Canada : former les managers à l’IA appliquée
Imaginez : le Canada abrite certains des plus grands cerveaux de l’intelligence artificielle au monde – Geoffrey Hinton, Yoshua Bengio, Richard Sutton… Pourtant, à peine une entreprise sur huit utilise réellement l’IA dans ses processus. Ce paradoxe agace depuis des années les économistes, les entrepreneurs et même le gouvernement fédéral. Comment un pays aussi avancé en recherche peut-il être aussi timide quand il s’agit de passer à l’action ?
La réponse est enfin en train d’émerger, et elle vient… d’une école de commerce ontarienne.
McMaster DeGroote veut transformer les managers en pilotes de l’IA
La DeGroote School of Business de l’Université McMaster, à Hamilton, vient de dévoiler trois nouveaux programmes entièrement dédiés à l’intelligence artificielle appliquée en entreprise. L’objectif n’est pas de former davantage de docteurs en deep learning – le Canada en a déjà assez – mais de créer une génération de décideurs capables de déployer l’IA dans la vraie vie des organisations.
Manaf Zargoush, responsable du tout nouveau Data Analytics and AI Hub, résume parfaitement la philosophie :
« L’IA a besoin d’infrastructures de données, de gouvernance, et surtout d’expertise humaine pour libérer toute sa valeur. En construisant un écosystème IA à DeGroote, nous voulons devenir leader pour combler le plus grand retard du Canada : l’application responsable et efficace. »
– Manaf Zargoush, Faculty Lead Data Analytics and AI Hub
Trois programmes, trois publics différents
La force de l’offre de McMaster ? Sa flexibilité et sa segmentation ultra-précise. Il y en a pour tous les profils.
1. Master of Management in Applied AI and Data-Driven Decision-Making (part-time, 20 mois)
Destiné aux professionnels expérimentés (minimum quatre ans d’expérience) qui veulent intégrer l’IA sans quitter leur emploi. Point fort : aucun prérequis en programmation. Le programme alterne week-ends en présentiel et cours en ligne. Premier cohort en janvier 2026, candidatures ouvertes en continu.
2. Master of Management in AI and Analytics (full-time, 16 mois)
Pour les jeunes diplômés ou les profils en début de carrière qui souhaitent devenir les experts techniques dont les entreprises ont désespérément besoin. Python, R, SQL, Tableau, AWS, Azure… tout y passe, mais toujours avec un ancrage business très fort et des projets réels en entreprise.
3. Graduate Academic Certificate in Data Science, Applied AI and Organizational Leadership (4 mois)
Le format express pour les managers intermédiaires qui veulent monter rapidement en compétences. Trois cours intensifs autour de Power BI, Azure AI, Chatbots et surtout leadership de la transformation. Parfait pour ceux qui doivent piloter un projet IA dès le trimestre prochain.
Pourquoi maintenant ? Parce que le retard canadien commence à coûter cher
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon le C.D. Howe Institute, seulement 12 % des entreprises canadiennes utilisent l’IA pour produire ou livrer des services. Pire : un rapport KPMG place le Canada 44e sur 47 pays en matière de formation et de littératie IA.
Dans le même temps, McKinsey évalue le potentiel de productivité de l’IA à 4,4 trillions de dollars à l’échelle mondiale et PwC montre que les professionnels « AI-savvy » gagnent des primes salariales significatives et créent de l’emploi.
Khaled Hassanein, doyen de la DeGroote School of Business, ne mâche pas ses mots :
« Les managers de niveau intermédiaire vivent un double défi : maintenir leurs performances actuelles tout en réinventant leur rôle dans un monde qui change à toute vitesse. Ce certificat leur donne la littératie technique, mais surtout la crédibilité stratégique et éthique pour mener des projets IA. »
– Khaled Hassanein, Dean, DeGroote School of Business
Une approche délibérément « non-technique » pour les managers
Le pari de DeGroote est audacieux : arrêter de former uniquement des codeurs et se concentrer sur ceux qui décident. Car le vrai frein n’est plus la technologie – elle est disponible – mais la capacité des organisations à la déployer intelligemment.
Manish Verma, doyen associé aux études supérieures, insiste :
« L’IA transforme le marché du travail. Les écoles de commerce doivent s’adapter. Les professionnels maîtrisant l’IA touchent des salaires plus élevés et créent des emplois. Le message est clair : il faut préparer les étudiants à réussir dans cette nouvelle économie. »
– Manish Verma, Associate Dean of Graduate Studies
Et après ? Vers un effet boule de neige national ?
En parallèle, le Budget 2025 du gouvernement fédéral prévoit des investissements massifs dans la formation et l’adoption de l’IA en milieu de travail. Les astres semblent alignés.
Si DeGroote réussit son pari – former des centaines de managers capables de parler à la fois le langage des data scientists et celui des actionnaires – le Canada pourrait enfin pourrait transformer son avance académique en avantage économique concret.
Car au fond, l’intelligence artificielle ne révolutionnera pas les entreprises canadiennes grâce à un nouvel algorithme miracle venu de Montréal ou Toronto. Elle le fera grâce à des milliers de directeurs marketing, directeurs financiers et directeurs des opérations qui, un lundi matin, décideront enfin de passer à l’action.
Et si ce lundi matin commençait en janvier 2026, dans une salle de classe de Hamilton ?
Une chose est sûre : la course est lancée. Et cette fois, ce ne sont pas seulement les chercheurs qui sont sur la ligne de départ.