Canada : Plus de 400 Usages de l’IA au Gouvernement
Imaginez : un colis arrive à la frontière. En quelques secondes, un algorithme décide s’il contient une arme prohibée. Ailleurs, un autre système calcule le traitement médical optimal pour un astronaute en orbite. Et pendant ce temps, un troisième classe automatiquement les insectes nuisibles trouvés sur des cultures agricoles. Ce n’est pas de la science-fiction. C’est le quotidien du gouvernement canadien en 2025.
Le 1er décembre 2025, Ottawa a franchi un cap décisif en matière de transparence : la publication du tout premier registre public recensant plus de 400 usages significatifs de l’intelligence artificielle au sein de l’administration fédérale. Un geste fort qui place le Canada parmi les pionniers mondiaux en matière d’ouverture sur l’IA publique.
Un registre public pour démystifier l’IA fédérale
Accessible sur le portail Open Government, ce registre liste des projets déployés ou en phase de test dans pas moins de 42 ministères et agences. On y trouve le nom du département concerné, la finalité du système, le fournisseur technologique et même le niveau de risque évalué.
Attention : les usages jugés « à faible risque » (correcteur orthographique, assistants virtuels classiques) n’y figurent pas. Seuls les projets « notables » sont répertoriés. Et ils sont déjà plus de quatre cents.
« L’intelligence artificielle transforme les gouvernements, et nous nous engageons à informer les Canadiens sur la manière dont elle soutient nos programmes et services. Ce registre constitue une étape importante pour renforcer la confiance du public. »
– Shafqat Ali, président du Conseil du Trésor
Des exemples qui surprennent
Parmi les cas les plus spectaculaires :
- L’Agence des services frontaliers du Canada teste un système israélien SeeTrue capable de détecter des armes à feu cachées dans les colis par simple analyse d’images radiographiques.
- L’Agence spatiale canadienne utilise l’IA pour optimiser les protocoles médicaux en conditions d’apesanteur.
- Agriculture et Agroalimentaire Canada déploie des algorithmes pour identifier et classer automatiquement les insectes ravageurs sur les cultures ou dans les denrées importées.
- Dès 1994 (!), la même agence frontalière utilisait déjà un outil de « recherche floue » pour repérer les voyageurs à risque en croisant des noms similaires dans différentes bases de données.
Oui, vous avez bien lu : le Canada utilise l’intelligence artificielle dans son administration depuis plus de trente ans.
Microsoft et OpenAI, grands vainqueurs… pour l’instant
Une analyse rapide du registre fait apparaître une domination écrasante des géants américains. Microsoft est cité 75 fois, OpenAI 15 fois. Les solutions internes ou canadiennes existent, mais restent minoritaires.
Arvind Gupta, professeur à l’Université de Toronto et membre du groupe de travail sur la stratégie IA nationale, ne cache pas sa déception :
« À première vue, beaucoup d’outils semblent développés en interne et pour des usages relativement simples. Mais sans détails sur l’architecture, les jeux de données d’entraînement ou les tests de robustesse, difficile de juger du respect des meilleures pratiques. »
Il appelle surtout à voir dans ce registre l’amorce d’une politique d’achat plus favorable aux PME canadiennes, à l’image du programme américain SBIR qui réserve une part des budgets d’innovation aux petites entreprises.
Transparence : un premier pas, pas une fin
Le gouvernement le reconnaît lui-même : cette version est « préliminaire ». Les fonctionnalités de recherche sont basiques, certains champs restent vagues. Des mises à jour sont prévues en 2026, avec notamment l’intégration des retours du public.
Petit clin d’œil amusant : la page web du registre elle-même indique qu’elle a été traduite partiellement par machine… mais relue par des humains. La boucle est bouclée.
Pourquoi cette transparence change tout
Dans un monde où l’IA décide de plus en plus de choses qui nous concernent directement (accès aux services publics, contrôles frontaliers, aides sociales), connaître son fonctionnement devient un enjeu démocratique majeur.
Le Canada, souvent critiqué pour son retard en matière d’adoption technologique, marque ici des points précieux. En rendant ces informations publiques et consultables par tous, Ottawa pose les bases d’un débat informé sur :
- Les risques de biais algorithmiques dans les décisions administratives
- La dépendance excessive aux fournisseurs étrangers
- Les opportunités pour les startups canadiennes de l’IA
- La nécessité d’un cadre éthique renforcé
Et demain ?
Ce registre n’est qu’un début. Plusieurs pays observent l’expérience canadienne de près. L’Estonie, championne du gouvernement numérique, prépare une initiative similaire. L’Union européenne, avec son AI Act, impose déjà des obligations de transparence bien plus strictes.
Pour les entrepreneurs canadiens, c’est une opportunité en or : le gouvernement devient un client visible, avec des besoins précis et documentés. Reste à savoir si les prochains appels d’offres sauront privilégier l’innovation locale plutôt que les solutions clés en main des géants de la Silicon Valley.
Une chose est sûre : l’ère où l’IA gouvernementale évoluait dans l’ombre est révolue. Au Canada, elle a désormais un visage public – et plus de 400 exemples concrets à son actif.
La question n’est plus de savoir si l’intelligence artificielle transforme l’État… mais comment nous, citoyens, allons-nous participer à orienter cette transformation.