieux : 30 % des véhicules neufs devront être électriques d’ici 2030. Dans ce contexte, des entreprises comme BluSmart jouent un rôle clé.
Cependant, le marché est également impitoyable. La concurrence est féroce, avec des géants comme Uber et Ola, mais aussi des startups locales cherchant à se faire une place. Les coûts élevés des infrastructures de recharge et des véhicules électriques, combinés à une dépendance aux financements externes, rendent la rentabilité difficile à atteindre.
- Objectif gouvernemental : 30 % de VE d’ici 2030.
- Concurrence intense avec Uber, Ola et startups locales.
- Coûts élevés des infrastructures de recharge.
Pour BluSmart, naviguer dans cet écosystème tout en répondant aux accusations de la SEBI est un défi de taille.
Les Leçons pour les Startups
L’affaire BluSmart-Gensol met en lumière des problématiques universelles pour les startups, notamment dans les secteurs à forte intensité capitalistique comme la mobilité électrique. La transparence financière et la gouvernance sont essentielles pour maintenir la confiance des parties prenantes. Une gestion rigoureuse des fonds, surtout lorsqu’ils proviennent de prêts publics, est non négociable.
De plus, cette enquête rappelle l’importance de la scalabilité. Une startup peut avoir une vision révolutionnaire, mais sans un modèle économique viable et une exécution irréprochable, elle risque de s’effondrer sous le poids de ses ambitions. BluSmart, avec son pari sur une flotte 100 % électrique, a prouvé qu’un tel modèle est techniquement possible, mais la rentabilité reste un obstacle.
Enfin, l’affaire souligne les risques liés à la dépendance aux fondateurs. Les frères Jaggi, en cumulant les rôles chez Gensol et BluSmart, ont centralisé le pouvoir, ce qui peut fragiliser les deux entités en cas de crise.
Quel Avenir pour BluSmart ?
Pour BluSmart, l’avenir est incertain. L’enquête de la SEBI pourrait freiner ses chances de lever de nouveaux fonds, essentiels pour maintenir ses opérations. Une alliance avec Uber, bien que pragmatique, marquerait un retour en arrière pour une entreprise qui se voulait indépendante. Cependant, le marché indien reste riche en opportunités, et BluSmart pourrait rebondir en renforçant sa gouvernance et en optimisant ses coûts.
Pour Gensol, les défis sont tout aussi grands. Avec une chute de 83 % de son action en 2025, l’entreprise doit regagner la confiance des investisseurs. La coopération avec la SEBI sera cruciale pour démontrer que les accusations sont infondées ou, à défaut, pour limiter les dégâts.
Dans un monde où la mobilité durable est plus qu’une tendance, mais une nécessité, des entreprises comme BluSmart ont un rôle à jouer. Leur succès dépendra de leur capacité à allier innovation, rigueur financière et transparence. Cette affaire, bien que troublante, pourrait être une opportunité pour BluSmart de se réinventer et de prouver qu’elle peut surmonter les tempêtes.
En attendant, le secteur de la mobilité électrique en Inde continue d’évoluer, porté par des entrepreneurs audacieux et des enjeux colossaux. L’histoire de BluSmart, quelle que soit son issue, restera un cas d’école pour les startups du monde entier.