Canada Doit Adopter une Stratégie Nationale des Semi-conducteurs
Imaginez un instant : cinq pays seulement se partagent près de 91 % du marché mondial des semi-conducteurs, un secteur qui pèse plus de 600 milliards de dollars et qui alimente tout, de nos smartphones aux systèmes de défense les plus avancés. Le Canada, pourtant membre du G7 et riche en talents scientifiques, n’en fait pas partie. Pire encore, il est le seul pays du G7 à ne pas avoir adopté de stratégie nationale dédiée à ce secteur stratégique. Cette situation, selon de nombreux experts, pourrait devenir une véritable vulnérabilité… ou, au contraire, une chance historique si le pays décide enfin d’agir.
Le Canada à la croisée des chemins : vulnérabilité ou opportunité ?
Dans un rapport publié récemment par plusieurs acteurs majeurs de l’industrie canadienne – le Canada’s Semiconductor Council, CMC Microsystems, l’ICTC et ventureLAB – le constat est sans appel : le secteur des semi-conducteurs représente à la fois une vulnérabilité stratégique et une opportunité exceptionnelle pour le pays. Alors que la demande explose avec l’essor de l’intelligence artificielle, du cloud et des technologies de défense, le Canada dispose d’atouts uniques qu’il ne faut pas laisser filer.
Contrairement à Taiwan, à la Corée du Sud ou aux États-Unis, qui misent massivement sur la fabrication à grande échelle, le Canada s’est spécialisé dans les domaines à haute valeur ajoutée : la recherche et développement, la conception de puces, la photonique et l’emballage avancé. Ces compétences, souvent qualifiées d’« key enablers » (facilitateurs clés), sont indispensables pour les prochaines générations de technologies, notamment en intelligence artificielle et en informatique quantique.
« Pour le Canada, le secteur des semi-conducteurs est à la fois une vulnérabilité stratégique et une opportunité unique pour la croissance. »
– Rapport du Canada’s Semiconductor Council et partenaires
Le message est clair : sans une stratégie nationale ambitieuse, le Canada risque de voir ses talents partir à l’étranger, ses brevets être rachetés par des géants américains ou asiatiques, et sa position dans l’économie numérique s’éroder rapidement.
Les chiffres qui interpellent
Le marché mondial des semi-conducteurs a atteint 631 milliards de dollars en 2024 et devrait dépasser les 800 milliards d’ici 2026, porté par l’explosion des besoins en IA et en infrastructure cloud. Parmi les acteurs dominants :
- Les États-Unis : plus de 50 % de part de marché
- Taiwan, Corée du Sud, Japon et Chine : environ 40 % au total
- L’Union européenne : 9,2 %
- Le Canada : quasi invisible à l’échelle mondiale
Ces chiffres montrent à quel point le secteur est concentré et à quel point il est stratégique. Les pays qui ont compris cet enjeu ont déjà investi massivement : les États-Unis avec le CHIPS and Science Act (plus de 50 milliards USD), l’Union européenne avec son EU Chips Act (43 milliards d’euros). Le Canada, lui, reste à la traîne.
Les cinq recommandations pour une stratégie canadienne
Le rapport propose cinq piliers pour construire une véritable stratégie nationale des semi-conducteurs :
- Augmenter fortement les investissements publics en R&D dans les domaines où le Canada excelle (photonique, conception, emballage avancé).
- Investir dans des programmes de formation ciblés pour créer une main-d’œuvre qualifiée et retenir les talents.
- Renforcer les partenariats internationaux avec les pays leaders pour accéder aux technologies et aux marchés.
- Mettre en place un soutien réglementaire et des achats publics ciblés pour favoriser les entreprises canadiennes.
- Développer des capacités nationales de fabrication et d’emballage, en les intégrant aux grands projets d’infrastructure.
Ces mesures, si elles sont mises en œuvre rapidement, pourraient permettre au Canada de se positionner comme un acteur incontournable dans les technologies de pointe.
Des startups canadiennes qui brillent… mais qui partent
Depuis plusieurs mois, on observe un phénomène préoccupant : plusieurs startups canadiennes prometteuses dans le domaine des semi-conducteurs sont rachetées par des géants américains ou déménagent aux États-Unis. Ce « brain drain » est souvent lié à l’absence de soutien suffisant au stade de la croissance.
Lors du HardTech Summit organisé par ventureLAB en octobre 2025, Chris Smith, vice-président chez AMD et responsable du centre de design de Markham (Toronto), a lancé un appel clair :
« En tant que Canadiens, nous avons cette tendance à l’humilité, ce qui est souvent une qualité. Mais quand il s’agit de la guerre mondiale pour les talents et l’innovation, il faut être audacieux. »
– Chris Smith, AMD
Cet appel à l’audace résume bien l’enjeu : le Canada a les cerveaux, les idées et les universités de premier plan. Il lui manque simplement une vision claire et un soutien politique ambitieux.
Pourquoi il faut agir maintenant
Le temps presse. Chaque année sans stratégie nationale, le Canada perd des opportunités d’investissement, de création d’emplois hautement qualifiés et de souveraineté technologique. À l’heure où les tensions géopolitiques rendent les chaînes d’approvisionnement plus fragiles, dépendre entièrement de quelques pays pour des composants aussi critiques est un risque majeur.
En parallèle, l’essor de l’intelligence artificielle et des technologies quantiques offre une fenêtre unique pour se positionner. Les puces spécialisées que le Canada sait concevoir pourraient devenir le cœur des prochaines révolutions technologiques. Ne pas saisir cette chance reviendrait à céder la place aux autres nations.
Un avenir possible : le Canada, leader en semi-conducteurs de pointe
Imaginons un scénario plus optimiste : grâce à une stratégie nationale bien pensée, le Canada développe des écosystèmes d’excellence à Toronto, Waterloo, Ottawa et Montréal. Des centres de R&D attirent des talents du monde entier, des usines spécialisées en emballage avancé et en photonique voient le jour, et des startups canadiennes deviennent des licornes mondiales.
Ce n’est pas un rêve irréaliste. D’autres pays l’ont déjà fait. Le Canada a tous les ingrédients pour réussir : des universités de premier rang, une stabilité politique, une réputation d’innovation et une position géographique stratégique.
Il ne manque plus qu’une chose : la volonté politique de passer à l’action.
Le rapport publié en décembre 2025 est un appel solennel. Reste à savoir si les décideurs entendront la voix des experts, des entrepreneurs et des chercheurs avant qu’il ne soit trop tard.
Le Canada a une carte à jouer dans la révolution des semi-conducteurs. À lui de décider s’il veut rester spectateur… ou devenir un acteur majeur.